Célébration du succès au baccalauréat : Une démesure qui profite à des… non-bacheliers

Ph.:Y-Cheurfi
Ph.:Y-Cheurfi

Autres temps, autres mœurs. Jadis, les candidats au baccalauréat guettaient les résultats en faisant le pied de grue devant leurs lycées ou en écoutant la radio nationale qui annonçait les noms des lauréats, sous les airs de l’indémodable tube du regretté Rabah Deriassa «Djabou el-baccalauréat». Ceux qui possédaient un poste-cassettes prenaient le soin d’enregistrer l’annonce pour la postérité. Cerise sur le gâteau (du succès) : le journal El Moudjahid publiait les noms des lauréats dans l’édition du lendemain, donnant la possilibité aux parents de conserver une preuve matérielle du succès. La joie était surtout individuelle et familiale au plus, les parents faisant preuve de décence vis-à-vis des autres familles, surtout dans les régions rurales. Aujourd’hui, la joie du succès est tout aussi grandiose, mais la manière de recevoir la bonne nouvelle et de la fêter diffère ostensiblement. Prenons la réception des résultats. Vu les avancées technologiques actuelles, elle n’est pas seulement filmée. Elle est carrément scénarisée. On filme le lauréat en train de découvrir qu’il a eu le bac, soit au moment de consulter le site web de l’Office nationale des examens et concours (ONEC), soit devant les listes des lauréats affichées au lycée. L’enregistrement vidéo est parfois spontané, mais il fait souvent l’objet d’un scénario digne des téléréalités : surprise théâtrale, joie surfaite, sourires et rires improvisés… Et encore, en matière d’ostentation, ce n’est que «l’entrée de gamme». Le «haut de gamme», c’est le succès révélé en live sur les réseaux sociaux. Eh, oui : certains lauréat(e)s font leur star pour se démarquer. Plus même : le succès est fêté par tout un show, souvent planifié bien en avance. En premier lieu, il y a les youyous des femmes, plus stridents que de nature, histoire de titiller les voisines. Ensuite, il y a les pétards, fumigènes et autres jeux pyrotechniques actionnés par les hommes, histoire de se vanter dans leur quartier. Enfin, il y a les interminables défilés de voitures et motos, plus bruyants, plus extravagants, plus incontrôlables que les cortèges de mariage ou même les défilés des supporters de clubs. C’est que tout la panoplie y est : klaxons, fumigènes, musique à fond, pétarades, rodéos urbains… Histoire d’en mettre plein les yeux à tous. En somme, il ne s’agit plus d’une simple joie. C’est carrément de l’ostentation. Sans même une empathie pour les très nombreux candidats qui n’ont pas obtenu le baccalauréat et leurs parents. Vu sous cet angle, les gagnants ne sont pas forcément les lauréats. Les principaux bénéficiaires sont… les commerçants. Malgré l’arrêt des compétitions de football, les vendeurs de fumigènes ont trouvé preneurs. Des preneurs qui, à l’inverse des supporters de clubs, ne sont pas trop regardants sur la dépense. Ben quoi ! Être bachelier, c’est une fois dans une vie ! «Waâdas» et collations familiales obligent, les vendeurs de gâteaux se frottent d’ores et déjà les mains face à des parents prêts à dégainer des commandes au prorata de la moyenne obtenue par leurs chérubins. Ne parlons pas des boissons gazeuses, distribuées à profusion dans le quartier, sitôt les résultats annoncés. Des voitures de luxe tape-à-l’œil (des limousines parfois) sont louées pour les besoins des défilés. Même des conducteurs de motos grosses cylindrées sont sollicités, moyennant rétribution, pour «embellir» les cortèges. Comble de l’ostentation : certaines familles aisées organisent même des fêtes dans des salles, concurrençant les fêtes de mariage. Bien sûr, moyennant frais de bouche et de location. Le plus paradoxal dans cette nouvelle mode de célébration du succès au baccalauréat est que ceux qui en tirent le plus profit sont des… non-bacheliers. Les «fournisseurs ès-fêtes» n’ont généralement pas le niveau universitaire, mais ils sont les premiers à souhaiter le plus large succès possible, plus par affairisme que par altruisme. La faute à une surenchère mercantile entourant un succès qui, certes, est important dans le parcours d’une personne, mais qui en est une simple étape, même pas garante d’un avenir professionnel brillant. On est dans la démesure d’une époque où, au prisme du miroir déformant des réseaux sociaux, un arbrisseau se voit chêne.

F. A.

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Il y a bien un avenir sans le bac

C’est demain, dimanche, que seront annoncés les résultats de l’examen du baccalauréat 2025. Comme chaque année, et en vertu de la dure réalité des examens, des candidats l’obtiendront, mais d’autres ne l’obtiendront pas. Malheureusement, en raison de la chute de la valeur de la décence, les célébrations bruyantes, parfois tapageuses, masquent la déception et le désarroi des recalés et de leurs proches. Pis, elles les exacerbent. Les déçus et leurs parents méritent le respect. Par empathie humaine, d’abord, mais aussi parce que l’échec dans une épreuve n’est point synonyme de l’échec d’une vie, tout comme le succès au baccalauréat n’est pas forcément un gage de succès professionnel. Des millions de personnes dans le monde et en Algérie ont réussi dans leur vie sans pour autant avoir été à l’université, soit en se tournant tôt vers la vie professionnelle, soit en se recyclant dans des spécialités pas très pointues, mais rémunératrices. Donc, message à tous les candidats qui seront déçus ce dimanche : il y a bien un avenir sans le bac.

F. A.

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