Réforme du secteur médiatique : Des spécialistes s’expriment

  • Yahia Taqiyeddine, Doyen de la faculté des sciences humaines et sociales à l’université Mohamed-Boudiaf DE M’sila : «UNE communication transparente pour une gestion efficace des crises»
  • Regards : Mal au Net

Le ministère de la Communication prépare de nouvelles lois régissant le secteur afin de les adapter aux dispositions de la nouvelle Constitution.

A cet effet, la tutelle à organisé récemment une réunion à laquelle ont été conviés, outre le conseiller du président de la République, chargé des entreprises et organisations internationales, des directeurs de médias publics, de représentants de syndicats activant dans le secteur, de chercheurs, de juristes et d’acteurs de la société civile. La 5 août a également été fixé comme date de remise du premier rapport au ministre, notamment en ce qui concerne la loi organique relative aux médias et la loi relative à l’audiovisuel, qui sont à un «stade avancé de préparation», avant de les soumettre à l’Assemblée populaire nationale (APN) pour débat et enrichissement puis au Conseil des ministres pour approbation. Le sociologue des médias, Lakhdar Ydroudj, explique à El Moudjahid que les mutations de l’environnement politique, social et économique ont eu un impact sur l’organisation du secteur médiatique en Algérie. En raison de la collusion entre la sphère politique et la sphère médiatique, le pays n’a pas pu envisager des réformes juridiques profondes», regrette-t-il. L’auteur de Pouvoir et idéologie de l’information, affirme que les organes publics sont, dans un contexte marqué par une concurrence rude et estime que les journalistes doivent s’engager dans des processus de réforme, en procédant à une restructuration du secteur afin de «s’affranchir de tout contrôle politique ou économique » de leurs organes, et ainsi de la nature de leur mission». «Si la presse est libre, elle devient un contre-pouvoir pour la vérité et gagne toute la confiance de l’opinion. Elle se transformerait dès lors en porte parole du grand public», assure le chercheur. De son côté, M. Djemai Hadjam, sociologue des médias à l’université d’Oum El Bouaghi souligne que l’accélération des innovations technologiques et la saturation de l’espace médiatique imposent de réfléchir à la mise en place d’un observatoire médiatique et de centres de recherches et de sondage sur l’audience. «Vu l’explosion numérique, les acteurs du champ médiatique en Algérie sont les principaux acteurs concernés par la réflexion à propos des moyens et des mécanismes devant remédier aux pratiques anti-professionnelles», explique-t-il, appelant au passage les autorités publiques à promouvoir une «approche collaborative» en vue d’envisager une «réforme structurelle». Dans le même sillage,Mme Samira Teklal, spécialiste de la communication à l’université Mouloud-Mammeri de Tizi-Ouzou indique que la situation du secteur des médias est un «indicateur important» de la démocratie dans n’importe quel pays et notera que la détérioration constatée dans ce secteur, notamment la presse audiovisuelle est le résultat de plusieurs facteurs étroitement liées. «Les organes de la presse restent liés par un cordon ombilical à une seule agence pour les ressources en publicité», observe-t-il. Cette situation, enchaîne l’enseignante, a laissé émerger des pratiques de gestion reposant sur le principe de l’allégeance, non pas de la compétence. Insistant sur la responsabilité sociale, elle juge nécessaire de privilégier la notion de médias de service public. «Autrement dit, des organes d’information, d’éducation et de divertissement indépendants, s’efforçant de satisfaire le besoin d’information des citoyens, tout en préservant le pluralisme des courants de pensée et d’opinion», conclut Mme Samira Teklal.
Tahar Kaidi 

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Yahia Taqiyeddine, Doyen de la faculté des sciences humaines et sociales à l’université Mohamed-Boudiaf DE M’sila : «UNE communication transparente pour une gestion efficace des crises»

Entretien réalisé par Tahar Kaidi 

Doyen de la faculté des sciences humaines et sociales à l’université Mohamed-Boudiaf de M’sila, le Pr Yahia Taqiyeddine explique dans cet entretien  que «l’efficacité de la lutte contre les fake news nécessite de passer par une amélioration du discours médiatique, la gestion des affaires publiques dans un Etat moderne ne passe pas sans une communication transparente»

El Moudjahid : Avec plus de 30 millions d’internautes et un peu plus de 20 millions sur les réseaux sociaux les médias classiques voient leur statut désormais ébranlé …
Yahia Taqiyeddine :
Il est indéniable que les réseaux sociaux ont acquis aujourd’hui une place importante au sein de l’espace public et occupent également une part grandissante dans les pratiques et habitudes de consommation des contenus médiatique. Les caractéristiques des plateformes des réseaux sociaux, notamment la rapidité de la diffusion, l’accessibilité, ainsi que l’effondrement des mécanismes de gatekeeping caractéristiques du journalisme professionnel, ont fait que les internautes croulent littéralement, sous l’avalanche d’informations de tous types, principalement durant les périodes de crise. Les citoyens ont, légitimement, le droit d’être informés, or, sur les réseaux sociaux il y a du vrai et du faux et souvent du n’importe quoi.

C’est là que s’affirme le rôle du journaliste?
Malheureusement, les internautes, lors des crises, sont attirés par les rumeurs, le bizarre, et l’extraordinaire. Bref, par tout ce qui titillent leur curiosité et leur désir. Il y a des stimulants psycho-cognitifs qui attirent l’attention des internautes sur ce genre d’informations. C’est là, effectivement, que les spécialistes, les responsables, et les journalistes doivent intervenir pour briser la chaîne de transmission de telles informations. Les décideurs doivent se pencher sur une stratégie de communication publique transparente. Il n’est pas inutile de rappeler que nous irons vers ce que je qualifie «de communication démocratique» au sein d’un espace public ouvert à des catégories sociales jusque là marginalisées. L’efficacité de la lutte contre les fake news nécessite de passer par une amélioration du discours médiatique d’une manière à ce qu’il s’accorde d’abord avec les besoins réels des citoyens et aux caractéristiques des nouvelles technologies également.

Devant cet avalanche d’infos, de rumeurs sur les réseaux sociaux, est-il permis de dire que les récepteurs mettent en berne leur esprit critique ?
Ce n’est pas vraiment cela car la recherche de la vérité est une quête notable de toutes les sociétés démocratiques. Mais il y a ce que je qualifie d’invariants émotionnels si caractéristique des contenus médiatiques. Sur les réseaux sociaux, la production des contenus n’obéit pas aux règles strictes de journalisme professionnel car l’objectif est souvent de créer le buzz et de satisfaire un penchant de célébrité éphémère. L’influence qui peut être constatée sur les internautes concerne la suspension momentanée de leur distance critique et leur réflexion rationnelle. C’est ce que l’on a vécu au début de l’épidémie, c’est ce que l’on observe actuellement à propos des vaccins et leurs supposés effets indésirables. C’est ce que l’on continuera de voir toujours, hélas.

C’est donc une bataille d’information et de contre-information?
Une certaine minorité très active sur les réseaux sociaux peut exercer une influence sur la majorité. Cette catégorie relaie des informations de tous types et peut, noyer les discours rationnels et scientifiques dans un bruit de fake news et de mensonges.Mais, comme beaucoup d’études l’ont prouvé, le brouillard des informations frauduleuses finit par se dissiper une fois l’argumentation solide est établie. De ce fait,  les concepteurs des campagnes de sensibilisation doivent cibler les hésitants et  les sceptiques de manière à déconstruire toutes les idées reçues, préconçues et préconstruites. Gérer les affaires publiques dans un Etat moderne ne passe pas sans une communication transparente qui, dans cette perspective, sera considérée comme la condition sine qua non, pour la consolidation du fonctionnement des institutions et ce dans les limites de la gestion de la fluidité des informations dans un cadre libre et démocratique, mais aussi la gestion rationnelle des crises.
T. K.

Biographie :
Titulaire d’un doctorat en sciences de l’information et de la communication de l’université de Constantine-3. Avant d’être désigné comme Doyen de la faculté des sciences humaines et sociales, Yahia Taqiyeddine a occupé le poste de chef de Département des sciences de l’information et de la communication, au sein de laquelle il est toujours maître de conférences, et fut le fondateur du laboratoire de recherches et d’études des nouveaux médias. Ses travaux concernent, notamment les problématiques liées à l’éthique de la communication, à l’épistémologie et à la méthode de la recherche. Il a publié une dizaine d’articles et d’études dans des revues spécialisées.

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Regards : Mal au Net
Côté cour, c’est assurément un espace très utile avec sa mine d’informations inestimable et les énormes services qu’il rend à la société par des actions de solidarité et autres initiatives citoyennes. Mais côté jardin, il est tout l’inverse et constitue une menace si on s’aventure à tout gober. En effet, les réseaux sociaux de l’Internet, devenus par la force des choses (surtout de la technologie), incontournables, voire vitaux pour une grande partie de la population, les jeunes, notamment sont une arme à double tranchant. Les internautes sont appelés à être attentifs si on veut éviter le bourrage de crânes tant le flux d’informations n’a désormais pas de limite. Et pour cause, on estime aujourd’hui à plus de 25 millions d’Algériens qui visitent ces espaces du net. Et sans surprise, Facebook se taille la part du lion et demeure le «social media» le plus utilisé dans notre pays. Contrairement aux médias traditionnels, les news balancées dans l’espace bleu sont généralement non vérifiés et non recoupés, le but étant toujours de chercher le sensationnel, d’où la nécessité à ce qu’elles soient consommées avec modération sous peine de sombrer dans la désinformation. Sur les réseaux sociaux, tout le monde est journaliste et rapporte ce que bon lui semble, sans se soucier des dégâts collatéraux qu’il peut provoquer, particulièrement en cette conjoncture exceptionnelle marquée par une grave crise sanitaire que vit le monde depuis plus d’une année et demie. L’exemple le plus frappant est incontestablement le tollé soulevé par la vaccination anti-Covid et les supposés risques qu’encourraient les personnes vaccinées. Identifiés ou anonymes, les auteurs des publications et des vidéos postées à ce sujet ne s’appuient, malheureusement, sur aucune donnée scientifique et n’ont pas de références sérieuses pour argumenter leurs versions, se contentant souvent de rapporter ce qu’ils avaient entendu ailleurs. D’autres se découvrent curieusement des dons de médecin en mal de réputation et n’arrêtent pas de donner des recettes miracles pour soigner la Covid-19, même si des médecins à la compétence avérée apportent de précieuses contributions et répondent avec objectivité aux interrogations des internautes. Une situation agaçante qui a le mérite de remettre (encore une fois) au goût du jour le rôle essentiel des médias traditionnels qui peinent à se faire une place au soleil devant l’offensive des réseaux sociaux. Le défi aujourd’hui est donc de parvenir à convaincre les citoyens à faire preuve de prudence sur tout ce qui circule sur la Toile, de rejeter toute information douteuse. C’est à cette condition que l’on parviendra à limiter l’influence des ‘’fake news’’ et à redonner aux réseaux sociaux leur véritable raison d’être, dans le respect total de l’éthique et de la morale.
S.A.M.

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