Face à la mutation rapide des circuits commerciaux et à l'avènement de l'économie numérique, la protection de la propriété intellectuelle ne se limite plus à la simple préservation des droits d'auteur ; elle devient une question de souveraineté économique et de sécurité publique.
C’est autour de cette problématique centrale que s’est ouverte, hier, à Alger, la huitième édition du Colloque international sur la lutte contre la contrefaçon. Placée sous le thème de «Propriété intellectuelle et souveraineté numérique», cette rencontre a mis en lumière la nécessité impérieuse d'adapter les mécanismes de riposte nationaux aux défis de la mondialisation digitale. Lors de son allocution d’ouverture, le président du World Trade Center Algiers (WTCA), a dressé un tableau sans concession de ce fléau mondial.
«La contrefaçon représente aujourd'hui un marché parallèle estimé à plus de 500 milliards de dollars à l'échelle mondiale. Au-delà des pertes financières, elle impacte directement la santé des citoyens, la sécurité des consommateurs et la compétitivité des entreprises», a souligné, M. Ahmed Tibaoui, qui estime que la réponse doit être technologique. Citant les exemples de Singapour et de la France, qui déploient des solutions de pointe, ou encore de la Chine qui intensifie ses cyber-contrôles, il a insisté sur l'importance pour l'Algérie de réussir sa transition numérique.
«La propriété intellectuelle, a-t-il, plaidé, est un levier crucial pour les économies émergentes. Elle favorise l'innovation et attire les Investissements directs étrangers (IDE). Notre engagement dans la souveraineté numérique doit aller de pair avec une coopération internationale renforcée». Sur le terrain, la riposte de l'État s'organise avec fermeté. La représentante du ministère du Commerce intérieur et de la Régulation du marché national a détaillé le durcissement du cadre législatif et mis en exergue l'efficacité des mesures conservatoires permises par la loi n° 09-03 relative à la protection du consommateur et à la répression des fraudes. «La révision de ce texte a permis d'introduire l'article 61bis, une disposition capitale qui autorise la saisie et le retrait temporaire de tout produit suspecté de contrefaçon», a expliqué Houda Mabrouk. Plus contraignant encore, l'article 62 habilite désormais les agents de la répression des fraudes à procéder au retrait définitif des produits contrefaits sans l'autorisation préalable de l'autorité judiciaire, accélérant ainsi le processus d'assainissement du marché. Le bilan chiffré qu’elle a présenté témoigne de l'ampleur de la tâche. Sur la période 2021-2025, les services du ministère ont traité 72 requêtes et dressé 65 procès-verbaux d'infraction. Ces opérations se sont soldées par la saisie de plus de deux millions d'unités représentant un volume de 33,2 tonnes de marchandises. La valeur financière de ces produits retirés du circuit commercial s'élève à plus de 1,6 milliard de DA. Aux frontières, la vigilance est également montée d'un cran grâce à la digitalisation. La cheffe du bureau de lutte contre la contrefaçon des Douanes algériennes a présenté, à cette occasion, les avancées du nouveau système d'information des douanes, baptisé (ALCES).
« La Direction générale des douanes (DGD) a intégré la lutte contre la contrefaçon au cœur de son architecture numérique», a indiqué l’inspectrice divisionnaire, Célia Hakimi. Le système ALCES permet désormais la numérisation complète des dépôts de demandes d'intervention, le suivi en temps réel du traitement des dossiers, ainsi que la traçabilité des marchandises retenues pour suspicion. Les statistiques de la DGD interpellent sérieusement. Depuis 2007, plus de 15 millions d'articles ont été saisis. Pour la seule année 2025, une tendance lourde se confirme : plus de 80 % des articles retenus sont d'origine asiatique, principalement de Chine. Les produits ciblés par les contrefacteurs restent majoritairement le textile (vêtements, chaussures) et plus inquiétant, les produits d'hygiène corporelle, posant un risque direct pour la santé publique. En amont de la répression, la protection juridique reste la première ligne de défense.
M. M.