Théâtre et économie en débat aux journées nationales du duodrame : Penser les arts de la scène comme une industrie

De notre envoyée spéciale à Saïda : Sara Kharfi

La Maison de la culture Mustapha-Khalef de Saïda a abrité, samedi, un débat sur la relation entre le théâtre et l’économie, dans le cadre des Journées nationales du Duo drame.
Le débat, animé par le professeur Lakhdar Mansouri, s’est concentré sur trois axes principaux : le théâtre comme industrie économique, les mécanismes de financement, d’autofinancement et d’investissement dans le secteur, ainsi que l’impact économique global du théâtre sur la société et l’économie nationale. Le Pr Mansouri a insisté sur le potentiel économique du théâtre, souvent perçu principalement sous l’angle artistique, «cet art devrait être considéré comme une véritable industrie culturelle et créative», dira le Pr Mansouri, générant, non seulement de l’emploi, mais aussi des revenus à travers la vente de billets, la production de spectacles et la création d’une véritable dynamique économique autour des arts de la scène. Retraçant l’historique des compagnies indépendantes en Algérie, il a rappelé que c’est Abdelkader Alloula qui a créé la première coopérative théâtrale, en 1988.
Bien qu’elle ne soit pas la première à incarner le théâtre indépendant, elle est née dans un contexte d’émergence d’un cadre juridique structurant ces entités et ouvrant la voie à une diversification de l’offre culturelle et à une meilleure structuration de l’industrie théâtrale. L’intervenant s’est intéressé aux défis financiers qui impactent directement la mise en scène et les choix artistiques. Faute de moyens suffisants, de nombreux créateurs se tournent vers des dispositifs scéniques minimalistes afin de faciliter les tournées et réduire les coûts de production. Cette démarche engendre une transformation du produit artistique et de la représentation scénique.
Les nouveaux dispositifs légers, les décors mobiles et les spectacles en format réduit ont modifié les attentes du public tout en répondant aux contraintes budgétaires. Cependant, ces changements soulèvent des questions sur la préservation de la richesse créative et artistique du théâtre algérien face à une économie toujours plus exigeante. Lakhdar Mansouri a également insisté sur l’importance de l’investissement dans le secteur, aussi bien du côté de l’Etat que du privé. Bien que l’Etat apporte un grand soutien à travers ses institutions culturelles, l’aide publique ne peut, à elle seule, tout prendre en charge pour assurer un développement durable du secteur. «Il est impératif de diversifier les sources de financement», a-t-il souligné. Toutefois, si l’intérêt des investisseurs privés existe, il est majoritairement dirigé vers des productions de théâtre populaire et de comédie, qui séduisent un large public, mais ne garantissent pas une viabilité économique à long terme pour l’ensemble du secteur. Même s’il favorise l’accessibilité au théâtre, ce modèle soulève aussi la question de la diversité artistique et la préservation de la richesse des expressions théâtrales en Algérie.
En outre, l’impact économique du théâtre va bien au-delà de la scène elle-même. Il joue un rôle important dans la création d’emplois, que ce soit pour les artistes ou pour les techniciens. La production théâtrale engendre également une activité autour des équipements et des services connexes (restauration, transport, etc.), contribuant ainsi à l’économie locale. L’un des enjeux majeurs du secteur est «de trouver un modèle économique qui permet aux compagnies de se développer tout en assurant une rentabilité durable», a signalé l’intervenant.
Les intervenants ont souligné la nécessité de repenser l’approche économique du théâtre en Algérie afin de lui permettre de se développer tout en restant fidèle à sa vocation. Le dialogue entre les différents acteurs, qu’ils soient publics, privés ou artistiques, est essentiel pour bâtir un avenir solide et durable pour le théâtre. Malgré les défis économiques, le théâtre reste un levier de développement. L’Etat poursuit ses efforts pour renforcer son rayonnement et, plus largement, celui de la culture. Parmi les initiatives en cours, la promulgation prochaine de la loi sur les coopératives artistiques vise à structurer et dynamiser le secteur, offrant ainsi un cadre juridique plus adapté.

S. K.

Multimedia