La salle obscure d’Ibn-Zeydoun avait, vendredi soir, des allures de refuge sensoriel. Dans le cadre de la compétition long-métrage de fiction du Festival international du film d’Alger, le public a découvert Después del final (après la fin), la plus récente odyssée cinématographique du réalisateur argentin Pablo César, figure singulière du cinéma poétique latino-américain. Tourné en 35 mm, le film s’inscrit dans la continuité d’une œuvre marquée par le rêve, la mémoire et les voyages intérieurs.
Inspiré d’une histoire réelle et porté par la présence bouleversante de Luz Fernández de Castillo qui interprète sa propre vie à travers le personnage de Gloria, «Después del final» s’ouvre comme un geste d’adieu et de transmission. Gloria, artiste de 88 ans, voit son existence vaciller lorsque son mari décide de quitter le pays, un départ anodin en apparence et pourtant lourd de sens qui déclenche en elle une série de réminiscences, de retours, d’aveux intérieurs, de lueurs d’autrefois. elle comprend peu à peu que son propre chemin se rapproche de son terme et, dans ce clair-obscur d’âme où les souvenirs se mêlent à la respiration du présent, sa vie entière se met à défiler comme un fleuve aux eaux superposées, les scènes du passé s’imbriquant naturellement dans celles du présent, sans rupture, sans frontière, comme si la mémoire d’une femme pouvait être un pays entier. Dans une distribution précise et profondément humaine où l’on retrouve Héctor Bidonde au crépuscule de sa carrière ainsi qu’Eleonora Wexler et Lisandro Carret qui incarne le mari dans sa jeunesse, l’émotion circule comme un souffle, portée par la force tranquille de Luz Fernández de Castillo, dont chaque regard porte la densité d’une vie vécue, à Mar del Plata où le film fut présenté en première mondiale, puis à Grenade où il entra en compétition. le public avait déjà ressenti cette vibration particulière liée à l’ombre tutélaire de Federico García Lorca dont la poésie, le rythme ou encore le duende irriguent la structure interne du film. À l’issue de la projection, Pablo César a expliqué, dans une déclaration à El Moudjahid, l’architecture secrète qui soutient le récit, insistant sur l’importance du lieu où se déroule une partie du film : «Il s’agit d’une petite pièce située derrière la scène du théâtre. Un espace à la fois un vestiaire et un seuil où Gloria reçoit ses proches disparus, dont son père, tante et frère, ils apparaissent simplement et lui parlent comme on parle à quelqu’un que l’on connaît depuis toujours, ils ne sont pas des fantômes mais des présences, des voix qui l’aident à traverser son épreuve.» Le cinéaste évoque une scène essentielle, celle où l’un de ses proches surgit et lui pose la question : «Qu’est-ce que tu fais ici, est-ce que tu es prête», elle répond qu’elle ne l’est pas, et lui, avec une tendresse grave, lui dit en substance : «Prête ou pas, il faut y aller.» selon Pablo César, ce moment représente la préparation à la mort, un passage intérieur où la conscience s’accorde enfin à ce qui vient, non par résignation mais par lucidité. Plus tard, lorsque Gloria danse un flamenco les bras ouverts, cette danse n’est pas un adieu désespéré mais un acte de victoire, elle danse parce que c’est ce qui lui reste, parce que danser est sa manière de continuer. Le réalisateur insiste sur la fin volontairement ouverte : Gloria part ou reste, on ne le saura jamais vraiment, mais pour lui, l’héroïne reste toujours à nos côtés », comme une présence qui persiste entre les deux rives du monde. Tourné à Olivos, San Isidro et dans les quartiers qui ont vu naître le regard artistique de Pablo César, ce film est aussi un retour aux sources, un geste humble vers le passé, le cinéaste se souvenant même de ses débuts en Super 8 au Puerto de Olivos où, dit-il, il demandait aux membres du club de jouer dans ses premiers essais et où Boy Olmi père avait accepté de figurer devant sa caméra. ce fil de mémoire traverse le film comme une ligne secrète reliant le créateur à ses origines. À Ibn- Zeydoun, l’expérience fut à la fois intime et collective, le public, malheureusement peu nombreux, s’est retrouvé plongé dans un film où l’éphémère côtoie l’éternité, où la vie glisse lentement vers la nuit tout en laissant derrière elle une lumière douce. «Después del final» n’est pas seulement un récit sur la fin, il est une méditation sur le fait de rester, de se souvenir, d’aimer encore, une œuvre où la vraie vie rejoint la fiction et où Pablo César offre à Alger un cinéma rare qui regarde la mort avec douceur et la mémoire avec une infinie tendresse.
S. O.