
«C’est toujours la révélation sensationnelle d’un Dieu ou l’apparition d’un mythe qui marque le point de départ d’une civilisation. Il semble que l’homme doit regarder ainsi par delà son horizon terrestre pour découvrir en lui le génie de la terre en même temps que le sens élevé des choses.» («Les conditions de la renaissance», 1949). Intellectuel prolifique, à l'intersection Orient-Occident, écrivain politique, chercheur pluridisciplinaire, la production bibliographique de Bennabi est impressionnante par son abondance, son large spectre, et surtout sa fraîcheur. Commis entre 1946 et 1973, trente ans d’intenses écritures, ses livres traitent de thèmes d’une incandescente actualité. Sur les plateformes de vente en ligne, on se l’arrache. «Mondialisme», «Islam et démocratie», «la réforme de l’homme musulman et renaissance islamique», «le problème des idées dans le monde musulman», l’œuvre épouse une vision d'ensemble de l'avenir de l’humanité prise dans les entrelacs de ses contradictions. D’où son concept de «convivencia universelle», projet universel de cohabitation , aujourd’hui à la page, servi sous l’appellation onusienne «Journée du vivre ensemble en paix». «Le phénomène coranique, son premier -grand succès--, édité en 1946, est l’un de ses préférés. Syncrétique, concordiste avant l’heure, il y démontra que les sciences modernes peuvent établir l'authenticité de la révélation coranique, ce qui revient à «fournir au musulman moderne; un fondement rationnel de sa foi». «Dieu ne change rien à l'état d'un peuple tant que celui-ci n'a pas d'abord changé ce qu'il a en lui-même.» (Coran 13/22). Ce verset, Bennabi l’opposera au déterminisme d’un monde musulman. En 1948, il récidive avec un second grand livre «Les Conditions de la renaissance» dans lequel il «ose» le concept qui fâche (encore) : la «colonisabilité» , soit cet «état d’incapacité à se gérer collectivement», une «psychologie de la résignation», déficits en projets collectifs et ou «le pouvoir s’occupe de durer tandis que les individus se laissent vivre, indifférents au lendemain, jusqu’à ce que survienne une invasion étrangère (...). Comme Ibn Khaldoun, Mohamed Abdou et Kawakibi, il développe une critique implacable de la vieille culture et société arabo-berbère, défaite à la chute de l’Empire almohade. Dans «Vocation de l’Islam» (en 1955), il précise : «L’homme post-almohadien qui a succédé à l’homme de la civilisation musulmane et qui porte en lui tous les germes d’où allaient surgir successivement et sporadiquement tous les problèmes désormais posés au monde musulman… Sous quelque aspect qu’il subsiste – pacha, faux «alem», faux intellectuel ou mendiant – cet homme est la donnée essentielle de tous les problèmes du monde musulman depuis le déclin de sa civilisation… Il est l’incarnation de la colonisabilité, le visage typique de l’ère coloniale, le clown auquel le colonisateur fait jouer le rôle d’«indigène» et qui peut accepter tous les rôles, même celui d’«empereur», si la situation l'exige. Dans «Mémoires d'un témoin du siècle», ultime opus, toujours la puissante pensée au service de la toute puissante renaissance. Bennabi y pointera « le mimétisme et le millénarisme» d'une société lyophilisée, «deux faces insécables du ressac dans la conscience du colonisé.»
M. Az.
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Laïb Haïdar, Messaouda Ali Louaar et Soulaf Attabi primés
Faire aimer les nourritures de l'esprit en s’inspirant de la philosophie du grand penseur Malek Bennabi. Lancé en mars dernier, le Concours national de lecture Malek-Bennabi a connu, jeudi, son épilogue. Une première édition qui en appelle d'autres. Le directeur général de l'Agence algérienne du rayonnement culturel (AARC), Abdelkader Bendamèche, annonce que la compétition portera, chaque année, le nom d'un penseur algérien en vue de valoriser son patrimoine et ses œuvres. Le jury a dévoilé les 3 lauréats de cette 1re édition, Laib Haidar (premier prix), Messaouda Ali Louaar (2e) et Soulaf Attabi (3e) en plus de trois autres prix d'encouragement. Cette première édition consistait à produire des résumés succincts de l'oeuvre : «Naissance d’une société : le faisceau des relations sociales», l’un des ouvrages les plus originaux de Bennabi (édité en juin 1962 au Caire en langue arabe), où il souligne que le mécanisme du mouvement de l’histoire a son origine dans un processus psychologique (tension psychologique).» C’est la dynamique sociale qui en est le moteur. «Cela veut dire qu’une cause initiale a vaincu l’inertie originelle en transformant toutes les données statiques du milieu en valeurs dynamiques.» Pour Bennabi, les civilisations ne se sont pas formées «naturellement mais par un pouvoir créateur», nées «d’un phénomène énergétique». Le premier acte historique d’une société, écrit-il, à sa naissance, est l’établissement de son réseau de relations sociales. Le premier acte est celui qui transforme l’individu en personne en transformant les caractères grégaires qui le lient à l’espèce, en affinités sociales qui le lient à la société. Ce sont les liaisons propres au monde des personnes qui fournissent les liens nécessaires entre les idées et les choses dans l’action concertée d’une société. Les rapports entre personnes sont des rapports culturels, c’est-à-dire des rapports assujettis aux normes d’une culture entendue, à la fois comme ambiance et comme un ensemble de règles éthiques, esthétiques, etc.»
M. Az.