
Le film documentaire Sur les traces des camps de regroupement, réalisé par Saïd Oulmi, constitue un témoignage poignant sur l’une des pages les plus sombres et méconnues de la colonisation française en Algérie.
En explorant les mécanismes et les conséquences de la politique de regroupement forcé mise en œuvre par l’armée coloniale dans les années 1950, le réalisateur algérien donne voix à une mémoire longtemps tue, voire effacée de l’espace public. Diffusé, hier, au forum de la mémoire consacré aux déportés algériens en nouvelle Calédonie, le documentaire développe une riche combinaison de témoignages de survivants, de documents d’archives, de photographies, ainsi que de récits d’anciens militaires français. Oulmi est parvenu à construire un récit à la fois rigoureux, sur le plan historique, et bouleversant, sur le plan humain et émotionnel. On découvre que plus de deux millions d’Algériens, principalement des paysans, ont été déracinés de leurs terres, pour être parqués dans des camps de regroupement où régnaient misère, maladie, faim et une profonde violence psychologique.
La voix des victimes, souvent âgées, résonne avec une émotion brute, presque insoutenable, révélant les traumatismes laissés par ces déplacements massifs et brutaux. Le film ne se limite pas à la dénonciation, il remplit également un rôle éducatif essentiel. Il exhorte à la préservation de cette mémoire pour les générations futures, dans une société algérienne encore en quête de vérité et de justice historique. C’est une œuvre de transmission, de reconnaissance et de résistance face à l’oubli. «Sur les traces des camps de regroupement est bien plus qu’un simple documentaire, c’est un acte de mémoire, un devoir d’histoire. Il s’inscrit dans un travail de réhabilitation d’une parole longtemps censurée et interroge notre rapport à la vérité historique, à la justice et à la mémoire collective», a dit Saïd Oulmi.
Alors que l’Histoire coloniale continue de susciter débats, dénis et mensonges, ce documentaire émerge comme un outil essentiel, pour raviver les mémoires oubliées. À travers l’exemple poignant des déportés algériens, envoyés en Nouvelle-Calédonie, après l'insurrection de 1871, les documentaristes participent à la reconnaissance et à la transmission d’un pan méconnu de l’histoire et des crimes contre l’humanité commis pendant la Guerre de libération. Arrachés à leur terre natale, ces centaines d’Algériens, déportés vers l’autre bout du monde, ont été condamnés aux travaux forcés ou à la relégation, et peu d’entre eux ont pu rentrer au pays. Pendant longtemps, leur histoire est restée enfouie dans les archives ou transmise oralement. Des films comme Sur les traces des camps de regroupement jouent un rôle déterminant dans la mise en lumière de cette mémoire enfouie. Le pouvoir du documentaire historique réside dans sa capacité à incarner l’histoire, donner un visage, une voix, un lieu à ceux qui ont été effacés des manuels. Dans le cas des déportés algériens, les films permettent, non seulement de documenter leur parcours, mais aussi de montrer l’héritage vivant de leur présence en Nouvelle-Calédonie, notamment à travers leurs descendants, qui perpétuent culture et mémoire.
En redonnant vie aux déportés algériens de Nouvelle-Calédonie, Saïd Oulmi, rappelle que l’histoire ne s’oublie pas. Elle se raconte, se filme et se transmet.
F. L.