
Par Boukhalfa AMAZIT
«Toute la bassesse et la cruauté de notre civilisation se mesure à cet axiome stupide que les peuples heureux n'ont pas d'histoire.»
(Albert Camus)
Un communiqué concis, pour ne pas dire laconique, publié mardi 9 mars, posté du Palais de l'Elysée, siège de la présidence de la République française, annonçait, urbi et orbi, que le chef de l'Etat, Emmanuel Macron a «pris la décision de permettre aux services d'archives de procéder dès [hier mercredi] aux déclassifications des documents couverts par le secret de la défense nationale (...) jusqu'aux dossiers de l'année 1970 incluse». Le communiqué précise que «cette décision sera de nature à écourter sensiblement les délais d'attente liés à la procédure de déclassification, s'agissant notamment des documents relatifs à la guerre d'Algérie». Les premiers à s'en féliciter, bien sûr, sont les historiens et chercheurs, car ils auront enfin la possibilité de délier les cordons des boîtes d'archives et les ficelles des cartons, tant convoités depuis plusieurs années.
Ces mesures, sont présentées par les observateurs, tant français qu'algériens, comme des «gestes d'apaisement», qui viennent s'ajouter à d'autres. On rappelle à cet effet, la reconnaissance de l'assassinat par l'armée coloniale de Maurice Audin, militant communiste engagé dans la lutte pour l'indépendance. On cite également, la restitution en juillet 2020, de 24 crânes des résistants algériens du XIXe siècle, «prisonniers» du musée de l'Homme à Paris depuis 180 ans. Et plus récemment, toujours dans le but de replacer les fauteuils dans le sens de l'histoire, la reconnaissance le 2 mars, dernier «au nom de la France», que l'avocat Ali Boumendjel, militant indépendantiste, a été «torturé et assassiné par l'armée française». On rappelle que M. Macron avait invité les quatre petits-enfants du martyr de la Révolution algérienne, pour leur dire «au nom de la France» que leur aïeul ne s'est pas suicidé, comme cela avait été prétendu depuis 1957 par les autorités de l'ancienne puissance colonisatrice, mais qu'il a été victime de l'armée française. A suivi un communiqué, festonné comme de la passementerie de Saint-Etienne, qui rappelle le parcours «citoyen» du jeune Ali Boumendjel «fort d'une culture ouverte, généreuse, humaniste, puisant aux sources des Lumières», et les circonstances de la mort du héros national algérien. La question qui se pose est de savoir, pourquoi les officiels français reconnaissent-ils l'assassinat d'Ali Boumendjel, alors que, selon la version des mêmes officiels, Larbi Ben M'Hidi froidement assassiné, lui aussi, le 4 mars de la même année 1957, soutiennent qu'il s'est suicidé. Pourtant, le général-tortionnaire Paul Aussaresses a avoué, dans ses mémoires, tout comme il l'a fait concernant Ali Boumendjel, qu'il a pris part à son assassinat, également maquillé en suicide. En fait, tout cela, et bien d'autres crimes colonialistes, est bien connu de ce côté-ci de la tragédie.
Retenons que M. Emmanuel Macron promet qu'il ne s'agit pas là «d'actes isolés» et «qu'aucun crime, aucune atrocité commise par quiconque pendant la Guerre d'Algérie, ne peut être excusé ni occulté». De son côté, la presse, d'une façon générale, relève et ponctue, tout juste si elle ne s'en réjouit pas patemment, qu'il «a exclu toute repentance et excuses». Mais enjambons pour l'heure ces obstacles qui ralentissent le cheminement favorable de cette question du contentieux historique. M. Benjamin Stora, historien, spécialiste du Maghreb, en particulier de l'Algérie qui l'a vu naître, atout non négligeable, dans sa position d'interface, préfère parler de «réconciliation des mémoires». Historien, renommé et reconnu des deux côtés de la Méditerranée, dont la probité n'est pas à démontrer, il avait été missionné, en juillet 2020, par le Président de son pays, pour élaborer un rapport en vue de désopiler les vaisseaux des relations bilatérales, obstruées par le cholestérol politique accumulé pendant plusieurs années de dérobades, d'esquives et de tergiversations.
Ainsi donc le rapport de Stora remis le 20 janvier dernier, au président français et les «préconisations» au nombre de 29, qu'il propose à la fin de sa réflexion, apparaît de plus en plus comme une feuille de route de l'Elysée. Wait and see.
Accéder librement aux archives est un pas important. Mais comme l'objectif de la lutte pour l'indépendance était de recouvrer la liberté, la souveraineté ne sera totale que lorsque nous récupérerons toute notre histoire. Les archives sont partie intégrante du patrimoine national. Elles ne sont pas des pièces à charge pour les dossiers devant un quelconque prétoire de l'Histoire. Elles ne sauraient être, et surtout pas, une monnaie d'échange. Ce sont autant de briques pour construire un pont solide, qui résistera au temps et aux ressentiments de toutes natures.
Il faut demeurer confiant en l'avenir. Viendra peut-être le moment où les belligérants d'hier pourront s'asseoir autour d'une table, de la même table sur laquelle ils ont mis fin à l'une des plus terribles guerres du XXe siècle, ils sauront, sans doute, trouver les mots idoines pour parler du colonialisme dans sa vérité historique afin d'en mesurer ensemble toute l'abomination et de le condamner pareillement au nom de la Civilisation humaine.
B. A.