
En 1903, la découverte du charbon et son extraction depuis 1917 redonna la vie à ce lopin de terre frappé de désolation et d’isolement, avec des conditions climatiques extrêmes insupportables, engendrant une ruée d’hommes de communautés diverses (française, espagnole, italienne, marocaine).
Au sud de la ville de Béchar se trouvait une vaste terre à la fois rocailleuse, sableuse, aride, inculte, inhabitée et hostile à toute forme de vie humaine. Ceux qui allaient devenir de pauvres mineurs vécurent dans un contexte peu favorable, voire hostile à leur survie. Le sous-sol regorge de houille. La France exploitera à outrance cette matière première. La misère endémique et le chômage frapperont la quasi-totalité de la population de la région saharienne. Les gens n’apparaîtront que dans les rares oasis ou au bord des oueds. La moindre revendication des mineurs était interdite pour laisser place à une totale soumission. Ces mineurs faisaient l’objet d’une oppression sans limite et demeurèrent victimes du nocif clivage communautaire. Le charbon s’exporta à outrance vers plusieurs pays européens. L’entreprise des Houillères du Sud Oranais (HSO) fondée dans les années cinquante constituait l’unique société qui offrait un emploi et la main-d’œuvre à bon marché. Elle l'exploitait au maximum dans ce coin reculé de l’Algérie, alors que leurs familles pensaient pouvoir enfin bénéficier de vacances, se prémunir de toutes formes de maladies et garantir à leur descendance un meilleur avenir.
Ceux qui entrent vivants en ressortiront peut-être morts
Les mineurs exercèrent leur métier sous une chaleur torride et étouffante, au prix d’une agonie pleine d’affres et de sacrifices inhumains, car le charbon enfoui à plus de cinq cents mètres de profondeur exigeait du mineur d’adopter une position couchée tantôt sur le côté tantôt sur le dos ou assise. Pour mieux sensibiliser les mineurs sur la menace qui pesait sur eux au fond des galeries, la société des HSO placarda à l’entrée du siège 21 l’écriteau : « Ceux qui entrent vivants en ressortiront peut-être morts». Cette réalité non assumée constitue pour l’être humain un véritable cas de conscience de non-assistance à un groupe de personnes en danger de mort. Les illusions de bonheur se dissipèrent rapidement par ce rappel et les souffrances des mineurs débutaient là. L’esprit des ouvriers était soumis à une torture morale intense, car ils furent l’objet d’invectives, d’injures et d’obscénités abjectes dans leurs rapports avec leurs supérieurs. Hantés et obnubilés par la mort qui pouvait surgir subitement et précocement, les extracteurs de charbon, très lourdement équipés, étaient contraints à un travail éreintant durant dix heures par jour dans les entrailles étroites des mines. Ils se contentaient quotidiennement et à longueur de journée d’un repas qui se limitait à une baguette de pain, parfois des dattes et du lait. Couvert de la tête aux pieds par un masque noirci par la poussière, l’ouvrier ressemblait à un combattant camouflé qui partait en guerre. D’innombrables facteurs de risque et d’insécurité menaceront ces employés alors que la société pouvait apporter les remèdes adéquats. Cet état de prévarication avait condamné les mineurs à perdre la vie, et ce, sans parler de leurs sentiments et émotions exacerbés constamment par la peur, la crainte, l’angoisse et l’inquiétude occasionnées par l’eau, le grisou, les éboulements et les coups de poussier, ces fines particules de carbone hautement inflammables présents durant l’exploitation des mines de charbon. En suspension dans l’air, ils risquent de provoquer des explosions meurtrières telle celle de Courrières, la plus importante en Europe et qui a fait 1 099 morts. L’incendie était lui aussi un ennemi implacable du mineur moderne. Un coup de poussier, même minime, pouvait mettre le feu à des poussières dans un coin de la taille. Le charbon en place commençait à s’y consumer, doucement, sans production de grandes flammes comme dans un poêle en raison de la rareté de l’air. Cette combustion lente dégageait non pas du dioxyde de carbone mais aussi du monoxyde de carbone. Le gaz inodore, incolore, insipide se collait aux globules rouges et empêchait l’oxygène de se fixer. Le mineur commençait à avoir des étourdissements, des maux de tête et s’effondrait dans un coma qui le conduisait à la mort par asphyxie. L’eau, cette source de vie ailleurs, était aussi un des plus grands ennemis du travailleur sous terre. En effet, chaque perforation, chaque explosion pouvait déboucher sur une poche d’eau qui inondait alors complètement la galerie. Les mineurs se retrouvaient alors piégés comme des rats sur un navire qui sombrait.
Un salaire de misère
Le grisou, lui, constituait le risque sécuritaire élevé occasionné par les fréquentes explosions dues au gaz. L’agglomération coloniale de Bidon-Deux et de Kénadsa se présentait à l’époque comme un beau village où se côtoyaient Algériens, Marocains, Tunisiens, Juifs, Français, Italiens, Espagnols et autres. Les sociétés françaises des chemins de fer et des HSO édifièrent l’infrastructure de base pour loger leurs ouvriers, alors que l’autochtone eut droit à un logis dans les corons peints en couleur blanchâtre pour diminuer les risques d’infection, en particulier celle des yeux. Le mineur, généralement le seul à travailler pour sa famille, déployait de lourds sacrifices physiques et mentaux. Le salaire de misère des mineurs permettait beaucoup plus de gagner le pain de subsistance pour la famille nombreuse que de mener une vie décente dans le respect de la dignité humaine. Le monde entier, notamment l’Oranie, se souviendra longtemps et avec peine de la catastrophe minière ou du drame tragique survenu le 4 mai 1948 qui a touché les employés de Kenadsa. Beaucoup de gens se sont inclinés devant ses 14 ouvriers musulmans et européens tombés sur ce site. Les rescapés de cette tragédie ont d’ailleurs rejoint plus tard les victimes en contractant cette maladie grave, la silicose, qui s’attaque aux poumons à cause de la poussière de charbon que le mineur respirait en quantité dans les entrailles de la Terre. Avec tout ce qu’ils avaient enduré comme conditions lamentables et inhumaines vécues dans l’exercice de leur métier, les parents-mineurs avaient répondu présents à l’appel des braves pour libérer du joug colonial la mère patrie. Sacrifiant leurs dividendes de misère et leurs personnes, on les retrouvait dans l’accomplissement de leur devoir sacré, alors qu’après quinze années d’activités souterraines dans les entrailles des mines, les parents-mineurs ressentaient d’abord physiquement les effets néfastes de la silicose engendrée par la précarité absolue des conditions de travail et face à la mort qui les guettait à tout instant et tout au long de leur vie. Aujourd’hui encore, ils se comptent sur le bout des doigts, ceux qui ont survécu à tous ces déboires du travail de fond, de ce métier de mineur et l’on ne peut demeurer insensible à leur histoire, lorsque l’on visite ces lieux de supplice qui ont réussi à survivre à toutes ces années d’abandon auxquelles elles ont été soumises. Sauvegarder ces derniers vestiges des mines de charbon de Béchar/Djedid et Kénadsa qui demeure un pan de l’histoire de la région, ne ferait que rendre un vibrant hommage à tous ces hommes qui ont marqué cette histoire de leur empreinte et de leur vie.
Ramdane Bezza