Une paix insaisissable

Disloqué après le renversement militaire en 2019 de Omar al-Bachir, le Soudan se transforme peu à peu en «No man’s land». Les combats entre l’armée régulière du général Abdelfattah Burhan et les RSF, commandés par Mohammed Hamdan Dagalo dit «le général», les alliés d’hier, ont dépecé Khartoum et se tirent dessus sans discernement. Les forces de Dagalo ont envahi une grande partie du Darfour, tandis que le général Burhan a déplacé le gouvernement et son quartier général vers la ville de Port-Soudan, sur la mer Rouge. Des milliers de civils tués, voire des génocides pratiqués selon des experts de l’Onu. Le fratricide dure déjà depuis une année sans qu’aucune médiation ne parvienne à faire taire les armes.
La lutte pour le pouvoir a fait perdre la raison à tous les belligérants dont certains appliquent à la lettre un agenda dicté et entretenu par un flux financier et matériel. Plus de 8 millions de personnes chassées de chez elles, fuyant soit vers des zones plus sûres dans le pays, quand cela est possible, soit vers les pays voisins, qui ne peuvent plus contenir ce flux. La production alimentaire s'est effondrée ; les importations sont au point mort ; la circulation des denrées alimentaires à travers le pays est entravée par les combats.
Environ 5 millions de personnes sont à un pas de la famine, selon une évaluation réalisée en décembre par l'Integrated Food Security Phase Classification, ou IPC, considérée comme l'autorité mondiale en matière de détermination de la gravité des crises alimentaires. Au total, 17,7 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. Le système de santé est, quant à lui, extrêmement paralysé, ne laissant que 20 à 30 % des établissements de santé fonctionnels dans tout le pays, selon des experts humanitaires.
A qui profite ce désastre ? Si du point de vue humanitaire on s’attelle à parer au plus urgent, la conjoncture internationale a placé le conflit dans le rayon des crises oubliées… ou de second degré. La priorité des puissants est ailleurs.
Lors d’une intervention à l'Assemblée générale des Nations unies, Abdelfattah al-Burhan a affirmé que l'ingérence étrangère dans le conflit était l'une des raisons pour lesquelles le Soudan continuait à brûler. Pour lui, le soutien aux forces du RSF et aux autres groupes «est clair comme de l'eau de roche».
Après plus de dix annonces différentes de cessez-le-feu, le pays continue de brûler. Le principal bailleur de fonds extérieur veut ainsi étendre son influence et celle de ces nouveaux maîtres vers une région dont le terrain demeure meuble. Le contrôle d'une large partie des mines d'or illégales du pays fait miroiter un fabuleux trésor de guerre et d'influence. Le miroir aux alouettes rend donc cette paix insaisissable. Le sol se dérobe et les artisans cuisiniers de la géopolitique ne se rendent pas compte que leur menu est infect.

El Moudjahid

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