Salah Goudjil, invité de «Face à la rédaction» raconte le «5 juillet» 

Salah Goudjil fait partie de ces rares hommes qui ont vécu de l’intérieur les différentes étapes de l’évolution de l’Algérie. Au fil du temps, et après avoir été lieutenant de l’ALN durant la guerre de libération nationale, il a occupé plusieurs fonctions de l’Etat allant de chef de daïra à ministre, pour se retrouver, à la fin de sa carrière, président du Conseil de la Nation.

Du haut de ses 95 ans, doté d’une impressionnante mémoire, se souvenant des noms de ses multiples compagnons de lutte ou des dates des événements qui l’ont marqué, aussi lointains soient-ils, l’ex-président du Conseil de la Nation a accepté de livrer, dans le premier numéro de «Face à la rédaction»  d’«El Moudjahid», quelques-uns de ses souvenirs en lien avec l’indépendance de l’Algérie, dont le 63e anniversaire est fêté aujourd’hui.

Ainsi, et n’omettant pas de féliciter le journal pour son 60e anniversaire, célébré il y a tout juste quelques jours, Salah Goudjil s’est exprimé entre autres sur deux périodes cruciales qui ont marqué  l’histoire de l’Algérie, les quatre mois qui ont séparé la signature des accords d’Evian et de l’indépendance du pays, pour la première, et les quelques années qui ont suivi la libération, durant lesquels a été bâti l’Etat-nation, pour la deuxième.

Entre les accords d’Evian et l’indépendance, une étape cruciale...

Celui-ci a tenu à rappeler donc les événements qui ont suivi la signature des Accords d’Evian. «Quatre mois décisifs», a-t-il précisé, durant lesquels «l’avenir de l’Algérie s’est décidé». Goudjil est revenu sur le «Congrès de Tripoli» qui a vu l’adoption d’un «projet de programme» pour l’Algérie indépendante.

Il prévoyait notamment, a-t-il ajouté, la restructuration de l’Armée de Libération Nationale (ALN) en une armée de l’Algérie indépendante ainsi que la réorganisation du Front de Libération Nationale (FLN). Des frictions ont alors surgi et les membres du Gouvernement provisoire (GPRA) ont quitté Tripoli.

L’ex président du Conseil de la Nation se souvient qu’à cette époque, Habib Bourguiba, Président de la Tunisie, a organisé un rassemblement populaire pour saluer les accords d’Évian et féliciter le peuple algérien. Était présent le président du gouvernement provisoire, feu Ben Khedda. Intervenant, ce dernier a décidé de démettre le commandement de l’ALN sans nommer de successeurs. « Il a laissé un vide », a-t-il rappelé.

Parallèlement, les responsables politiques ont tenté, durant ces quatre mois, de mettre en place une « force locale » pour remplacer l’ALN. Ce qui n’a pas été accepté par toutes les wilayas historiques. Une démarche qui n’était pas en adéquation avec les résolutions du congrès de Tripoli qui prévoyait la transformation de l’ALN en une armée nationale.

A partir de là, le pays est entré dans une phase de tensions entre les uns et les autres autour de ces questions.

« L’agression marocaine nous a uni »

Or, faisant le parallèle avec les enjeux de l’heure, qui nécessite la consolidation du « front intérieur », celui-ci a tenu à rappeler que c’est à ce moment-là, alors que le pays faisait face à ces problèmes, qu’un événement survient : profitant des tensions régnant en Algérie, le Maroc a mené, en 1963, des attaques contre le pays.

Ce qui, finalement, « a réuni les Algériens », a affirmé Goudjil, qui a cité le cas de Mohand Oulhadj qui, même s’il était dans l’opposition, a décidé de rejoindre la wilaya de Tindouf pour faire face aux attaques marocaines. 

« C’est cela le sens du Front intérieur : l’unité face à la menace », a estimé l’ex-président de la chambre haute du Parlement.

La construction de l’Etat a duré une dizaine d’années

Au lendemain de l’indépendance, le pays faisait face à plusieurs défis. Trois années après, la situation financière était « catastrophique », a rappelé Goudjil. Néanmoins, les choses « fonctionnaient ».

L’ex-président du Conseil de la Nation se souvient d’un expert belge auquel le président Ben Bella avait fait appel qui était étonné qu’il y avait de l’électricité et de l’eau de robinet dans les foyers et du pain dans les boulangeries alors que logiquement « il y en aurait pas ». « C’est un miracle », aurait lancé l’expert, se remémore l’invité de « Face à la rédaction ».

Même la rentrée scolaire, la première de l’Algérie indépendante, en septembre 1962, a été assurée alors qu’il n’y avait plus d’enseignants. 

Ainsi, cinq années après l’indépendance, « la construction de l’Etat a commencé », notamment avec la promulgation du code communal en 1966, la charte nationale en 1976 puis de la première assemblée nationale élue en 1977.

« La construction de l’Etat a duré une dizaine d’années, de 1967 à 1977 », a estimé Salah Goudjil, soulignant que si « la liberté politique a été arrachée, il restait la liberté économique ». C’est ainsi qu’à partir de 1966 il y a eu la nationalisation des mines, puis des banques, des grandes entreprises jusqu’au pétrole et gaz en 1971.

« C’est à partir de là qu’on a construit l’Etat algérien avec son indépendance, politique et économique », a-t-il lancé.

Puis...la décennie noire

Salah Goudjil a également évoqué deux autres étapes cruciales dans l’histoire de l’Algérie. Il s’agit, pour la première, de « la décennie noire », durant laquelle le pays « est retourné presque au point zéro ». Un terrorisme contre lequel l’Algérie « a résisté seule, sans aucune aide étrangère ». L’autre étape est relative au mouvement populaire Hirak, en 2019, lorsque les citoyens sont sortis dans la rue à travers tout le territoire national, pour exprimer leur refus du 5e mandat ou le prolongement du 4e de l’ancien Président, Abdelaziz Bouteflika.

Pour Salah Goudjil, l’élection de Abdelmadjid Tebboune, en décembre 2019, s’est déroulée sans contestation dans la mesure où « les quatre autres candidats à l’élection présidentielle, qui étaient ses concurrents,ont tous reconnu sa victoire publiquement ».

A ce titre, l’ex président du Conseil de la Nation a tenu à relever que Tebboune « a ouvert le dossier de la mémoire ».  Une mémoire dont les Algériens ont besoin « pour construire l’Algérie de demain ».

À l’indépendance, « nous étions 8 millions d’habitants », rappelle-t-il.Aujourd’hui, la population avoisine les 47 millions. Ce qui signifie, poursuit-il, que « près de 40 millions d’Algériens sont nés après l’indépendance ». et ces derniers « doivent connaître leur histoire » et « comprendre comment nous avons vaincu l’un des pires colonialismes au monde », a lancé Salah Goudjil pour qui « la colonisation de l’Algérie n'était pas une colonisation ordinaire mais un colonialisme de peuplement, d’extermination » où il était question de « remplacer le peuple algérien par une population européenne chrétienne ».

Abdelghani Aïchoun

Il a dit :

« La révolution... contre le colonialisme et non contre le peuple français »

Pour l’ex-président du Conseil de la Nation, les algériens ont fait la révolution « contre le colonialisme et non contre le peuple français ». Selon lui, même le général De Gaulle a compris cela, en faisant la distinction, à un certain moment, entre le peuple français et le système colonial et en choisissant, à cet effet, « le peuple français contre le colonialisme ».

C’est la même chose, a-t-il expliqué, pour ce qui est du Maroc. « Notre problème n’est pas avec le peuple marocain, que nous distinguons du Makhzen », a-t-il lancé à ce sujet.

« En Algérie, c’est le gouverneur français qui rédigeait le prêche du vendredi »

Le colonialisme n’a pas mis en application en Algérie son « sécularisme ». Alors que la séparation du religieux de l’administration était en vigueur en France depuis longtemps, en Algérie, « c’est le gouverneur qui rédigeait le prêche du vendredi », a affirmé Salah Goudjil. L’imam, fonctionnaire, ne faisait que le lire au nom du pouvoir coloniale, a-t-il expliqué.

Affaire des otages américains en Iran : « C’est moi qui a insisté pour les ramener en Algérie »

Rappelant que l’Algérie a, de tout temps, opté pour le « non-alignement », Salah Goudjil a tenu à évoquer le rôle de médiation de l’Algérie dans divers conflits, notamment celui ayant opposé l’Irak à l’Iran ou encore l’affaire des otages américains en Iran. Par rapport à cette dernière affaire, celui-ci a rappelé que c’est l’Algérie « qui a réglé la crise des otages américains ». Il a indiqué, à ce titre, que c’était lui, ministre des transports au moment des faits (la libération des otages a intervenu en 1981, NDLR), qui avait fait en sorte pour que ces otages soient ramenés, par un avion d’Air Algérie, de Téhéran vers Alger, alors que les autorités américaines voulaient les faire transporter directement de la capitale iranienne vers Francfort (Allemagne).

« Prenez soin de l’Algérie »

L’ex-président du Conseil de la Nation est revenu encore une fois sur sa « déclaration-testament » prononcée, le 18 mai dernier, à la fin de son mandat en tant que premier responsable de la chambre haute du Parlement.

« Prenez soin de l’Algérie » est le testament des martyrs, a-t-il expliqué. Ces derniers, dans leur ultime souffle, ne disaient pas « prenez soin de mes enfants ou de ma famille », mais pensaient à la patrie, a-t-il dit.

Fidèle à ce serment donc, celui-ci a prononcé à son tour cette phrase  la fin de son mandat à la tête du « Sénat ». « Aujourd’hui je suis ici, et demain ce sera un autre. Ce qui compte, c’est de servir l’Algérie », nous a-t-il lancé.

Le syndicalisme...

Salah Goudjil est revenu, dans « Face à la rédaction » sur les circonstances l’ayant conduit à se retrouver dans le syndicalisme.

Ainsi, après avoir décroché son certificat d’étude, il a formulé une demande pour une bourse pour pouvoir s’inscrire au collège. Un « qaïd » local, dans la commune d’El Madher (anciennement Ain El Ksar, NDLR)  a émis son véto. Son « certificat » en main, il quitte l’Algérie, raconte-t-il, pour rejoindre la France où il passe un examen dans le bâtiment qu’il réussit. Il se retrouve ouvrier à Evreux (Normandie). Apprécié par ses collègues, la quasi-totalité des employés du bâtiment étant des algériens, il fut désigné par ces derniers pour les représenter lors de la grève de 1951. C’est ainsi que Salah Goudjil s’est retrouvé syndicaliste en France.

« Ben Boulaid, un homme à part »

L’homme qui inspire le plus Salah Goudjil est Mustapha Ben Boulaid, tombé au champ d’honneur, dans les Aurès, en mars 1956, alors qu’il n’avait que 39 ans.

C’est Ben Boulaid qui est allé voir Messali El Hadj, en juillet 1954, lorsque la résistance algérienne était à la recherche d’une personnalité pour diriger la révolution. Mais celui-ci a refusé.  C’est encore le même Ben Boulaid qui a convaincu Krim Belkacem, alors Messaliste, de rejoindre le mouvement de libération, se souvient l’ex-président du Conseil de la Nation. C’est encore lui qui a refusé, en 1950, le gel de l’Organisation spéciale (OS), décidé par la direction du MTLD pour préserver le parti.

Goudjil a tenu à cet effet à rapporter les propos tenus par Krim Belkacem en hommage à Ben Boulaid : « La révolution n’a pas de zaïm, mais a un père».

Sur le plan international, Salah Goudjil a cité le maréchal Tito, qu’il a rencontré en 1964 à Laghouat qu’a visité l’homme d'État yougoslave, accompagné de son épouse.

A. A.

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