
«Cher Maître, je m'excuse si mon ton vous paraît un peu grave, mais la question pour moi a son importance : ma grâce, n'y réfléchissez plus. Je ne veux pas la solliciter personnellement et n'aimerais pas que vous la demandiez pour moi. Je ne me sens, en effet, ni vaincue ni coupable. Je suis une prisonnière de guerre et l'armée à laquelle j'appartiens est déjà victorieuse. C'est elle qui doit me libérer ou me venger si je meurs assassinée. En face des tortionnaires de la villa Susini, des incendiaires des mechtas, je me sens à jamais innocente. Que Messieurs les responsables français décident. Il s'agit de leur honneur, après tout, il n'y va que de ma vie. Je vous prie de m'excuser encore et de croire, cher Maître, à mon amitié’’.
Cette lettre poignante que Zahia Kherfallah, l’une des six femmes condamnées à mort par la France coloniale, adresse à son avocat et lue à l’assistance, hier, lors du forum de la mémoire consacrée aux femmes condamnées à mort pendant le guerre de libération, n’est pas une simple correspondance juridique. C’est un acte de résistance ultime, une déclaration de dignité. Elle y affirme, avec calme et gravité, son refus catégorique de demander une grâce, refuse la soumission et l’humiliation, mais aussi affirmation de son innocence morale et politique. Pour elle, solliciter une grâce reviendrait à reconnaître une faute qu’elle n’a pas commise.
La lettre de cette héroïne est un manifeste de résistance féminine et patriotique. Dans un contexte où la torture, la mort et l’injustice sont quotidiennes, elle choisit de rester debout, libre, et fidèle à elle-même. Elle nous enseigne avec son témoignage que, même au bord de l’abîme, il est possible de garder son honneur et de refuser de plier. Un témoignage qui a restitué l’atmosphère de la prison, l’attente de l’exécution et l’état d’esprit des combattantes dans ce moment suspendu entre vie et mort. « On ne vit pas. On attend. Chaque bruit de pas peut être celui du gardien qui vient dire que c’est fini. On ne dort pas vraiment. On ne rêve plus. On apprend à mourir un peu chaque jour ».
Ainsi parle Zahia Kherfallah. Comme elle, d'autres femmes enfermées dans les prisons ont connu cette expérience unique d'une condamnation à mort politique, une violence d’autant plus cruelle qu’elle s’abattait sur des femmes jeunes, parfois à peine sorties de l’adolescence. Dans leur cellule, elles étaient isolées. Pas de lumière naturelle. Parfois pas de lit. Elles voyaient peu ou pas les autres prisonnières. Mais malgré cela, elles n’étaient pas seules, elles chantaient à voix basse des chants patriotiques, se parlaient à travers les murs, récitaient des poèmes pour tenir debout. La solidarité était une arme, même derrière les barreaux.
Zahia Kherfallah, Djamila Bouazza, Djamila Bouhired, Baya Hocine, et Jacqueline Guerroudj, faisaient partie de ce groupe de femmes condamnées à la peine capitale, principalement pour leur implication dans des attentats. Ces femmes ont été arrêtées en 1957 et, malgré leurs condamnations, ont finalement survécu à la guerre grâce à des campagnes médiatiques et des actions en leur faveur.
En incarnant le courage et la détermination, ces militantes ne se sont pas contentées d’un rôle passif ou secondaire. Elles ont posé des bombes, transporté des armes, organisé des réseaux clandestins, et surtout, accepté les conséquences de leurs actes, souvent la torture, la prison, voire la mort... Ces témoignages rares de Zahia Kherfallah, Mme Bitat et autres femmes ne sont pas seulement des récits de souffrance. Ce sont des leçons de courage, de dignité et de lucidité politique. Ces femmes ont été des combattantes, debout même face à la mort.
F. L.