
À l’occasion du septième anniversaire de la disparition de Hocine Aït Ahmed, l’un des dirigeants les plus emblématiques du mouvement national et de la lutte de Libération, le quotidien El Moudjahid, en collaboration avec l’association Machaâl Echahid, a organisé, hier, une conférence animée par l’historien Mohamed Arezki Ferrad et Mohamed Larbi, cadre de l’éducation et de la formation professionnelle.
Mohamed Larbi dira que le défunt est né le 20 août 1926 en Haute Kabylie (Aïn El-Hammam). Il a vécu une enfance marquée par la privation et la précarité du fait d’un contexte colonial cruel envers la population algérienne.
Issu d’une grande famille religieuse, celle de Cheikh Mohand-ou-Elhocine, de la zaouïa Rahmania, hostile à l’ordre colonial, Hocine Aït-Ahmed a fréquenté l’école coranique avant de connaître l’école française où il fera de bonnes études, une scolarisation, pourtant loin de sa famille, qu’il mena avec brio, le grandira et le mûrira davantage. C’est au lycée, en 1943, qu’il adhère au Parti du Peuple Algérien, entamant une lutte politique précoce. Perché en haute montagne, son village connaît, à l’instar des autres hameaux, en cette ère coloniale, la faim et la soif. Mais le jeune Hocine réussira l’examen de survie, forçant quelque part la loi de la sélection naturelle, affirma le conférencier.
Son grand-père Cheikh Mohand el-Hocine est une personnalité très respectée pour sa sagesse et sa foi que les habitants consultaient et à qui ils demandaient conseil. Selon Mohamed Arezki Ferrad, le but de ces rencontres sur les dates les plus significatives de notre histoire consiste à développer notre conscience patriotique, politique. «Celui qui n’étudie pas l’histoire et qui n’en tire pas les leçons court le risque de se voir subjugué par ses ennemis». L’orateur dénonça ceux qui veulent faire accroire que l’Emir Abdelkader était l’ami des Français, en vérité il ne l’était pas car durant 17 années il n’a cessé de les combattre et de Gaulle n’a jamais octroyé l’indépendance au peuple algérien. «La connaissance de l’histoire est essentielle et il est de notre devoir de la consigner par écrit , il y a un travail pédagogique à accomplir.
Un statut infamant
Parler du parcours de Hocine Ait Ahmed, c’est construire des passerelles patriotiques, culturelles et historiques entre les générations, les convaincre que le colonialisme est par essence destructeur, comme l’a si bien démontré l’historien Olivier Lecour Grand maison dans son ouvrage Coloniser, exterminer.
Ce document à consulter absolument, est une preuve suffisamment éloquente pour servir à élaborer une loi qui criminalise le colonialisme français, le plus dangereux parce que c’est un colonialisme de peuplement.
Le conférencier a affirmé que la résistance populaire a commencé à partir de la bataille de Staouéli, en 1830, juste après la reddition du Dey Hussein. Joseph Nil Robin, dans ses notes historiques sur la grande Kabylie de 1830 à 1838, a indiqué que les zaouïas ont fourni 25.000 combattants, par exemple, la date de naissance de Hocine Ait Ahmed coïncide avec la création de l’Etoile Nord africaine. En ce temps là l’Algérien vivait sous le statut de l’indigénat, ce n’était pas un citoyen, subissant une ségrégation partout, dépouillé de ses droits les plus élémentaires ; même les «assimilationnistes» étaient rejetés par le pouvoir français. L’éveil du nationalisme n’a pas commencé avec l’Emir Khaled, ni l’ENA, a affirmé Ferrad mais aussi dans les «Kouttabs» qui étaient des garde-fous contre la dépersonnalisation et l’acculturation.
Hocine Ait Ahmed a, dans cet environnement, compris que les diplômes sous la colonisation ne servaient à rien, il arrêta ses études après l’obtention de la première partie du BAC.
Passer à l’action armée
Pour l’intervenant, les massacres du 8 Mai 1945 ont produit un électrochoc chez tous les militants. En 1947, le PPA- MTLD, a commencé à penser au déclenchement de la Révolution.
Hocine Ait Ahmed a été avec Mohamed Belouizdad, à l’origine de la création de l’Organisation Spéciale (OS), dont il prit la direction à la mort de Belouizdad.
Il présenta au comité central un rapport lors du congrès de Zeddine en décembre 1948 à Ain Defla, dans lequel il démontra la nécessité et l’inéluctabilité de la lutte armée et définit les meilleurs moyens pour la réussite de celle-ci.
Il fut l’instigateur, avec d’autres militants, de l’attaque de la poste d’Oran, en avril 1949 qui visait la récupération de fonds pour l’acquisition d’armes devant servir au déclenchement de la Révolution. S’agissant de la crise dite berbériste, le conférencier a plutôt parlé de crise identitaire.
Des militants ont réclamé un débat à la suite d’un mémorandum envoyé à l’ONU par Messali Hadj, en vain. Cette question avait fait apparaître un courant «assimilationniste» qui rejetait la dimension arabo-islamique de la société algérienne et un autre courant que le conférencier qualifiait de nationaliste, considérant que l’amazighité devait s’intégrer dans le mouvement national.
Durant la lutte de libération, Hocine Ait Ahmed a joué un grand rôle diplomatique en participant, à la conférence de Bandung, notamment, à la création du bureau du FLN à New York, préconisant également la mise en place du GPRA. C’était aussi un fervent partisan du pluralisme politique dés l’accession de l’Algérie à l’indépendance.
Kafia Ait Allouache et M. Bouraib
___________________________________
Déclaration de Hocine Aït Ahmed devant le tribunal de la Seine, Paris, le 8 octobre 1958, 20 jours après la constitution du GPRA le 19 septembre 1958, lue par Ghafir Mohamed dit Mohamed Clichy, âgé de 24 ans, membre de la Fédération de France du FLN :
«Jugé le 30 juillet 1958 par la 16e chambre correctionnelle me condamnant à deux ans de prison ferme.
Comparu de nouveau le 8 octobre 1958 devant la 10e chambre d’appel qui m’a condamné à trois ans de prison ferme, un an de plus pour avoir fait une déclaration politique avec l’accord du comité de détention composé des frères Bachir Boumaza, Moussa Kebaili, Hadj Ali Ahmed et le collectif des avocats du FLN, maîtres Mourad Oussedik, Abdessamed Benabdellah et Michelle Beauvillard.
Monsieur le président,
Nous sommes des Algériens, à ce titre, nous n’avons fait que notre devoir au service de la révolution de notre peuple. Nous nous considérons comme des soldats qui se battent et savent mourir pour leur idéal. Ainsi, nous faisons partie intégrante de l’Armée de libération nationale, nous avons des chefs à qui nous devons obéissance.
Nous avons un Gouvernement, le Gouvernement provisoire de la République algérienne (G.P.R.A), que nous reconnaissons seul capable de nous administrer sa justice.
Nous déclinons ainsi la compétence des tribunaux français. Quel que soit votre verdict, nous demeurons convaincus que notre cause triomphera, parce qu’elle est juste et parce qu’elle répond aux impératifs de l’histoire. Face à ce tribunal, à la mémoire des martyrs algériens morts pour la libération de leur patrie. Nous observons une minute de recueillement.
Garde à vous !
Vive l’Algérie libre et indépendante.
Vive le Front de libération nationale et son ALN
Vive la République algérienne.
Vive la Révolution algérienne.»
___________________________________
Ils ont dit :
Saâdi Mouhalbi, représentant de l’APN : «Son rêve s’est réalisé»
«C’est un évènement très important car Hocine Ait Ahmed est l’un des piliers de la lutte de libération. Membre du Parti du peuple algérien (PPA), il a participé à la création de l’Organisation spéciale (OS).
Il a milité jusqu’à l’indépendance et a tout donné pour que cette terre soit libre. Il était le premier qui a cru en une Algérie nouvelle et c’était son rêve. »
Abdelkader Bakhouche, moudjahid : «Un peuple sans histoire n’a pas d’identité»
«C’est une personnalité hors du commun, un intellectuel et l’un des principaux responsables de la révolution. C’était aussi un très bon organisateur. Nous célébrons le 7e anniversaire de sa mort, lui qui a tant milité pour l’Algérie. Notre souhait est de préserver sa mémoire. Un peuple sans histoire, n’a aucune identité.»
Aïssa Kacemi, moudjahid :«Un stratège»
«Hocine Ait Ahmed avait 16 ans lorsqu’il a été appelé à présenter un rapport devant le congrès du MTLD. Il va se faire remarquer très vite, lors de la réunion du Comité central du PPA-MTLD, en 1948, à Zeddine (près de Chlef) avec sa contribution écrite, fruit d’une réflexion mûre sur la stratégie de lutte que devait emprunter le PPA-MTLD. Ce rapport était vraiment un appui pour lui, non seulement politique mais beaucoup plus culturel. C’était un leader historique, un fin stratège au parcours exceptionnel, multidimensionnel, pour un même idéal, l’indépendance et les libertés.»
Saïd Zerouane, militant du Front des forces socialistes : «Une personnalité hors norme»
«Je considère Hocine Ait Ahmed comme le père de notre Révolution car j’ai vécu de bons moments avec lui en 1962. Issu d’une famille religieuse il était d’une grande simplicité. C’est une figure historique du nationalisme algérien, membre du groupe des neuf à l’origine du déclenchement de la Révolution, l’un des pionniers qui se sont investis dans l’action diplomatique et fondateur du FFS.»
Propos recueillis par Zine Eddine Gharbi