
Entretien réalisé par Karim Aoudia
Le royaume du Maroc vise à détourner l’opinion des problèmes socio-économique récurrents auxquels il est confronté et qui se sont accentués avec l’épidémie de la Covid-19, estime l’expert en géopolitique, M’hand Berkouk.
El Moudjahid : Quelle est votre lecture de l’agression marocaine d’El Guerguerat ?
M’hand Berkouk : Les actions militaires marocaines de vendredi et samedi dans la région d’El Guerguerat, au sud-ouest du Sahara occidental, constituent une violation flagrante de l’accord de cessez-le-feu et des dispositions de l’accord militaire n°1 délimitant les zones sahraouies où l’armée marocaine ne devrait pas être présente. C’est donc une violation des zones démilitarisées portant atteinte à la création du passage d’El Guerguerat. Cette action de l’armée marocaine constitue aussi une tentative de s’imprégner du degré volonté de la communauté internationale à résoudre la question du Sahara occidental conformément aux différentes résolutions de l’ONU et de son Conseil de sécurité. Sur ce plan, le royaume marocain a déjà préparé la communauté internationale depuis longtemps en procédant notamment à des pseudo-ouvertures des consulats dans les territoires occupés, notamment à Dakhla et El Âayoun. Il faudra relever, à cet effet, qu’aucun texte de droit international ni aucun Etat ne reconnaît une quelconque souveraineté du Maroc sur le territoire du Sahara occidental, classé en tant que territoire non autonome parmi les 17 autres inscrits auprès de la 4e commission de Nations unies depuis 1963. Le Sahara occidental est membre fondateur de l’Union africaine où le Maroc et la Rasd siègent l’un à côté de l’autre pour traiter des questions de sécurité et de paix en Afrique. Ce qui n’est pas le cas du côté du Maroc dont l’action militaire dans la zone d’El Guerguerat relève d’une transgression indéniable de la légalité internationale.
Qu’en est-il du choix du timing et quels sont les objectifs du Maroc ?
Ces objectifs sont principalement au nombre de quatre. Le premier est de tester la détermination de la communauté internationale par rapport aux résolutions de l’Onu traitant de la question du Sahara occidental, le second objectif est de tester le degré résilience du peuple sahraoui par rapport à la défense de sa cause. Je crois que la réponse de la Rasd et du Front Polisario est sans équivoque quant à leur volonté dans le cadre de la légalité internationale pour regagner leur droit légitime. En troisième lieu, le royaume vise aussi à travers cette action militaire à détourner l’opinion marocaine par rapport aux problèmes socio-économiques récurrents auxquels il est confronté, et qui se sont accentués dans ce pays avec l’épidémie de la Covid-19. Le Maroc œuvre donc à créer un climat d’animosité avec le Sahara occidental et avec d’autres Etats qui n’ont rien à voir avec la situation qui prévaut sur son front intérieur et ce, dans l’objectif de détourner son opinion locale à travers une manipulation et des campagnes de désinformation. Le quatrième objectif du Maroc est celui créer de brèches pour trouver de nouveaux marchés en Afrique de l’Ouest, vu que ce pays est déjà asphyxié non seulement par l’épidémie du coronavirus mais aussi par la mauvaise gouvernance économique.
Quelles sont les conséquences de cette agression sur la région ?
La question du Sahara occidental est une question de décolonisation, c’est la dernière colonie en Afrique. Le Maroc, qui n’a jamais respecté les règles de bon voisinage et qui n’a jamais adhéré au principe de l’intangibilité des frontières, a toujours eu une vision expansionniste. Sur ce plan, l’histoire nous renseigne au sujet des attaques contre l’Algérie en 1963 et cette occupation marocaine du territoire du Sahara occidental qui date de 1975. Ces actes militaires et d’agression qui reflètent cette mentalité expansionniste du Maroc auront des conséquences certaines sur le processus de résolution du conflit. Les Sahraouis ont le droit légitime de défendre la réappropriation de leur territoire. Ils ont la volonté de résoudre le problème par les moyens pacifiques sous l’égide des Nations unies, ce qui a d’ailleurs été reconnu depuis 1991. Cependant, le Maroc essaye toujours de régler à sa façon ce conflit, en transgressant à la fois les règles internationales et en agressant un peuple pacifique qui n’a jamais manifesté à son égard aucune intention belliqueuse. Les Nations unies ont une responsabilité importante dans la résolution de ce conflit en rappelant les principaux engagements de l’accord du Conseil de sécurité de 1991, en facilitant le travail de la Minusro par des engagements nouveaux concernant la préparation d’un référendum d’autodétermination. Les Sahraouis attendent avec beaucoup de patience ce référendum qui doit déterminer leur destin.
K. A.