Le cinéma palestinien contemporain connaît depuis quelques années un souffle inédit, avec des œuvres qui explorent l’intimité, la mémoire et la complexité sociale, au-delà des récits classiques centrés sur l’occupation. C’est dans ce sillage que s’inscrit «Merci de rêver avec nous», premier long-métrage de la réalisatrice palestinienne Laila Abbas, présenté, samedi soir, à la salle Ibn- Zeydoun, dans le cadre de la compétition des longs-métrages de fiction du 12e AIFF.
Le film retrace le parcours de deux sœurs, Noura et Mariam, à Ramallah. Après le décès de leur père, elles se retrouvent face à la délicate question de l’héritage familial, une quête qui dépasse le simple enjeu matériel pour devenir un miroir des liens fraternels, de la solidarité et des tensions intérieures. Ce choix de se concentrer sur le monde féminin, sans exclure totalement la présence masculine, permet au récit de sonder avec finesse les dynamiques familiales et sociales palestiniennes.
Ce qui frappe dès les premières minutes, c’est la capacité du film à créer une intimité palpable. Abbas laisse chaque silence, chaque regard et chaque geste parler d’eux-mêmes. La subtilité des émotions, parfois légères, parfois intenses, donne au spectateur le sentiment d’assister à un moment vécu plutôt qu’à une fiction théâtralisée. Le scénario, d’une densité rare pour un premier long-métrage, se distingue par sa structure dramatique rigoureuse. Chaque personnage possède une trajectoire distincte et complémentaire, et chaque décision révèle une part de son identité. Le mélange drame et comédie, savamment dosé, apporte au récit une respiration naturelle, rendant les personnages profondément humains et attachants. La ligne émotionnelle du film est claire et cohérente : explorer la manière dont les femmes se battent pour exister et se réapproprier leur espace, à la fois matériel et symbolique. Abbas réussit ce pari avec élégance, évitant tout manichéisme et offrant une lecture subtile de l’équilibre des forces dans la sphère familiale. Le travail de mise en scène est un autre atout majeur. La caméra, souvent mobile, accompagne les personnages sans jamais les envahir, créant un rythme fluide et immersif.
La lumière, douce et modulée, souligne les ambiances intimes et les tensions émotionnelles sans recourir à l’artifice. Chaque plan semble réfléchi, chaque cadre raconte quelque chose sur les personnages et leurs relations. Les objets du quotidien, les espaces domestiques, les rues de Ramallah deviennent des extensions des émotions des protagonistes, ajoutant une dimension poétique à une intrigue très concrète. La dimension sociale, subtilement intégrée, enrichit le récit et le rend crédible, sans jamais devenir un discours politique lourd ou moralisateur.
Avec ce premier long-métrage, Laila Abbas signe une œuvre d’une maturité rare. Esthétique soignée, écriture subtile, direction d’actrices convaincante et sensibilité sociale fine font de ce film un exemple brillant de cinéma palestinien moderne. Il confirme la place du regard féminin dans la construction d’un récit à la fois intime et universel.
S. O.