Fateh Boumahdi, écrivain et journaliste : «L’enfance est source de souvenirs et d’inspiration»

Entretien réalisé par : Sihem Oubraham

Derrière le père, il y a un homme ! Comment une relation entre père et fils peut dégénérer en colère et en haine... comme se veut la tradition, Fateh Boumahdi était très dévoué à répondre à nos questions et nous dévoile quelques secrets...

El Moudjahid : Ce chef-d'œuvre littéraire reflète votre maturité, nous sentons que vous y avez adapté un autre style... pourquoi ?

Fateh Boumahdi : On prend de la maturité chaque jour que Dieu fait. Il est impossible pour moi de rester sur un style plutôt simple. J'ai tout simplement donné la parole à mon esprit et mon âme. C'est grâce aux événements marquants, pour ne pas dire brusquants, qu'on acquiert de la maturité, c'est une force qui crée en nous une sorte de détermination de vouloir surmonter et les événements et nous-mêmes. Et au final, la maturité se dévoile. Je sens cette différence en moi que ce soit en matière de réflexion ou d'agissement. Et j'accepte cela, je me découvre et je découvre la vie et ses aléas.
En lisant votre troisième roman, nous avons l’impression que vous l’avez écrit avec votre âme et non pas avec un esprit d’intellectuel ?
Je suis heureux d’apprendre que c’est cette impression que vous avez eue, cela veut dire que mon livre porte une âme, une certaine sensibilité et je pense que c’est le plus important dans chaque écrit. Pour répondre à votre question : oui, j’y ai mis une bonne partie de mon âme pour ne pas dire toute mon âme. Ce n’est pas autobiographique, je devrais encore patienter avant de sauter le pas et écrire un livre autobiographique, il me reste des choses à vivre mais toujours est-il ce sujet me collait à la peau et certains faits évoqués dans l’ouvrage je les ai réellement vécus, on va dire que c’est des souvenirs qui s’entremêlent avec de l’imagination. Je pense que nous n’avons pas besoin d’avoir un bon paquet d’années derrière nous pour être marqués par des événements joyeux ou tragiques et écrire. L’enfance est source de souvenirs et d’inspiration.
Pourquoi dites-vous que ce sujet vous collait à la peau ?
Tout simplement parce qu’on ne guérit pas de certains ressentis. Le personnage m'a habité et j'ai voulu écrire sur la plus grande déception du personnage du roman, celle de ne pas avoir connu ce qu’est réellement l’affection paternelle. C'est assez courant ! Ça peut être l'histoire de plusieurs personnes mais qui n'osent pas en parler. Ça peut également remettre en question l'attitude de certains pères aussi. Pourquoi pas? Il existe des pères et il existe des géniteurs. Le mot père est bien trop grand à porter pour certains hommes et leurs attitudes blessent forcément l’enfant qui n’a rien demandé, mais à qui la faute ? Les rôles s’inversent et ça marque à vie. C’est difficile de faire le deuil d’un parent en vie. Le plus judicieux serait de se reconstruire.

En parcourant les chapitres de votre roman, nous remarquons une forte présence de la culture algérienne, du patrimoine culture immatériel et même spirituel ?
En effet, la culture algérienne me hante dans un sens positif et notre patrimoine culturel est inépuisable. A chaque découverte j’ai l’impression qu’une partie de moi renait. Il faut dire que mon métier de journaliste satisfait considérablement ma curiosité. J’ai eu la chance de découvrir bon nombre de choses et de détails sur notre culture si vaste. Notre culture est thérapeutique, ses rythmes, ses couleurs, ses goûts, son architecture, ses odeurs, tout... Et pour le patrimoine spirituel, il a, de tout temps, existé en Algérie, c’est important de l’évoquer, d’en parler et de rendre hommage à nos saints patrons et chouyoukh qui ont ancré et surtout véhiculé l’éducation, la culture et la pensée soufie. C’est un patrimoine spirituel à préserver jalousement et à transmettre aux générations futures. Le soufisme est un océan intérieur, tout se passe à l’intérieur.

La ville d’Alger est présente dans vos précédentes publications mais aussi dans ce dernier ouvrage, pourquoi Alger ?

Alger est indispensable. Alger est une ville qui a une âme assez imposante et pénétrante pour tous ceux qui peuvent ou arrivent à apercevoir les rayons de soleil en plein hiver, ceux qui osent et ceux qui ont les même humeurs qu’Alger. Elle ne me quitte pas, elle m’inspire, elle me secoue, elle me fatigue et tard le soir elle me murmure des mots et me rassure. Alger, je l’aime et puis c’est tout. Cela ne veut pas dire que je suis insensible aux villes algériennes, à chacune ses énergies. Le Sud algérien me parle également, mais d'une manière différente.

Vous avez entamé l'écriture très jeune... que représente la plume pour vous ?

Tout a commencé spontanément, c'est comme un coup de foudre, on ne sait pas comment ni pourquoi on aime cette personne. Je me souviens très bien de la toute première fois que j'ai commencé à écrire, la toute première fois. Je ne dirai pas que c'était un rêve de devenir écrivain c'est un heureux accident... Petit, j'adorais les mots, j'étais curieux de chercher les synonymes et antonymes de chaque mot qui se présentait à moi, et j'essayais de mettre des mots adéquats sur chaque situation, j'apprenais également les dictons algérois ou autres... Mais je dois vous avouer que plus le temps passe et plus ça devient un besoin vital. On ressent toujours le besoin de dire des choses, de raconter des choses, de consoler et les autres et nous-mêmes. La littérature fait du bien à l'âme et à l'esprit. Mais surtout apporte de la douceur à ce monde et témoigne d'une certaine hypersensibilité parfois négligée. Tous les arts sont complémentaires, cependant sans lettres, sans paroles tout devient fade. Les mots sont d'innombrables symphonies, des âmes.

Allez-vous prendre part à la 26e édition du salon international du livre d’Alger ? Et comptez-vous participer avec ce roman à un prix littéraire ?

Le Sila est un événement tant attendu et incontournable, donc, oui je serai présent cette année au sila après deux ans d’absence pour moi, c’est un heureux come-back. D’ailleurs il sortira officiellement au Sila. Pour ce qui est de la participation à un prix littéraire, je pense qu’il faudrait poser la question à mon éditrice, elle connaît bien ses auteurs, leurs écrits et ce qui est bon pour eux ou pas. C’est à elle de décider. Je lui fais confiance !

S. O.

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Biographie

Né à Alger en 1998, Fateh Boumahdi est titulaire d'une licence en Droit Privé et travaille en tant que journaliste à la Chaîne III de la Radio nationale. Il est l'auteur de deux romans et a été récompensé en 2021 par le prix Ali Maâchi. Préoccupé par les non-dits du raisonnement de la pensée, il écrit pour exorciser la douleur du bonheur que peut engendrer chacune des interactions humaines. Chaque histoire est un fragment de vie qu'il s'efforce de reconstituer pour éviter que le passé ne le brise de nouveau.

S. O.

Sur le même thème

Multimedia