«Abrid N Usirem» de Noureddine Kebali : quand le destin change de visage

Présenté au Film Market de la 12e édition du Festival international du film d’Alger, «Abrid N Usirem» (le chemin de l’espoir) s’impose comme un projet puissant et profondément humain, inspiré d’une histoire réelle et porté par l’écriture et la réalisation sensibles de Noureddine Kebali. Le film, d’une durée de 137 minutes, développe un récit où le drame intime d’un homme se mêle à la majesté des montagnes kabyles, transformant un simple chemin en une traversée intérieure.

L’histoire suit Idir, berger d’un village de haute altitude, confronté à la disparition énigmatique de sa sœur cadette qui ne laisse derrière elle que quelques carnets remplis de notes troublantes. Refusant la résignation, il entreprend un long parcours solitaire à travers crêtes et vallées, lisant les reliefs comme on lit une mémoire qui se dérobe. À mesure qu’il avance, il découvre non seulement les traces de sa sœur, mais aussi ses propres zones d’ombre, ses fragilités, sa place silencieuse dans une communauté marquée par les secrets et la résistance quotidienne.

Ce voyage devient autant une quête de vérité qu’un acte de reconstruction intime. La mise en scène de Noureddine Kebali se distingue par une grande maîtrise du réel, la caméra privilégie des plans larges qui embrassent les paysages et installent une respiration ample, puis s’approche avec douceur pour capter un regard vacillant, un souffle hésitant, une tension qui ne se dit pas. La lumière naturelle, jamais forcée, accompagne chaque geste et chaque émotion, octroyant au film une texture presque organique. Les mouvements de caméra restent rares et précis, pensés pour accompagner une vibration intérieure plutôt qu’un effet visuel.

Le jeu des acteurs repose sur la directive qui dirige ses interprètes et les invite à incarner leurs personnages plutôt qu’à les illustrer. Idir, au centre du récit, porte en lui une douleur contenue qui se lit dans son corps avant de se lire dans ses mots. La retenue de son interprétation, loin de restreindre l’émotion, la rend plus poignante encore. Les paysages ne sont jamais de simples décors ; ils deviennent une présence, presque une conscience, qui accompagne ou contrarie la marche d’Idir. Le vent, les bruits de la forêt, les échos des vallées forment un tissu sonore qui dialogue avec les états d’âme du personnage et confère au film une dimension sensorielle enveloppante.

Cette fusion entre l’homme et le territoire donne tout son sens à la durée étendue du film, qui épouse le rythme naturel du deuil et de la réparation intérieure. A travers Abrid N Usirem, Noureddine Kebali propose une œuvre d’une maturité rare où l’intime et le paysage avancent côte à côte. Ce projet révèle un cinéma algérien capable de s’emparer du réel, de la douleur et de la lumière avec une simplicité profonde et une maîtrise visuelle remarquable. Si le film parvient à se concrétiser pleinement, il pourrait s’imposer comme l’une des œuvres majeures d’une nouvelle génération qui choisit de raconter moins pour dire plus, et de filmer lentement pour toucher juste.

S. O.

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