Mascara - 190e anniversaire de la moubaya’a - L’émir Abdelkader : Un modèle de l’homme universel

De notre correspondant Abdelkader Benmechta

À l’instar des années précédentes, la wilaya de Mascara s’apprête à célébrer, en cette journée du 26 novembre, les festivités marquant le 190e anniversaire de la Moubaya’a, qui signe l’acte d’allégeance accordé à l’émir Abdelkader par les chefs des tribus engagées dans la lutte contre le colonialisme. Dans ce contexte, un riche programme a été élaboré par la commission chargée de la célébration de cet évènement.

 
Pour les circonstances, une agitation particulière règne depuis  plus d’une semaine,  eu égard aux personnalités conviées à cette cérémonie. En effet, cette 190e  édition sera rehaussée par la présence d’invités de marque puisque,  outre les autorités locales, Soraya Mouloudji, la ministre de la Culture, assistera aux festivités. En sa qualité de représentante du gouvernement, la ministre  mettra à profit cette opportunité pour effectuer une visite d’inspection et de travail avec comme points de chute les sites ayant marqué les traces de l’illustre personnage. La cérémonie  débutera par le dépôt d’une gerbe de fleurs au pied de la stèle de l’Émir, érigée sur la place située en plein centre-ville portant le nom du fondateur du premier État algérien moderne. De là, la délégation aura à  visiter le siège du commandement de l’Émir, avant de se déplacer à la mosquée baptisée, pour la circonstance, Masdjed El-Moubaya’a. A Sidi Kada, autre commune historique  distante de 20 km du chef-lieu, les participants visiteront la Smala de l’Émir.  Une fois n’est pas coutume, la commune d’El-Gueithna, berceau de l’Emir longtemps marginalisée,  est incluse  au programme pour accueillir la délégation. La fête  s‘achèvera en apothéose à Matmore avec la production de troupes folkloriques et de cavaliers qui animeront la fantasia. Le dernier point de la visite sera l’arbre Derdara dans la commune de Ghriss, sous lequel s’était effectuée l’allégeance, et qui a vu la plantation à titre symbolique d’arbustes par les hôtes de marque, par respect à la tradition qui s’est instaurée dans la région. Toutes les interventions graviteront autour de l’histoire qui a caractérisé  le personnage de l’Émir Abdelkader.  
 
Précurseur du droit international humanitaire
 
Durant sa détention en France, entre 1847 et 1852, l’Emir, qui a une bonne connaissance des religions juive et chrétienne, exerce une grande fascination en milieu chrétien. En 1860, les chrétiens de Damas furent massacrés par les Druzes. Alerté, l’Emir avec l’aide de la colonie algérienne, et au péril de sa vie, recueille 13.000 personnes de confession chrétienne dans sa demeure et celle de ses compagnons.
Quatre années après, est née la première Convention de Genève. À sa lecture, notamment les articles 5 et 6, le geste de l’Emir à Damas est repris et encouragé : «... tout blessé recueilli et soigné dans une maison... l’habitant qui aura recueilli chez lui des blessés sera dispensé... les habitants du pays qui porteront secours aux blessés seront respectés...»
En conclusion, en consultant les quatre Conventions de Genève, on sent planer l’esprit du décret de 1843, des évènements de 1860 et des différents actes humanitaires de l’Emir Abdelkader en faveur des prisonniers. Par sa pensée comme par son action, l’Emir a démontré, à juste titre, l’universalité des valeurs sur lesquelles repose le droit international humanitaire. Plusieurs chefs d'État et souverains lui adressaient des félicitations, notamment ceux de France, d'Angleterre et de Russie. 
Des écrivains et poètes chrétiens, sublimés par l'Emir et son geste humanitaire, ont libéré leur plume à la rédaction.
L'Emir, dans sa lutte armée, n'était pas contre le christianisme en tant que religion, mais contre le colonialisme dans tous ses sens ; contre la violation d'une terre libre. L’Emir Abdelkader a été et restera un symbole de la lutte et de la résistance contre l’occupant.
Le fondateur de l’État algérien mérite que son long parcours historique, son legs en tant qu’ homme de lettres, soufi et humaniste fassent l’objet de davantage de recherches et d’études approfondies.
 
A. B.

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Rapprochement entre les deux religions

Il y a 190 ans, l’Emir Abdelkader fut proclamé chef de la résistance contre l’invasion française. Plusieurs tribus de l’Ouest lui ont fait allégeance (Moubaya’a) dans la plaine de Ghriss, sous un frêne connu sous le nom de Derdara scrupuleusement conservé.
La moubaya’a s’est déroulée le 27 novembre 1832. C’est l’acte fondateur de l’État algérien créé par l’Emir Abdelkader dans le sens le plus complet du terme. Âgé à peine de 24 ans, il devenait commandeur des croyants. Cette qualité a été attribuée par les fidèles au Prophète (QSSSL). Ainsi, la sacralité de l’investiture dépasse le cadre étroit de la démocratie, car elle intègre la choura ou concertation.
L'émir Abdelkader s’est comporté de manière exemplaire dans la crainte révérencielle d’Allah. Tout au long de sa vie, les dures épreuves affermiront en lui les vertus et les qualités coraniques. La vocation première et dernière de l’Emir Abdelkader est l’étude et la contemplation. Mais, en tant que wârith muhammadî, héritier mohammadien, il lui fallait joindre l’action à la contemplation. Prédisposé pour le grand djihâd, c’est-à-dire la lutte contre les passions et les illusions que nous secrétons tous, l’Emir a accepté pour un temps de pratiquer le petit djihâd, la guerre défensive contre un ennemi extérieur, tant que son devoir lui semblait se trouver là.
C’est lui qui prend l’initiative de rédiger un règlement dans lequel il impose à ses soldats le respect absolu des prisonniers français, et ceci bien avant les conventions modernes qui datent de 1949.
Une loi sévère de l'Emir Abdelkader commande le respect et les plus grands soins pour les prisonniers ; l’Emir a pris pour modèle sur ce point le Prophète Mohammed (QSSSL). Ce n’est pas un humanisme contourné ou affecté qu’il pratique, puisque les prisonniers mangent la même nourriture que lui. On comprend que tel ancien prisonnier français, devenu gardien du Jardin des Tuileries, ait demandé à être muté à Pau où était alors retenu l’Emir, ou que tel autre ait supplié l’Emir de le laisser partir avec lui en Turquie pour le servir.
L’armée française, on le sait, était loin d’avoir les mêmes égards pour les prisonniers algériens.
La hauteur de vue de l’Emir apparaît dans le fait que, alors qu’il combat cette armée coloniale, à aucun moment il ne fait d’amalgame entre l’impérialisme agressif de la France et la religion chrétienne. Au beau milieu des hostilités, il noue des liens avec des représentants du christianisme et prône un rapprochement entre les deux religions. C’est là qu’intervient le charisme de l’Emir. Son principal interlocuteur, le général Bugeaud, confesse d’ailleurs qu’ «il ressemble assez au portrait qu’on a souvent donné de Jésus-Christ», et il le définit comme «une espèce de prophète».

A. B.

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