Un jour, un livre : Mohamed Djaâfar, long… est le chemin

Par Aomar Khennouf

Lorsque j’ai vu le livre en vitrine d’une librairie que j’ai l’habitude d’écumer, le nom de l’auteur a suscité ma curiosité. Son patronyme ne m’est pas inconnu et j’étais encore plus curieux de parcourir ce long chemin qui doit certainement parler de l’histoire de son bled. En effet et dès les premières pages, on découvre un roman-saga qui retrace les trajectoires de ses héros aux couleurs multiples et aux destins croisés. Avec une écriture aussi limpide que les eaux de la fontaine d’Ain Bachagha, Mohamed Djaaffar nous offre un récit aussi grand que le massif des Bibans dans une histoire aussi vaste que les plaines de la Medjana. C’est une fresque humaine avec une association de couleurs pour dépeindre ses personnages, leurs origines et leurs calvaires. Il y a des musulmans, des chrétiens, des juifs, que j’énumère du point de vue religieux. Et du point de vue ethnique, il y a des Berbères, des Arabes, des Français, des Maltais, des Gitans, des Espagnoles et des Mahonnais. Je dois dire que cette catégorie de gens originaires de Minorque et des îles Baléares était confondue avec celle des Espagnols dans laquelle elle s’est diluée dans notre imaginaire. Concentrée principalement dans l’Algérois, Mohamed Djaafar nous la fait découvrir sur les hauts plateaux. Alors comment dire ce que j’ai ressenti, dans cette lecture singulière sans enlever aux lecteurs le plaisir dans cette lecture ? Quoique mon nom soit assez répandu dans la région, mes aïeux sont originaires d’un hameau haut perché dans les monts des Babors et BBA est ma ville d’adoption depuis plus de quarante ans. Malgré la lourdeur de certains passages, il faut dire que ce livre a été autoédité par son auteur, j’étais ému de redécouvrir tout ce qui m’a fait aimer ce bled, cette ville et ses faubourgs. Ainsi que les caractéristiques sociales des héros de Mohamed Djaafar et qui se résume en la modestie, l’hospitalité, l’abnégation, la résilience et le courage pour traverser cette longue nuit coloniale dans à la précarité, la pauvreté. Long… est le chemin et la multitude de chemins superposés de chacune des familles que l’auteur nous invite à suivre dans son roman. Des communautés que tout pouvaient séparer, l’origine, la religion, les croyances, les traditions et les mœurs, ont coexisté par la grâce d’une seule vertu : la tolérance. Des familles humbles, unies simplement par la solidarité pour faire face à la dure réalité de la colonisation, de la félonie et l’extrême cupidité des plus acharnés des colons pour que ce qui devait arriver arriva : l’embrasement du pays pour le libérer, la nuit de la Toussaint. Dans ce roman, la femme occupe des places au premier rang de l’histoire. Elles sont autant des épouses aimantes et dévouées, des voisines aussi proches que des sœurs. Des filles de joie et des diseuses de bonne aventure. On sent dans cette lecture que l’auteur, sans verser dans la sublimation des femmes, loin de tout féminisme débridé, ni dans l’exaltation de nos valeurs qui ont tendance à masquer nos défauts, n’a pas versé dans la vulgarité ou dans la concupiscence, cher à certains auteurs qui font dans la description de scène d’amour, érotique serait plus juste, la véritable finalité de leurs romans. Les scènes d’amour et des faiblesses humaines sont contenues par l’auteur dans limites de la pudeur sans altérer, ni la sensualité ni la beauté des sentiments. Ce roman a aussi des caractéristiques, des mérites à mon sens. D’abord celui d’avoir emprunté à l’histoire réelle, la chronologie des étapes et des événements sans les dénaturer ni les dévier. C’est une grande marque de respect envers l’histoire authentique de la région et du pays de manière générale. Ensuite le fait de dérouler le fil conducteur de sa narration du côté des plus pauvres, des miséreux, des laissés pour compte et des héros oubliés par l’histoire. Enfin et ce n’est pas le moindre des mérites, quand bien même il s’agit d’une fiction, c’est celui de témoigner d’une grande reconnaissance envers les communistes, des Français de souche, des chrétiens et des juifs où des sans religion ni chapelle idéologique. Et qui sont tous profondément Algériens. Tous les personnages du roman sont fictifs, inspirés certainement par des héros bien réels, à l’exception de deux qui sont évoqués à la fin du roman : Abane Ramdane et Mohamed Larbi Ben M’hidi, qu’ils reposent en paix. De Webbane, une bourgade qui est aussi allusive que BBA est réelle, où le récit commence, le lecteur est transporté par l’auteur au-delà des mers et au-delà des guerres. Le récit commence à la fin de la grande guerre, le Premier conflit Guerre mondiale. Il traverse la Seconde Guerre mondiale et s’achève à la fin de la nôtre qui botta le c... au colonialisme. Une guerre de Libération qui dura sept années avec son lot de sacrifices, de souffrance et de tragédie. La fin de ce roman est une explosion de joie : ‘‘On chantait la liberté, on écrivait son nom sur les murs et les banderoles, on dansait et on s’embrassait, on se congratulait, on se promenait partout, oui tout est à portée de main ; l’époque du pain noir était terminée, plus jamais la faim et les privations, le froid et les épidémies, les humiliations et les vexations… L’injustice sera à jamais bannie de ses terres fertilisées par le sang des braves, l’ignorance sera traquée dans les régions les plus reculées, la femme deviendra citoyenne à part entière, libre. Elle a combattu les armes à la main, soigné les blessés, nourri les maquisards, lavé leur linge… Après tant de sang versé, de larmes et d’épreuves, l’avenir était synonyme de bonheur pour tous les Algériens quelle que soit leur confession’’. Le rêve était beau. Et c’est, malheureusement le cauchemar qui lui a succédé. Parce que beaucoup de loups n’ont pas quitté la bergerie. Ils ont juste changé de visages et de camp. On ne se ‘‘doutait pas que la liberté pouvait avoir ce goût si amer’’, comme le dit Âami Tayeb. Long a été le chemin et long il reste pour la liberté.

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