
La crise ukrainienne, même si elle a eu des effets positifs sur le marché pétrolier qui a enregistré des hausses importantes des prix, a rappelé la versatilité de ce marché. Le pétrole est impacté par les conjonctures géopolitiques, et la demande est fortement liée aux facteurs climatiques et à l’état de l’économie mondiale. Cette situation rappelle la nécessité pour l’économie algérienne de diversifier ses exportations et de favoriser certains secteurs, comme l’agriculture, qui peuvent assurer une autosuffisance et, partant, une réduction conséquente des importations. Notre pays a vécu dans le passé l’expérience du déséquilibre de la balance des paiements, à cause, justement, de l’effondrement des cours du pétrole. Il convient de rappeler que le professeur Ahmed Mir est directeur de l'Incubateur d'Entreprises de l'université de M'sila, responsable du Centre d'appui à la technologie et à l'innovation, directeur du Bureau de connexion de l'Université à l'Environnement économique et social, président du Comité scientifique du département des Sciences de gestion de l’université de M’sila, et il est également rédacteur en chef de la revue scientifique internationale Recherche administrative et économique.
Entretien réalisé par Fouad Daoud
El Moudjahid : Comment voyez-vous les répercussions de la guerre ukrainienne sur les prix du pétrole, dont le Sahara Blend ?
Ahmed Mir : Avant de vous répondre, il faut mentionner une information très importante, car le pétrole algérien, dit «Sahara Blend», est le troisième pétrole le plus cher du panier des bruts pétroliers. La différence de prix du pétrole brut Sahara Blend et le reste du panier de bruts de l’OPEP varie entre 2 et 3 dollars. Et pour revenir à votre question, bien sûr, cela est dû à plusieurs raisons, dont la plus importante est peut-être la crise ukraino-russe et l'état d'incertitude que connaissent les marchés mondiaux, en particulier la région de l'Europe et des États-Unis d'Amérique. Parmi les raisons qui ont contribué à la hausse des prix des matières premières pétrolières, y compris le brut du Sahara Blend, figurent des indicateurs de la croissance économique mondiale. Ces derniers reposent principalement sur des rapports d'organismes mondiaux, tels que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, qui ont donné une vision optimiste de l'économie mondiale à la lumière de la reprise après la pandémie de Coronavirus et la levée des contraintes qui en résultaient. La plupart des experts notent que la crise ukrainienne aura des effets directs à court et moyen terme. Quant à ses effets à long terme, ces experts soulignent que cette crise n'est que le début du renouvellement des caractéristiques de la seconde guerre froide. L'Occident contre la Russie dans son ensemble aura des répercussions à court et à long terme, notamment en redessinant la carte géopolitique du monde d'après-guerre entre Ukraine et Russie.
Quel est le niveau des revenus attendus de cette hausse et quel est son impact sur la situation financière de l'Algérie ?
La réponse à cette question est, en fait, liée à deux points de vue différents : D'une part, on peut dire que l'augmentation significative des prix du brut Sahara Blend aura, dans le cas d’une stabilité des prix, des avantages certains sur les rentrées en devises de l’Algérie. La hausse de ces rentrées sera dans ce cas de 10 milliards de dollars par rapport à l’année passée. Avec un Sahara Blend de 90 à 110 dollars le baril, les revenus du pays seront de l’ordre de 40 à 45 milliards de dollars. Les réserves de changes qui sont de 40 milliards, selon des institutions internationales, passeront, quant à elles, à 55 milliards de dollars, puisque la loi de finances a été élaborée sur la base d’un baril à 40 dollars. D’un autre côté, la hausse des prix du brut aura des répercussions négatives sur nos importations. Tous les biens et services que nous ramenons de l’étranger seront plus chers à cause de l’augmentation des cours du pétrole. La crise ukrainienne a même provoqué une perturbation des exportations des deux belligérants, notamment en céréales. Ce qui ne manquera pas de hausser leurs tarifs sur le marché international. Bien sûr, cela constituera une ponction supplémentaire de devises fortes pour l'économie nationale, qui n'a pas encore atteint la sécurité alimentaire à partir des produits céréaliers secs.
Ces revenus seront-ils suffisants justement pour faire face à l'augmentation significative des cours des matières premières dont le marché algérien en a besoin à travers les bourses internationales ?
L'état d'incertitude que connaît le monde à la suite de la Covid et aux opérations militaires russes en Ukraine ainsi que les sanctions économiques adoptées par plusieurs pays occidentaux et la menace de mesures répressives supplémentaires contre l'économie russe, d'une part, et les réactions prévisibles de la Russie et de ses alliés traditionnels, tout cela constitue un état d'instabilité des marchés mondiaux des matières premières, notamment alimentaires. Cette instabilité risque de mener à une perturbation de l’acheminement des cargaisons nécessaires aux besoins de l'Algérie, que ce soit pour les denrées alimentaires ou même les produits technologiques. Dès lors, notre lecture de la situation financière future se fera en trois niveaux. Le premier est lié à la situation actuelle. Nous pouvons être rassurés sur la situation financière de l'Algérie et même sur ses stocks stratégiques de matières premières, et dans une moindre mesure sur le moyen terme, comme ces menaces mondiales et l'incertitude sur les marchés et dans la direction des taux de croissance de l'économie mondiale, qui ne s'est pas encore remise de la crise due au Coronavirus. Là, la situation financière est soumise à certains risques, notamment dans le cas où les mesures visant à empêcher l'exportation de ces matières par les plus grands exportateurs de céréales au monde, à savoir la Russie et l'Ukraine, se poursuivent. Quant au troisième niveau, une perspective à long terme, la persistance de telles crises, l’instabilité économique et sécuritaire dans le monde et la poursuite du conflit des pôles coûteront à l'économie algérienne davantage de saignées de devises fortes vers l'importation de ce dont l'économie nationale a besoin en matières premières.
Les revenus supplémentaires prévus seront-ils suffisants pour assurer l'équilibre budgétaire de l’Etat et répondre aux attentes sociales de la population ?
En fait, les réserves de devises fortes de l'Algérie sont restées au même niveau depuis le début de la reprise économique de la pandémie, c'est-à-dire depuis août dernier, où les prix du pétrole ont dépassé les 60 dollars. Mais au cas où les prix du Sahara Blend continueront de monter à plus de 100 dollars, la santé financière de l'économie algérienne sera meilleure, surtout si le gouvernement continue de durcir les restrictions sur les importations et se concentrer uniquement sur l'importation des matières premières de base. En plus des questions que vous avez soulevées, j'ajouterai que la crise en Ukraine a d'autres répercussions en raison des gains réalisés par le dollar américain de plus de 0,08 de sa valeur par rapport à l'euro.
F. D.