1965 - 2025 - El Moudjahid fête ses 60 ans, Entre émotion, joie, nostalgie et anecdotes : retrouvailles au 20 rue de la liberté

Ph.:B.B
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L’ambiance était aux retrouvailles pour des dizaines d’anciens employés du quotidien El Moudjahid, réunis à la salle de conférences sise au siège du journal, rue de la Liberté, pour célébrer le 60e anniversaire de la création du journal, le 22 juin 1965 (à ne pas confondre avec El Moudjahid, organe du Front de libération nationale, créé en 1956).

Il y avait des anciens, de plus anciens, des retraités, des transfuges, des pionniers… Bref, un melting-pot de différentes générations d’hommes et femmes ayant contribué à faire rayonner le journal. Rafik-Bey Bensaci, premier directeur du journal, n’en croit pas ses yeux : «C’est un vrai plongeon dans le passé. Je ne m’attendais pas à autant de beau monde et à autant de gratitude», nous a-t-il révélé, la gorge nouée, sans exprimer sa fierté de constater «qu’El Moudjahid a survécu aux vicissitudes des époques et qu’il y a des jeunes journalistes qui prennent la relève». D’ailleurs, c’est à lui qu’a échu l’honneur de couper le gâteau confectionné à l’occasion en compagnie de la benjamine d’El Moudjahid, Radja Benhamreulaïne. Larbi Langar, ancien protocole (agent de liaison entre le service technique et la direction), retrouve d’anciens collègues avec une euphorie non dissimulée. «Je suis venu ici surtout pour retrouver des amis». Certains sont restés les mêmes malgré le poids des années, comme Malika Nasri, ancienne secrétaire reconvertie en agent de saisie, puis promue chef du service de Presse assistée par ordinateur (PAO). «Je suis partie en retraite il y a 14 ans seulement, en 2011, mais je suis en effervescence en retrouvant d’anciens collègues. A l’époque, l’ambiance était indescriptible. Ça fait du bien de m’y replonger», affirme-t-elle entre bises et étreintes aux anciens collègues. Boudjemaa Ben Douas, lui, a changé physiquement. Comment peut-il en être autrement, lui qui a commencé dans l’impression du temps de la France, en 1957, avant d’intégrer El Moudjahid à son lancement en qualité de rotativiste ? «Je n’avais plus remis les pieds à El Moudjahid depuis ma retraite en 1989. On m’a comptabilisé mes années de travail durant la colonisation pour la retraite. 36 ans sans revoir les anciens amis, c’est vraiment trop», concède-t-il. Boubekeur Kechini, qui a bourlingué entre différents services depuis ses débuts comme télexiste, est ému de revoir d’anciens directeurs, dont Mohamed Louber et Larbi Timizar. Il tient à raconter une anecdote au sujet d’un directeur emblématique d’El Moudjahid, ayant cumulé 17 de bons et royaux services à ce poste : Noureddine Naït Mazi. «Sa voiture de service était une modeste Renault R4. Moi, j’attendais souvent le bus en haut de la rue Didouche-Mourad. Lorsqu’il descendait par là (c’était son chemin pur se rendre au travail) et qu’il me voyait en train d’attendre, il disait au chauffeur de s’arrêter pour qu’ils me prennent avec eux. C’était un gentleman, compétent et humble», se souvient-il. H’ssissen Oultache, ancien linotypiste, approuve en assenant que «Naït Mazi était le charisme même». Et d’enchaîner : «Cela fait des années que nous attendions un tel moment, celui de nous réunir tous pour évoquer le passé et surtout, nous entraider entre nous car il y a parmi les anciens des gens qui vivent des situations sociales difficiles». Autres anciens linotypistes (les hommes du plomb, comme on les surnommait à l’époque) : Abderrahmane Zekkar et Mohamed Bedroun. Le premier a débuté dans le métier en 1962, ce qui en fait l’un des plus anciens. «J’ai été touché d’avoir été honoré en tant qu’ancien, ainsi que d’autres collègues. Mes pensées vont vers ceux qui nous ont quittés et qui ont contribué à façonner l’histoire d’El Moudjahid», lâche-t-il avec émotion. D’ailleurs, il a été heureux de croiser le journaliste Mohamed Mendaci, dont le défunt père, Ayache, était linotypiste lui aussi. Bedroun n’en est pas moins ému : «Je suis au bord des larmes. Ces retrouvailles me donnent la chair de poule.» Il ne le dit pas, mais le souvenir de son défunt père, ancien linotypiste à El Moudjahid, est certainement revenu à la surface. Tout aussi heureux, mais plus nuancé, Abdelhak Farrah, ancien secrétaire de rédaction, nous déclare : «C’est avec un immense plaisir que j’ai revu des gens avec qui j’avais perdu le contact. Certes, il y en a avec lesquels les rapports sont corrects, sans plus, mais j’ai revu d’autres avec émotion et nostalgie.» C’est qu’on ne peut pas tous être forcément amis dans un milieu professionnel, mais il y avait un vecteur commun : le respect mutuel. Larbi Timizar, ancien directeur général du journal, résume cet état de fait dans un phrase subtile : «J’étais heureux de revoir les anciens collègues. Comme j’étais directeur général, j’ai forcément une histoire particulière avec chacun d’entre eux.» En tout cas, Zakia Dridi, qui a servi en tant qu’assistante plusieurs directeurs généraux, n’oublie pas les bons moments. Même ses anciens collègues ne l’ont pas oubliée puisqu’ils lui ont réservé une ovation : «J’ai retrouvé avec émotion quelques-uns des DG dont j’étais l’assistante. Je suis aussi émue en me remémorant les autres qui ne sont plus de ce monde, Allah yerhamhoum.» Meriem Zenati-Daïkh, qui était sténographe avant de se convertir à la correction et qui continue toujours d’exercer à El Moudjahid, est toute retournée : «Je me suis replongée 40 ans en arrière. J’ai revu des gens que je n’avais plus vus depuis leur départ en retraite. Je suis sincèrement émue.» Le plus dithyrambique à propos des retrouvailles est Ahmed Fattani, ancien journaliste, aujourd’hui patron de journal : «El Moudjahid est comme la maison familiale de mon grand-père au bled, à Bouira. Je considère chacun de mes collègues comme un membre de ma famille. El Moudjahid est une institution. Tous les patrons des grands journaux privés sont des transfuges d’El Moudjahid. Moi-même, j’ai créé Liberté et l’Expression, deux grands journaux. Chaque fois que je passe par le quartier, je ne rate jamais l’occasion de visiter le journal.» Celui qui a résumé le mieux l’atmosphère ambiante est Zoubir Meridji, ancien chef de service de linotypie : «Je suis saisi par l’émotion, surtout dans cette salle qui abritait, à mon époque, les linotypes. Personne, depuis le 20e anniversaire d’El Moudjahid en 1985, n’a pensé à nous réunir pour des retrouvailles et à nous honorer. Je rends hommage à la direction du journal.» Et de terminer sur une anecdote méconnue au sujet de Mohamed Abderrahmani, ancien directeur général assassiné par les terroristes en mars 1995 : «J’ai en ma possession le dernier document qu’il avait signé : une recommandation à l’adresse du Consulat d’Espagne à Alger pour un visa pour mon fils. Il me l’avait remise la veille de son assassinat. Ce jour-là, occupé avec une délégation d’Amnesty International, il avait confié la confection du numéro du jour à Mohamed Mekati, assassiné une année après, et à moi en qualité de chef de service PAO. Le lendemain, j’avais rendez-vous avec lui à l’hôtel Es-Safir. Alors que je m’y rendais, on m’a appris qu’il avait été assassiné. Je me rappelle m’être évanoui sur place.» Les retrouvailles entre les anciens d’El Moudjahid ont été donc un mélange de joie, d’émotion, de nostalgie et de chagrin. Mais l’essentiel est que, 60 ans après, le journal tourne toujours.

«Personne, depuis le 20e anniversaire d’El Moudjahid, en 1985, n’a pensé à nous réunir pour des retrouvailles et à nous honorer. Je rends hommage à la direction du journal.»

«El Moudjahid est une institution. Tous les patrons des grands journaux privés sont des transfuges d’El Moudjahid.»

F. A.

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