Biodiversité /Eléments du décor saharien : Fascination d’un autre monde

Le style particulier des accidents de la géographie saharienne voudrait qu’on les désigne par les mots arabes ou berbères utilisés sur place. Ces noms communs étant passés dans les noms propres au fur et à mesure que s’élabore notre connaissance du Sahara, il n’est pas inutile de donner un court lexique des principaux d’entre eux.
On a déjà identifié «tassilis» et «hamadas», qui composent pour l’essentiel le relief moyen des plateaux. La montagne en général, par opposition à la plaine, c’est l’«adrar» ou le «djebel». Appellations qui désignent, même dans l’Adrar des Iforas, des formes très érodées et peu mouvementées. La ligne de hauteur barrant l’horizon peut être désignée par le mot «dhar». Il s’agit souvent d’une simple falaise que les anciennes rivières ont sculptée dans la roche. L’horizontalité la plus frappante, du moins en apparence, est celles des «regs», immenses dallages recouverts çà et là de sable poudreux ou de cailloux, qui s’offrent comme des pistes naturelles illimitées pour les camions et les avions. Il n’y a rien qui puisse retenir le voyageur dans le reg. C’est l’expression même de la désolation : c’est un autre monde. Parfois, une intrusion rouillée conforte cette idée de paysage extra-terrestre : le reg est l’endroit de la planète où se détectent le mieux les météorites tombées du ciel. A l’opposé du reg, l’«erg», ou le champ de dunes, se conforme à l’image poétique du désert présente en chacun de nous. Autrement dit quand l’épaisseur du sable augmente, on est dans le domaine des «ergs», c’est-à-dire des dunes, que le vent déplace sans cesse comme les vagues d’un océan minéral. De ces vagues de sables doux naissent des paysages sublimes que le vent sculpte quotidiennement. Appelées tantôt «gassi», lorsque leurs crêtes se déroulent en longs rubans parallèles, tantôt «barkhanes», troncs de cône évidé en forme de croissant, tantôt «oghourds», quand le sable s’amoncelle en pyramides, les dunes des ergs se combinent avec le reg dans les paysages les plus désolés du Sahara : le Tanezrouft et le Ténéré. Par ce dernier terme les Touaregs nomment les plaines de sable semblables au grand erg sauvage et inhabité qui s’étend à l’est du massif de l’Air. L’hydrographie originale du Sahara a aussi son vocabulaire. Ne coulant que par exception, les oueds sont à la fois les cours d’eau «fossiles» et les vallées qu’ils ont creusées. Dans les parties déprimées des zones d’épandage, les lacs éphémères nourris par les pluies forment les «dayas». Quand un dépôt de sel recouvre le fond de ces cuvettes, ce sont des «chotts» ou des «sebkhas».

Il va sans dire que le grand désert n’est pas un endroit où l’on reste 
Où l’eau ne tarit pas, on trouve les «gueltas», mares plus ou moins saumâtres, ou les «oglats», puits de faible profondeur. Les stratégies développées sont variées : économie d’eau, lutte contre l’évaporation, enfouissement … animaux et végétaux ont développé des capacités inimaginables pour tenir, sans apport d’eau, le temps de se reproduire, jusqu’aux prochaines pluies, le plus souvent exceptionnelles. Tous ces accidents de la géographie saharienne montrent que l’uniformité du désert cesse dès qu’on le regarde pièce à pièce. Par eux, il est possible d’établir une «géographie régionale» du Sahara. Si la division ainsi opérée ne fournit pas des «provinces naturelles» aussi bien délimitées et aussi distinctes que dans les pays tempérés, elle peut néanmoins aider à retrouver son chemin sur la carte de ce territoire démesuré. Il va sans dire que le grand désert n’est pas un endroit où l’on reste : on y est pour le traverser, pour le quitter au plus vite. Les caravanes ont disparu, remplacées par les lourds et bruyants camions, affaiblies par l’établissement de frontières et le bouleversement de leur système social. Il reste encore un peu de semi nomadisme, en bordure du désert, dans un rayon de quelques dizaines de kilomètres autour des oasis. Là, une société pastorale touarègue profite de la moindre verdure pour nourrir quelques animaux. La tente est toujours là, mais elle est souvent de bâche et plus guère de poils de chameaux tissés. Les jerricans de métal côtoient maintenant les guerbas, outres en peau de chèvre. Au besoin, ils peuvent même servir de caisse de résonance pour les soirs de fête.

Kamel Bouslama

Multimedia