
Entretien réalisé par Liesse Djeraoud
El Moudjahid : Vous étiez présent à Constantine pour le lancement de la production du CoronaVac. Quelle est la portée de cet événement historique?
Pr Sahnadji : Il s’agit d’un évènement capital dans la mesure où il aurait, au moins, trois impacts. D’abord sanitaire, par la mise à la disposition des citoyens d’un moyen de combattre la maladie Covid-19 en «amortissant» le choc d’une éventuelle quatrième vague de la pandémie. La quantité de vaccins disponibles aura augmenté permettant une vaccination importante avant cet hiver. Nous aurons ainsi, au cours des trois mois (septembre- octobre-novembre), un développement d’une réponse immunitaire intéressante, ce qui limitera la sévérité de la maladie et, par voie de conséquence, soulagera les capacités de prise en charge par les services hospitaliers.
Le deuxième impact est celui lié à une mise en place d’une «culture» de la technologie de fabrication des vaccins en général et aussi d’une stratégie de «relocalisation» des moyens et outils aux fins de dépendre, le moins possible, de l’extérieur en anticipant en cas d’éventuelles pandémies.
Le troisième impact est économique et géostratégique. En effet, la fabrication locale de vaccins, à l’exemple du CoronaVac, se traduit par une économie de 40 à 60% par rapport à son prix si on avait continué d’importer. De plus, une exportation régionale du vaccin aura un impact économique et stratégique intéressant pour l’Algérie.
La décision de fabriquer le vaccin localement a-telle tenu compte des mutations du virus ? Le contrat signé avec le partenaire chinois tient-il compte de cette donne ?
Il faudrait savoir que ce vaccin CoronaVac est issu de la technologie dite «classique» (méthode pasteurienne ayant été à l’origine de la mise au point scientifique du premier vaccin au monde par Louis Pasteur contre la rage). Il s’agit donc d’un vaccin sûr. Il est préparé à partir de cultures du virus en grandes quantités et le virus est ensuite inactivé. Aussi, comme il est préparé à partir de particules virales entières (alors que les autres vaccins ciblent un seul antigène qui est la protéine viral S ou Spike), il présente au système immunitaire lors de son injection tous les antigènes du coronavirus (SARS-CoV-2). L’organisme produira alors des anticorps contre tous les antigènes du SARS-CoV-2, antigènes qui existent également chez la quasi-totalité des mutants actuels. C’est cette diversité dans la production des anticorps, obtenue avec un vaccin classique tel que le CoronaVac, qui permettra «d’attaquer» le virus dans sa totalité et pas seulement contre la protéine S. Les mutants sont donc plus contrôlés avec un vaccin classique.
Ce sont les mutations les plus fondamentales (celles qui bouleversent complètement la structure du virus) qui pourraient être à l’origine d’une remise en cause d’un tel vaccin. A ce moment-là, le vaccin est fabriqué de nouveau en mettant en culture un tel variant.
Les grands laboratoires de recherches affirment que le monde doit se préparer à affronter de nouveaux virus. L’Algérie va-t-elle se contenter de répondre à l’urgence de la Covid-19 ou a-t-elle déjà lancé une réflexion sur la manière de contrer ces futures menaces ?
On est bien entré dans l’ère des pandémies. En effet, depuis un peu plus de vingt ans, nous constatons l’avènement d’une pandémie tous les quatre ans environ (Sida, vache folle, Ebola, Marburg, grippe aviaire SARS, MERS…) ceci à cause des effets de l’homme sur la biodiversité et nous constatons également que 70% des maladies infectieuses sont des zoonoses (germes animaux ayant passé la barrière d’espèce infectant ainsi l’humain). C’est pourquoi, notre pays ne se contente pas de l’urgence, comme c’est le cas de la Covid-19 pandémique, mais s’inscrit dans une cohérence stratégique de mise en place d’une politique anticipatrice avec un projet de mise en place d’un hôpital confiné, chargé de prendre en charge les pathologies infectieuses dangereuses causées par des germes de classes 3 et 4 (exemples VIH, Ebola, Marburg, Lassa, charbon…). Adossé à cet hôpital confiné, un centre de vaccinologie assurera la mise au point de vaccins adaptés aux germes de classes 3 et 4, en utilisant également d’autres technologies vaccinales et optimales à chaque catégorie de virus dans des secteurs P3 et/ou P4).
Quel est l'apport de l’agence que vous présidez dans la lutte contre la Covid-19?
En parallèle de la mise en place des différents organes de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, cette dernière s’est engagée dans plusieurs actions immédiates dans la crise sanitaire. J’en cite quelques unes : elle s’est engagée pleinement dans le processus du transfert de technologie ayant abouti à la fabrication locale du vaccin coronaVac avec cinq experts dans le comité de pilotage organisé au niveau du ministère de l’Industrie pharmaceutique. Il en est de même pour le prochain vaccin Spoutnik V à transférer localement.
L’agence a également initié les opérations de désinfection par effet antiseptique de l’eau de mer au niveau des wilayas côtières. Il en est de même pour la prochaine opération de salubrité, visant à mettre en place des actions contre les nuisibles pouvant héberger des virus représentés par la lutte contre les cafards, les rats et les pigeons.
L’agence est en train de mettre en place une stratégie de recherche du SARS-CoV-2 dans les eaux usées comme mesure d’anticipation et de détection des clusters.
Quel «diagnostic» faites-vous de la stratégie de l'Algérie dans la lutte contre la pandémie ?
La stratégie de l’Algérie dans la lutte contre la pandémie, comme un peu partout dans le monde, a évolué positivement. C’est la nature même de la pandémie, avec ses inconnues, qui a dicté la mise en place de stratégies successives et adaptatives. Le problème de l’oxygène en est un exemple où la surprise a été totale avec le variant Delta, induisant une pathologie hautement consommatrice d’oxygène. Nous pouvons dire, étude à l’appui, que principalement les dispositifs du protocole sanitaire et les mesures de confinement ont démontré leur effet sur l’évolution des contaminations. Je pense, également, que l’effet bénéfique direct de la vaccination va être visible dans peu de temps.
On annonce des Assises sur la santé. Quelle sera la contribution de votre agence dans le cadre de la réforme du système sanitaire national?
L’Agence nationale de sécurité sanitaire est partie prenante de la réforme du système national de santé. Sa mission multidisciplinaire sera à l’origine d’une approche diverse où plusieurs facteurs impactent la santé du citoyen et ses normes (alimentation, eau, la pollution, médicaments, cosmétiques… La stratégie sera une utilisation des données liées à ces différents secteurs pour faire émerger des indicateurs et des signaux qui seront à l’origine d’une stratégie sanitaire préventive.
L. D.