Violences dans les stades : passions exacerbées ou phénomène de société ?

Un mort, des blessés, des matchs sous tension. Le football algérien traverse une période sombre où la passion cède trop souvent la place à la haine. Le drame survenu le 20 avril dernier, avec le décès d’un jeune supporter du MC Alger après la rencontre face à l’US Biskra, a marqué un tournant. Retour sur un phénomène qui dépasse largement le cadre sportif.

Les alertes ne manquaient pas. Depuis des mois, les rencontres s’achèvent dans la confusion, parfois même dans le sang. Les supporters s’affrontent, les bus sont caillassés, les pelouses envahies… Les stades ne vibrent plus uniquement pour le jeu, mais pour des règlements de comptes, des colères accumulées et des frustrations collectives.

À El Bayadh, lors d’un houleux MCEB-MCO, le 13 décembre 2024, le pire avait déjà été frôlé. Pour une banderole arrachée, le stade a été mis sens dessus-dessous. Les affrontements d’une rare violence se sont poursuivis en dehors de l’enceinte. Ce jour-là, on avait frôlé le pire. Mais il a fini par se produire à Biskra, dans l’anonymat d’un trajet de retour, sur une route que la violence a transformée en champ de bataille. Un jeune à la fleur de l’âge avait perdu la vie alors qu’il tentait d’échapper à ses agresseurs, fauché par un camion. Cette tragédie aura été ainsi à son paroxysme après des épisodes épics à Constantine, à Alger et un peu partout dans les stades du pays. Face au drame, la Fédération algérienne de football (FAF) a dégainé le langage ferme et de circonstance. Un communiqué, une réunion de crise, un appel à la responsabilité. Dans le ton, une sévérité assumée. Dans les faits, une inquiétude palpable. Car la FAF le sait : la situation est hors de contrôle. Ses mesures : huis clos, restrictions de déplacement, sanctions financières ne suffisent plus. La violence ne se corrige pas à coups de circulaires. Elle s’incruste dans les arcanes d’un football gangrené par la l’impunité et le populisme.

Des clubs, pompiers pyromanes ?

La majorité des clubs ne jouent plus le jeu de l’apaisement. Pis, d’entre eux, contribuent même, nolens volens, à exacerber les tensions à travers une communication décousue, gérée souvent par des supporters, si bien ou mal – c’est selon – qu’il est difficile de faire le distinguo entre un communiqué et un langage de supporter. C’est d’ailleurs l’un des points sur lequel le ministre des Sports a mis le doigt lors d’une réunion d’urgence avec les clubs au siège de la Fédération. En effet, le constat est implacable : certains clubs ont renoncé à apaiser. À défaut de résultats, ils communiquent. Et mal. Par le biais de pages Facebook non encadrées, ils s’en prennent aux arbitres, aux adversaires, aux instances. Ils dénoncent, accusent, enflamment… Les mots sont durs, les accusations gratuites, les insinuations lourdes. Combien de communiqués incendiaires ont été «pondus» cette saison, qui pour s’attaquer à l’arbitrage et qui pour s’en prendre à une programmation qui ne lui sied pas ? Pis, des clubs se rejettent les accusations, préparant ainsi le terrain à l’affrontement.

Lors de sa réunion avec les clubs, la FAF a exigé la professionnalisation des cellules de communication. Mais combien de clubs disposent-ils réellement de structures capables d’informer sans attiser ? Trop peu. Le reste se contente de jouer avec le feu.

 

Réduire cette violence au seul cadre sportif serait aller trop vite en besogne. La sociologue Kahina Nait Remdane, maître de conférences à l’Université d’Alger, le rappelle : «Le stade n’en est que le théâtre. Ce n’est pas un simple débordement individuel ou, si vous voulez, un acte  isolé. C’est plutôt un phénomène social alimenté par des facteurs culturels, économiques et identitaires. Elle, la violence NDLR, relève souvent des tensions profondes de la société», et d’ajouter : «Après, il ne faut pas aussi occulter le rôle des drogues dures dans ce phénomène. Il y a clairement un rapport de causalité à effet entre ces deux fléaux. La majorité des jeunes qui sont responsables de ces violences sont sous l’effet de stupéfiants. C’est incontestable.» Le stade devient alors une soupape, voire un lieu d’expression brutale d’un ras-le-bol généralisé, d’un vide à combler, d’un exutoire toléré, presque ritualisé. On ne crie pas seulement pour un penalty refusé. On hurle parce qu’on ne peut plus parler ailleurs.

 

Réseaux sociaux : la haine en temps réel

À cette équation instable s’ajoute l’accélérateur numérique : Facebook, TikTok, X (ex-Twitter), autant d’arènes où s’exacerbe la rivalité. L’insulte est instantanée, virale. Les rumeurs deviennent vérité. Les communiqués se transforment en appels à la guerre. On ne débat plus, on incendie. «Les réseaux sociaux ont grandement contribué à la recrudescence de la violence dans les stades», fait constater encore la sociologue Kahina Nait Remdane. «Ils ont renforcé les logiques de groupes d’opposition, facilitant la diffusion des discours haineux et, par là même, l’organisation d’actes violents. Grâce aux réseaux sociaux, c’est devenu carrément structuré», dénonce notre spécialiste.

Et dans cet univers numérique sans garde-fou, les passions ne sont plus cadrées par les règles du sport, mais par l’algorithme de la colère. Alors, que faire ? Punir ? Dialoguer ? Réformer ? Peut-être tout cela à la fois. Ce qui est certain, c’est que la solution ne viendra pas d’une simple fermeture de tribune ou d’une suspension d’entraîneur. L’Algérie expérimente depuis des années la solution du huis clos comme mesure punitive à la violence et aux débordements. Récemment, sept matches sur huit de la Ligue Mobilis se sont joués devant des gradins vides sans que cela apporte des changements notables sur le terrain. La violence a continué et les instances footballistiques à sévir. Les clubs payent les pots cassés, mais pas les vrais responsables, souvent difficilement identifiables dans ces mouvements de foules où la responsabilité individuelle se dilue dans l’acte collectif.

Il faudra dès lors, tôt ou tard, penser à une politique globale pour ramener la paix dans les stades. La mise en service de stades ultramodernes en Algérie peut être justement un outil pour combattre la violence. L’identification des fauteurs de troubles à l’aide des caméras de surveillance aidera incontestablement l’appareil judiciaire dans son travail. Mais au-delà, l’éducation, la régulation des discours, la responsabilisation de tous les acteurs restent les vrais leviers que la société, de manière générale, pourrait actionner pour venir à bout de ce phénomène. Car, au bout du compte, le football n’est qu’un jeu. Pas un champ de bataille. Dans l’absolu, un match perdu se rejoue. Une vie perdue, non.

  1. A. A.

 

 

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