
El Moudjahid: Où en est la recherche algérienne sur les effets des microplastiques sur la santé humaine, notamment par ingestion ?
Brahim Safi : La recherche scientifique en Algérie sur les effets des microplastiques sur la santé humaine, notamment par ingestion, commence à émerger. À ce jour, peu de publications nationales abordent directement cette problématique. Les travaux disponibles dans le champ des plastiques concernent davantage des thématiques liées au recyclage ou à la valorisation des déchets plastiques, sans lien direct avec les impacts sanitaires. À titre d’exemple, j’ai moi-même contribué à deux publications dans des revues internationales de classe A+, portant respectivement sur l’utilisation des déchets plastiques dans les mortiers de ciments et sur la valorisation des coquilles marines comme substitut de sable dans les matériaux de construction. Ces travaux, bien que s’inscrivant dans une démarche environnementale, ne traitent pas de l’exposition humaine ni de ses conséquences biologiques ou médicales. Les chercheurs algériens s’appuient principalement sur la littérature scientifique internationale ou sur les rapports d’organismes mondiaux comme l’OMS. Certaines extrapolations sont également faites à partir de la contamination environnementale observée sur les littoraux ou dans les écosystèmes aquatiques nationaux. À l’échelle mondiale, les recherches sur les microplastiques ont cependant beaucoup avancé. De nombreuses études, menées in vitro ou sur des modèles animaux, ont démontré que les microplastiques peuvent traverser la barrière intestinale et se retrouver dans des organes vitaux tels que le foie, les reins ou le cerveau. Ces particules sont susceptibles de provoquer des perturbations métaboliques, immunitaires ou neurologiques. Ces résultats internationaux soulignent l’urgence de développer, en Algérie aussi, des recherches ciblées sur les effets sanitaires des microplastiques afin de mieux comprendre les risques et guider les politiques de santé publique.
En quoi les lacunes dans la collecte et le traitement des déchets alimentent-elles la pollution microplastique des écosystèmes côtiers ?
L’Algérie a engagé des efforts en matière de gestion des déchets, notamment par l’implantation de centres d’enfouissement technique (CET), l’émergence d’acteurs de la récupération, ou encore quelques campagnes de sensibilisation sur la pollution plastique. Toutefois, plusieurs failles systémiques dans les dispositifs de collecte, de traitement et de gestion des déchets favorisent encore la dissémination des microplastiques dans l’environnement marin, notamment en Méditerranée. L’absence de tri domestique généralisé constitue l’un des premiers obstacles. Les déchets plastiques (sacs, emballages, bouteilles ndlr) sont mélangés aux ordures ménagères, ce qui empêche leur valorisation ou leur recyclage. La forte informalité du secteur aggrave cette situation. Une grande partie de la récupération est assurée par des collecteurs informels, sans contrôle ni traçabilité, ce qui favorise les fuites de déchets dans l’environnement. Beaucoup de plastiques légers finissent dans les rues, les oueds, puis dans la mer. Les systèmes de collecte restent inefficaces dans les zones côtières. Il y a trop peu de bacs de tri ou de conteneurs adaptés aux plastiques en bord de mer, dans les ports ou près des zones de loisirs. Le manque de traitement des eaux usées et des eaux pluviales constitue un autre facteur de dissémination. Les infrastructures sont souvent obsolètes ou incomplètes, laissant les eaux emporter les déchets plastiques vers les milieux naturels. Durant la période estivale, les décharges non contrôlées et les fuites vers les milieux naturels pose aussi problème. Les eaux pluviales ruisselantes emportent également les plastiques déposés sur les routes et les sols urbains.
Existe-t-il actuellement des méthodes efficaces pour intercepter les microplastiques avant qu’ils n’atteignent les milieux marins, et dans quelle mesure peuvent-elles être généralisées ?
Plusieurs méthodes existent pour tenter de capturer ou de réduire les microplastiques avant leur arrivée dans les milieux marins. Ces approches témoignent d’une prise de conscience croissante du phénomène, notamment dans les milieux scientifiques et universitaires. Toutefois, leur efficacité reste limitée et leur déploiement encore peu généralisé à l’échelle nationale. Parmi les actions entreprises, la surveillance marine et les prélèvements en mer constituent une première étape pour mieux comprendre la dispersion des microplastiques dans les eaux côtières. Des opérations pilotes sont également en cours dans certaines grandes villes côtières comme Alger, Oran ou Annaba, où des démonstrateurs ont été mis en place pour tester des systèmes de traitement ciblé. Sur le plan scientifique, plusieurs pistes sont en cours de développement. Il s’agit notamment de mettre en place des études épidémiologiques locales, afin de mesurer la concentration de microplastiques dans les aliments, l’eau ou même les tissus humains. Ces données sont essentielles pour mieux cerner les risques sanitaires potentiels. Des projets collaboratifs sont également encouragés entre les universités et les agences de recherche, à l’image de l’ATRST (Agence Thématique de Recherche Scientifique et de Technologie), qui soutient le financement d’études toxicologiques ciblées sur des modèles humains ou animaux. Dans les laboratoires nationaux, l’analyse des micro- et nano plastiques repose de plus en plus sur des outils de spectrométrie ou de microscopie avancée, capables de détecter et de quantifier ces particules avec précision. Cette évolution technologique reste cependant inégalement répartie sur le territoire. Un effort est engagé pour structurer un réseau scientifique national réunissant toxicologues, épidémiologistes, biologistes, chimistes et autorités sanitaires. L’objectif est de faire émerger une politique publique fondée sur des preuves locales. À ce titre, un réseau scientifique dédié à l’analyse du cycle de vie a récemment été créé, dont je suis membre
A. F.