
Entretien réalisé par Fouad Irnatene
Dans cet entretien, l'expert Tewfik Hasni, consultant en transition énergétique, nous livre son analyse sur l'impact d'un plafonnement du pétrole russe à 60 dollars, décidé par le G7+l'Australie.
El Moudjahid : Les importations de brut russe dans l'Union européenne sont interdites. Ce lundi (hier - Ndlr) s'applique également l'imposition d'un prix plafond de 60 dollars au baril de pétrole russe vendu à l'international. Quelles conséquences sur l’architecture pétrolière en général et sur l’Europe en particulier ?
M. Tewfik Hasni : Il me semble qu’il faille aborder différemment. Les importations de brut russe dans l’Union européenne sont formellement interdites, mais jamais la Russie n’a réduit ses exportations. Les compagnies pétrolières russes ont vu l’année 2022 marquer un record de recettes. Par ailleurs, que ce soit l’Inde ou la Chine, les exportations de produits pétroliers d’origine russe ont constitué la plus grande partie à partir de ces 2 pays. La Russie a ainsi vendu pour 30 milliards d’euros à l’UE en 2022. Il faut comprendre que les fondamentaux qui avaient marqué la structure des prix du pétrole, à savoir l’offre et la demande, ont été largement dépassés. La crise économique, d’abord, qui a affecté la demande d’énergie, avait affecté les prix vers la baisse. La COVID est venue aggraver la crise, elle a éliminé les hydrocarbures dont le coût de revient était supérieur à 40$/baril. Le cas du schiste américain en est la meilleure preuve. Ce qui a fini par bousculer tout cela a été la guerre en Ukraine. Le seul paramètre déterminant dans l’évaluation de la contrainte fut la sécurité énergétique et la dimension politique de la crise. Ceci a remis en cause les fondamentaux initiaux d’évaluation des marchés pétroliers et gaziers.
Cependant, la décision de plafonner le prix du brut par l’UE n’a aucun impact direct, que ce soit sur le prix du marché ou de la sécurité d’approvisionnement de l’Europe. La réponse de la Russie a été d’annoncer que le prix posté à partir du port de Sibérie pour le pétrole d’Oural a été affiché à 51,9$/baril. Ceci rend nulle et non avenue la décision de l’UE. A ce prix, la contrainte imposée par l’UE tombe. Il faut aussi savoir que le coût de production du brut d’Oural est de l’ordre de 20$/baril. De toute façon, la Russie, pour casser l’embargo, faisait depuis longtemps une décote sur son brut. Donc rien n’a changé. L’Europe devra payer le prix habituel pour ses produits pétroliers.
Ce plafonnement est annoncé évolutif. Selon vous, avec la persistance de ces sanctions, l’Opep+, qui maintient sa baisse de production de 2 millions de barils/jour, sera-t-elle appelée à se montrer plus agressive?
Il me paraît aussi évident de ramener le poids de chaque acteur à sa véritable dimension. L’OPEP n’a jamais été un acteur déterminant depuis la stratégie de Kissinger à l’époque. Vous avez constaté que le poids des stocks de pétrole et de produits pétroliers peut influer sur le marché. En fait, les seuls acteurs véritables sont ceux qui produisent près de
10.000 millions de barils/jour. C’est-à-dire l’Arabie saoudite dans l’OPEP. Les USA avec le schiste ont atteint ce niveau et bien sûr la Russie. Il faut se rappeler que le Président Trump décidait, à l’époque, du prix du brut en transmettant un simple Tweet à l’Arabie saoudite. Les choses ont changé et le Prince Ben Salmane a vite réagi pour prendre son indépendance de cette tutelle.
Il est allé jusqu’à sortir de la sphère du dollar en se rapprochant de la Russie.
L’UE n’a jamais été un acteur dans ce cadre, et toute mesure de sa part n’aura donc aucun effet.
La réaction ne peut venir que des trois acteurs déterminants, elle devient d’ordre politique et s’inscrit dans les grands changements qui ont vu l’émergence des BRICS.
Ce chamboulement du marché pétrolier mondial aura des impacts sur l’Algérie ?
Le changement ne touchera pas d’une façon spécifique notre pays, mais c’est un changement global qui va affecter l’ordre qui prévalait sur la planète avec le monde unipolaire qui doit se restructurer. Les réactions contre ce changement se sont traduites par les différents conflits, comme celui en Ukraine, au plan énergétique, c’est bien sur la transition énergétique qui s’impose. Notre pays possède toutes les ressources pour faire face à cela.
Le potentiel solaire (thermique et photovoltaïque) lui donne un atout sans égal. Soit nous comprenons que ce potentiel est déterminant et il nous assure notre sécurité énergétique pour l’éternité, soit nous tombons dans le piège de ceux qui veulent utiliser ce potentiel pour un vil prix et satisfaire leurs besoins en hydrogène et ainsi se passer du gaz que nous pouvions encore exporter.
F. I.