Elles s’étalent de mai à septembre pour les élèves du primaire, les collégiens et les lycéens : La hantise des grandes vacances

En Algérie, les vacances scolaires s’étendent sur plus de trois mois ; de la fin mai jusqu’à début septembre, affectant environ 12 millions d’élèves répartis dans près de 30.000 établissements à travers le pays.
Cette longue période d’interruption pose un défi majeur, tant sur le plan pédagogique que social.

La société algérienne a profondément évolué : aujourd’hui, dans la majorité des foyers, les deux parents exercent une activité professionnelle, ce qui rend la gestion des enfants durant cette longue période particulièrement difficile. Autrefois, la présence des grands-parents ou d’autres membres de la famille permettait un encadrement naturel, mais l’atomisation des familles modernes a changé la donne.
Face à cette situation, les parents s’inquiètent : comment assurer la sécurité, l’épanouissement et l’encadrement éducatif de leurs enfants durant ces mois ? Les structures d’accueil, qu’il s’agisse des colonies de vacances, des associations ou des écoles coraniques, restent limitées, inégalement accessibles et parfois controversées. L’État, de son côté, tarde à proposer une politique globale et concertée. Dans ce contexte, la question de l’impact des longues vacances sur la continuité des apprentissages, la motivation des élèves et la cohésion sociale est plus que jamais d’actualité.
En somme, la problématique des vacances scolaires en Algérie est un enjeu complexe qui reflète les mutations sociales profondes du pays. Elle nécessite une approche pluridisciplinaire impliquant le ministère de l’Éducation nationale, le ministère des Affaires religieuses, les syndicats de parents d’élèves, les sociologues-pédagogues, et bien sûr les familles elles-mêmes.
Pour éclairer ce débat, El Moudjahid a contacté trois experts de référence — Meziane Meriane, Ahmed Tessa et la Pr Naïma Guendouz-Benammar — qui ont aimablement répondu à nos questions apportant avec leur éclairage, des précisions indispensables pour mieux comprendre les enjeux éducatifs et sociaux liés aux vacances scolaires en Algérie.

Meziane Meriane :
«Réformer le calendrier scolaire d’urgence»

Meziane Meriane, pédagogue et ancien coordinateur du SNAPESTE, dresse un constat sans appel sur les conséquences des longues vacances : « Il y a la perte des acquis des élèves, puisque les vacances sont très longues. Donc la perte est très importante. Il y a aussi la baisse de leur capacité d’apprentissage. Et tout ceci se répercute effectivement à la rentrée scolaire. Là, l’enseignant, qui reçoit les élèves en septembre, passe presque un mois pour leur faire récupérer déjà le niveau du mois de mai. » Il précise que cette perte de niveau varie selon les matières, mais que le phénomène est général : « Un prof de maths va passer plus de temps à faire la mise à niveau des élèves qui viennent de rentrer après plus de trois mois de vacances. Mais une chose est certaine, c’est que l’enseignant, lorsqu’il reçoit les élèves en septembre, il les reçoit avec un niveau beaucoup plus bas que le niveau qu’ils avaient à la sortie en vacances au mois de mai. »
Pour Meziane Meriane, il est urgent de repenser le calendrier scolaire : « Presque partout dans le monde, il y a eu la réforme des vacances. Mais nous, on est resté sur le modèle qu’on a hérité de l’école coloniale. Parce que si on regarde l’histoire des longues vacances, elle vient du temps où la situation sociale était très dure. Les parents se faisaient aider par leurs enfants pendant l’été. Donc il y a eu en quelque sorte un accord tacite dans ce sens. » Il souligne que ce modèle n’est plus adapté à la société algérienne actuelle et propose une solution concrète : « Allonger l’année scolaire. Chez nous, on a des déficits énormes. Ailleurs, ils font plus de 38 semaines. Chez nous, on fait moins de 30 semaines. Les vacances d’été, à titre d’exemple, au Japon, ne durent qu’un seul mois. Maintenant, réduire les vacances d’été de deux ou trois semaines et les répartir tout au long de l’année, serait l’idéal. »
Cela dit, la question climatique n’est pas oubliée : « Avec un pays aussi vaste que le notre, on doit avoir un calendrier particulier pour le Sud. Réfléchir, comment avoir un calendrier qui va s’adapter aux chaleurs d’été si on réduit les vacances. Ça peut se faire dans le Nord et, bien sûr, jusqu’aux wilayas des hauts plateaux. Mais le Sud et le grand Sud, on peut réfléchir sur des vacances particulières pour que les élèves n’aient pas à souffrir des grandes chaleurs », dira enfin Meriane.
Par ailleurs, au sujet de la prise en charge des enfants pendant cette longue période de vacances pour éviter le décrochage, Meziane Meriane insiste sur le rôle des associations : « Je pense que les associations doivent être aidées et encadrées pour prendre en charge le vide créé par ces longues vacances. Des associations présentes un peu partout à travers le pays, peuvent prendre en charge les enfants au sein des structures étatiques comme les centres culturels, les maisons de jeunes, en organisant diverses activités. » Il insiste sur la prévention de la perte des acquis : « Il doit y avoir une prévention réfléchie pour éviter la perte des acquis des élèves. » Il explique : « Les associations, en plus d’un travail de lecture surtout pour les petits enfants, peuvent proposer des activités éducatives et ludiques : jeux d’échecs, concours de poésie, concours de rédaction, etc.. Il faut aussi développer les colonies de vacances en impliquant les colonies de vacances en impliquant les enfants dans le choix des activités, afin qu’ils soient pleinement engagés. Ces colonies, ainsi que les associations, peuvent jouer un rôle d’appoint précieux pendant les vacances.»

Ahmed Tessa :
«Risque de perte du capital connaissances chez l’enfant»

Pour sa part, Ahmed Tessa, expert en sciences de l’éducation, partage le même diagnostic et va plus loin : «Dans tous mes écrits depuis trente ans, j’ai dénoncé une grave dérive de notre système scolaire : celui de ne pas respecter les normes internationales. Ces dernières sont basées sur des recommandations scientifiques issues de la psychologie, de la chronobiologie, des neurosciences et de la docimologie. Les normes internationales préconisent entre 36 et 40 semaines de cours effectifs, alors que chez nous, on atteint au mieux 24 à 27 semaines, même si théoriquement le ministère fixe un objectif de 32 semaines. Cela fait de notre année scolaire la plus courte au monde, avec des vacances d’été très longues.»
Pour lui, cette situation a des conséquences directes : «Cette situation a un impact très négatif sur les apprentissages. La chronobiologie montre qu’au-delà de quelques semaines, l’élève privé d’enseignement risque de perdre le capital de connaissances accumulées.» Il explique aussi les raisons de ce déficit : « Parce que notre école privilégie des programmes trop lourds, une méthode basée sur la mémorisation, et des évaluations qui restent figées dans un schéma traditionnel d’examens, coûteux et qui précipitent la fin des cours dès début mai.»
Cela dit, pour la prise en charge des enfants pendant les vacances, Ahmed Tessa a un autre avis. Pour lui, avant les associations, il y a d’abord les parents qui ont une part de responsabilité : «Il appartient avant tout aux parents de motiver leurs enfants à ne pas perdre le réflexe du contact avec les apprentissages scolaires pendant les vacances. Cela peut passer par la révision des leçons difficiles, la réalisation d’exercices, la lecture de romans ou de contes adaptés au niveau des élèves du primaire. Bien sûr, il ne s’agit pas de transformer cela en corvée, mais de sensibiliser les enfants à l’importance de garder ce lien avec l’école.»
Et en guise de soutien aux parents, le pédagogue propose plutôt une implication institutionnelle : «Le ministère de l’Éducation nationale, en collaboration avec d’autres ministères, pourrait organiser des séances de remise à niveau dans les établissements scolaires pendant l’été, incluant des activités ludiques et sportives. Il est cependant essentiel que ces dispositifs soient réellement efficaces et ne soient pas de simples “poudre aux yeux”.»

Pr Naïma Guendouz-Benammar :
«Des vacances équilibrées pour mieux apprendre»

Par ailleurs, si les deux pédagogues pensent que les vacances scolaires sont très longues, Pr Naima Guendouz-Benammar, universitaire et chercheuse, et cadre au Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (CRASC) propose une perspective complémentaire centrée sur le bien-être global de l’élève et de l’enseignant. Selon elle, «les vacances scolaires servent essentiellement à marquer une halte que ce soit pour l’élève ou l’enseignant qui doivent se reposer physiquement et mentalement. L’élève est censé avoir fourni des efforts pour apprendre, pour comprendre et le prouver dans les évaluations. L’enseignant, quant à lui, a besoin de se ressourcer pour pouvoir reprendre à nouveau un travail redondant souvent pénible.». Elle insiste sur la dimension humaine et sociale de cette pause : «Les deux profitent des vacances pour aller vers le changement (de cadre, de tâches, de rencontres, d’expériences nouvelles…), c’est d’ailleurs ce qui renforce les relations humaines et les liens sociaux.»
Pour Pr Benammar, les vacances ont aussi une fonction psychopédagogique : «Les vacances permettent à l’enfant de se développer, d’évacuer la pression scolaire, et lui offrent un espace où il peut s’exprimer autrement dans le jeu, la récréation voire la créativité ; ce qui consolide son équilibre émotionnel et mental.» Elle précise que le système éducatif algérien est structuré autour d’une progression annuelle et d’une progression globale du cursus, et que «pour garantir l’efficience et les résultats de l’enseignement/apprentissage, on doit marquer des temps d’arrêt pour réguler la capacité de l’élève à assimiler les contenus des programmes efficacement, sinon, l’élève décroche.».
Cela dit, Pr Benammar estime que la durée des vacances doit être repensée : «La durée des vacances est à repenser selon la densité des contenus (objectifs pédagogiques) et la capacité physique et mentale de l’élève. Si ces contenus sont équilibrés selon le temps imparti à chaque trimestre, le problème ne se posera plus. Les vacances aussi seront réparties selon les efforts fournis lors du trimestre. L’élève a besoin d’une petite halte à la fin de chaque trimestre. Une semaine lui suffit pour récupérer, se déplacer s’il y a lieu et reprendre ses études sans tomber dans l’amnésie.»
Elle souligne également l’importance de l’organisation du temps scolaire : «Il y a un autre paramètre important à relever, c’est la répartition des matières dans son emploi du temps. L’élève se retrouve avec des journées “blindées” de 8h à 16h ou 17h et des journées avec des heures creuses. À l’époque, nous avions des salles d’étude ou de permanence dans les établissements. L’élève allait travailler dans cette salle quand l’enseignant était absent ou quand il avait une heure creuse. Cette vacance ponctuelle lui apprenait l’autonomie et le travail collaboratif. On voyait les élèves travailler ensemble. Ce qui crée une certaine motivation voire une compétition entre eux.»
Enfin, au sujet de la prise en charge éducative estivale, Pr Benammar propose une vision ambitieuse : «L’établissement scolaire devrait se transformer pendant les grandes vacances en un complexe d’activités, notamment pour les enfants défavorisés. Ouvrir les portes des écoles, collèges et lycées pour des activités constructives mais distractives permettra à l’élève de voir autrement son établissement (prison, corvée éducative…) et de se développer dans un espace qu’il connaît, mais avec une plus-value différente. Tous les dispositifs qu’on pourrait prévoir, seraient de bon aloi pour son développement à la citoyenneté.» Elle insiste sur la nécessité d’une «commission pluridisciplinaire (pédagogues, psychologues, sociologues, éducateurs, artistes…) qui élaborera un canevas d’activités selon l’âge et le niveau pédagogique de l’enfant. Ensuite, chaque spécialité prévoit des activités dans un programme éducatif, constructif, ludique, et culturel. D’autres idées ou initiatives viendront avec le temps et la concertation entre les partenaires sociaux.».

Réforme du temps scolaire pour une école ouverte

Ainsi, pour les deux pédagogues, Meziane Meriane et Ahmed Tessa, une réforme profonde du calendrier scolaire, avec une année prolongée et des vacances mieux réparties, est nécessaire afin de limiter la perte des acquis et de renforcer la continuité pédagogique. Pour Pr Naima Guendouz-Benammar, les vacances sont aussi un temps nécessaire de repos, d’équilibre et de développement global pour l’élève comme pour l’enseignant.
Cependant, tous appellent à une mobilisation collective – État, familles, associations, experts – pour bâtir une politique éducative qui conjugue réussite scolaire, bien-être et justice sociale.
En somme, la réforme du calendrier scolaire et la création d’une école ouverte semblent être indispensables pour améliorer la qualité de l’enseignement, réduire les inégalités, et garantir que chaque élève bénéficie d’un environnement propice à l’apprentissage et à son développement global, selon les experts. C’est un chantier complexe, qui demande une réflexion approfondie et une collaboration étroite entre tous les acteurs. Mais c’est aussi une formidable opportunité pour repenser l’école algérienne, en la rendant plus juste et plus efficace, à l’image des aspirations de notre société.

Y. Y.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 

Que prévoit la réforme du système éducatif algérien ?

La réforme du système éducatif algérien, engagée depuis plusieurs années et intensifiée à partir de 2024, vise à moderniser l’école publique, améliorer la qualité de l’enseignement et mieux répondre aux besoins des élèves et des enseignants. Parmi ses axes majeurs, elle s’attache à alléger les programmes, réduire le volume horaire des cours, et réorganiser les rythmes scolaires, autant d’éléments qui peuvent indirectement contribuer à atténuer les effets négatifs des longues vacances d’été.
Le ministère de l’Éducation nationale a ainsi annoncé une réduction du nombre de matières, notamment dans les premières années du primaire, afin de recentrer l’enseignement sur l’essentiel et de diminuer la surcharge cognitive des élèves. Cette mesure, accompagnée d’une augmentation des activités artistiques, sportives et ludiques, vise à diversifier les temps scolaires et à mieux équilibrer la charge de travail tout au long de l’année. Par ailleurs, l’introduction progressive de la langue anglaise et la généralisation de l’enseignement préparatoire, témoignent d’une volonté d’élargir les compétences des élèves dès le plus jeune âge.
En parallèle, la réforme prévoit une révision des calendriers et des rythmes scolaires, avec l’objectif d’instaurer une progression pédagogique plus cohérente et continue. Bien que la réduction spécifique des vacances d’été ne soit pas encore formellement inscrite, l’allègement des programmes et la meilleure organisation du temps scolaire devraient limiter la perte des acquis observée après les longues interruptions.

Y. Y.

Multimedia