
Rencontré, lors du Salon du livre à l’occasion d’une séance de vente-dédicace, l’écrivain-journaliste Mohamed Koursi nous a longuement entretenus sur les tenants d’une presse qui gagnerait à se libérer de ses démons et surtout de ses vieux réflexes. Son livre, une nouveauté du genre dans le monde de l’édition, offre au lecteur un round-up exhaustif sur le monde de la presse et une série de références et de portraits agrémentés d’un QR-code qui permet de basculer vers des vidéos et des documents publiés sur la Toile, d’un simple clic.
L’auteur rappelle, dans sa note, que son livre «Jeux de pouvoirs en Algérie, plumes rebelles» est une version modifiée de «Journalistes en Algérie : destins individuels, histoire collective». Il précise que cette seconde édition a été restructurée pour intégrer la révolution du 22 février 2019. Une révolution qui a interpellé toute la société. Par conséquent, les médias ne pouvaient échapper à sa lame de fond. Il poursuit : «Largement critiqués pour une supposée inféodation aux pouvoirs politique ou financier, des journalistes ont tenté leur révolution au sein de ce mouvement. C’est cette figure de journaliste qui a servi tour à tour le pour, le contre, les fous et les sages que j’ai essayé de pister, depuis la fin des années 1930 à nos jours, pour tenter de comprendre ce rapport des médias au pouvoir». Dans cette foisonnante mosaïque, des noms ont émergé, d’autres ont été plongés dans les affres de l’amnésie. Il exhume tout au long de ce siècle de voyage pratiquement, les faits politiques, généralement des jeux de pouvoir.
Le livre est donc «un itinéraire» qui commence en septembre 1938 et se termine fin septembre 2019, quand l’histoire a questionné le journaliste sur sa pratique et l’a jugé sur son engagement pour les libertés individuelles et collectives. Que s’est-il passé, s’interroge l’auteur, pour que la plume d’Albert Camus, Mohamed Dib, Kateb Yacine, Henri Alleg, Abdelhamid Benzine évolue à travers le temps, passant de noms qui n’ont pas eu peur d’aller au charbon (Abane Ramdane, Zahir Ihaddaden, Serge Michel, Pierre Chaulet...) à des journalistes au parcours flamboyant, même si controversé (Kheireddine Ameyar, Ali-Bey Boudoukha, Kamel Belkacem…) à des trajectoires dramatiques (journalistes assassinés par les terroristes) pour, enfin, parvenir à des journalistes, quasiment sans référents politiques ou idéologiques qui se contentent, suprême désinvolture, de répercuter des communiqués ? Grandeur et servitude d’une profession tant aimée et tant outragée. Cela étant, l’ouvrage est un essai qui n’a rien à voir avec une anthologie. C’est un hommage rendu à des plumes rebelles, à des noms emblématiques comme il sied de les distinguer dans le microcosme de la corporation. Une histoire racontée de l’intérieur par un journaliste qui a eu à exercer de longues années. Un document qui traverse le temps, écrit avec un certain souci du détail, puise sa source dans le mouvement national dans une Algérie en armes, qui remémore l’enthousiasme vrai ou feint des fameuses tâches d’édification nationale des années 1960, qui bascule dans les années 1990 dans l’aventure intellectuelle, pour s’enferrer durant les années 2000 dans les rets d’une gestion mercantile. Une presse au destin bien singulier avec ses zones d’ombre et ses fulgurances. C’est aussi une ample réminiscence de l’absent qui convoque les existences d’hommes et de femmes ayant forgé la légende d’une profession passionnante, trépidante et endiablée. Une nouveauté a été introduite dans ce livre : l’intégration des codes QR, un pictogramme-passerelle, entre la version papier et le contenu numérique.
Le travail de Mohamed Koursi est à féliciter pour le message qu’il transmet, avec, il faut le dire, un brin de nostalgie. C’est un dense témoignage à lire et à méditer.
K. M. / M. B.
Bio-express :
Mohamed Koursi, sociologue de formation, est journaliste et enseignant universitaire, lauréat, en 2014, du Prix Ali Boudoukha du journalisme d’investigation. Il a donné des conférences sur les médias, notamment à l’Institut diplomatique et des relations internationales, au ministère des Affaires étrangères et dans les universités. Son livre, Journalistes en Algérie : destins individuels, histoire collective, a reçu, en 2018, le Prix Essai à la journée du Manuscrit francophone.