
La postérité laisse de Mohamed Iguerbouchène le souvenir du père incontesté du métissage musical en Algérie. En fait, l’immensité de son talent va bien au-delà de la musique de films dont il est le premier compositeur classique algérien de l’histoire.
Preuve en est, le fabuleux parcours et l’œuvre colossale de l’artiste d’exception que retrace, dans son essai, Dr Mouloud Ounnoughène. Dans l’avant-propos du livre, l’auteur —qui, en plus d’être neurochirurgien, est lui-même musicien, ancien producteur et animateur d’émissions radiophoniques sur les musiques du monde—, note qu’«il est des artistes qui marquent leur époque par le talent ; d’autres inscrivent leur nom par l’originale créativité ; très peu gravent dans la postérité leur génie historiométrique dans le panthéon des artistes. Iguerbouchène hérite de ce qualificatif, malheureusement à titre posthume» (page 5). Et Mouloud Ounnoughène de poursuivre sa narration non sans souligner le génie du compositeur musical : «Son œuvre musicale, incommensurable et unique, ennoblie par une technicité exceptionnelle, une qualité harmonique étonnante et une variabilité stylistique déroutante, brille tel un diamant» (id.)
Un peu plus loin, l’auteur précise sa pensée dans la langue adéquate d’un héritier des classiques : «Le talent d’Iguerbouchène est magnifié par des catalyseurs qu’il a su naturellement saisir, et ce, à travers notamment son long et inépuisable parcours initiatique qui le conduit depuis son Djurdjura natal aux prestigieuses écoles de musique européenne de son époque. De Londres à Vienne, de Milan à Paris. De chacune de ces villes, il capitalisera et rapportera son lot d’érudition. Il en est sorti bardé et nanti d’un savoir musical exceptionnel, une moisson de notes merveilleuses, le voilà ainsi outillé dans la magnifique entreprise de composition». (id.)
Pour Ounnoughène, Mohamed Iguerbouchène n’est pas seulement le «premier compositeur algérien de musique de films, dont l cosigne avec Vincent Scotto la bande son du film ‘’Pépé le moko’’ avec Jean Gabin». Il grave également «ses croches dans les studios américains de Walter Ranger / United Artists, notamment pour le compte du film ‘’Algiers’’ : C’est la sulfureuse Hedy Lamarr et le talentueux Charles Boyer qui tiennent la tête d’affiche. Iguerbouchène illustre musicalement le charmant ‘’Bim, le petit âne’’» ; quant au commentaire, il est écrit et dit par Jacques Prévert. Mohamed collabore également avec Tahar Hennache, le précurseur du cinéma algérien, dans le film documentaire «Ghatassine essahra» (Les puisatiers du désert). «Père du métissage musical en Algérie, Mohamed Iguerbouchène a synthétisé, voire assimilé différentes cultures musicales : maghrébine, européenne, orientale et africaine. Ces influences mutuelles se déclinent dans ses compositions ; la rhapsodie concertante, blue dream, la férie orientale sont quelques exemples qui illustrent bien cette démarche» (page 6). (…) «Le métissage musical dont il est question se rapporte aux confrontations de styles, de rythmes et d’instruments de musique pour, en fait, tomber dans un cadre d’interprétation de genres. Le but étant de vivifier les créations musicales par les différents trocs d’esthétique» (page 9).
Dans son ouvrage, l’auteur ne se limite pas seulement à retracer le parcours et l’œuvre de Mohamed Iguerbouchène dont il estime que c’est «un cas d’école unique et que sa renommée dépasse le Maghreb», que «sa notoriété n’a pas d’égale au Moyen-Orient (…)». Il consacre aussi une belle part à la biographie de Fransico Salvator Daniel (1831-1871), un musicologue et orientaliste qui a mis en partition la musique kabyle (pp. 13 à 21)
Il consacre, par ailleurs, un espace important à un hommage rendu au compositeur classique ainsi qu’à des témoignages effectués respectivement par Karim Tahar, musicien chanteur, Mustapha Sahnoun, musicien compositeur et interprète, Zoheir Abdelatif, ancien producteur à la radio et télévision nationales et Salem Kerrouche, professeur d’enseignement musical (pp. 91-114).
Kamel Bouslama
Mohamed Iguerbouchène, une œuvre intemporelle, du Dr Mouloud Ounnoughène, Éditions Dar Khettab, Alger 2015, 127 pages.