
Est-il encore possible, après le scandale Pegasus, de continuer à fermer les yeux sur les pratiques et agissements du Maroc ? Les révélations de l’ONG Amnesty international en collaboration avec plusieurs médias internationaux sont trop graves pour continuer à faire comme si de rien n’était. Les citoyens ciblés exigent des autorités de leurs pays de ne pas rester indifférent. Et pour cause. Alors que le logiciel Pegasus, développé par l’entreprise israélienne NSO Group, était censé aider les Etats dans leur lutte contre le trafic de drogue ou le terrorisme, le Maroc en a fait un tout autre usage, le transformant en outil de répression. Certes, sur son site internet NSO précise qu’elle crée «des technologies qui aident les agences gouvernementales à prévenir et à enquêter sur le terrorisme et les crimes, pour sauver des milliers de vie dans le monde », mais pouvait-il ignorer que la réalité est à mille lieux de cette assertion. Dans les faits, le logiciel a été un moyen pour porter atteinte aux libertés fondamentales des personnes. Au total, selon les révélations du consortium international de journalistes (Forbidden Stories) ce sont 50.000 numéros de téléphones de personnalités dans une cinquantaine de pays qui ont été ciblés par les attaques de ce logiciel utilisé, entre autres, par le Maroc. Le royaume chérifien a utilisé Pegasus pour espionner des personnalités connues pour leurs prises de positions considérées comme hostiles au régime ou pour leur proximité avec des Marocains perçus comme des opposants. En deux ans, est-il indiqué, «ce sont 10.000 numéros que l’utilisateur du logiciel NSO dans ce pays a introduit dans le système ». Selon l’usage qui en a été fait, Pegasus est un logiciel espion. Les précisions fournies par Forbidden Stories sont à même de dissuader de l’utilisation de technologies. Jugez-en. Il (Pegasus) pénètre dans les smartphones, qu’ils fonctionnent sous le système d’exploitation d’Apple, IOS (y compris dans sa dernière version) ou celui de Google, Android. Une fois à l’intérieur, il a ensuite accès à tout : contacts, photos, mots de passe. Il peut aussi lire les emails, suivre les conversations, même sur les messageries chiffrées, géolocaliser l’appareil et activer micros et caméras pour transformer le smartphone en véritable mouchard. Et pour couronner le tout, il est invisible et intraçable. Si des journalistes français et d’autres citoyens européens ont découvert, effarés, qu’ils ont été la cible d’attaques du Maroc, il faut également préciser que des Algériens, hauts responsables politiques, mais aussi militaires, diplomates, chefs de partis politiques, chefs d’entreprise et journalistes ont été ciblés par ce logiciel espion. Ce sont 6.000 numéros algériens ciblés par le Maroc, dans ce qui est considéré comme la plus vaste et la plus grave opération d’espionnage après celle révélée par Snowden. Mais pour Laurent Richard, directeur de Forbidden Stories, cité par France info, ce que l’on voit avec le projet Pegasus (…) est encore plus inquiétant. Ici, on a à faire à une société privée qui vend un logiciel extrêmement intrusif à des Etats connus pour leur politique répressive en matière de droits de l’Homme et contre des journalistes. Et on voit clairement que ces Etats détournent cet outil pour l’utiliser contre ces populations-là ». Rabat aura beau se défendre et nier, arguant de prétendues allégations sur la relation entre le Maroc et NSO, cette fois les preuves sont trop accablantes pour jouer à la victime et défendre la thèse d’une manipulation d’un pays ou d’une partie hostile au Makhzen. Le Maroc narco-Etat peut désormais se targuer d’être également un espion-Etat.
N. K.