Enquête sur la passion renaissante de la lecture : Le livre est-il toujours à la page ?

- L’Algérien et la lecture : A chacun son… livre
- Librairies : Un bilan mitigé
- Les étudiants et la lecture : Passer au format numérique
- Lamia Hamache, directrice de l’édition par intérim à l’ANEP : «Nous avons également renforcé notre présence sur les réseaux sociaux»
- Roman, nouvelle, poésie, lexique et dictionnaires : Donner de la visibilité au livre amazigh
- Rachida Belharaoui, responsable de la communication à l’ANEP : "Nous organiserons des ateliers de lecture dans les zones d’ombre"
- Omar Rochdi, directeur de l'édition chez Ablej : Il y a des contraintes de distribution
- Kamel Kerour, directeur de la maison d'édition El watan El Yaoum : Les jeunes s’adaptent à la sphère virtuelle 
- Commentaire : Au-delà des discours 

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Défricher l’insondable sujet de l’édition, du livre ou plus précisément de la lecture ne saura tenir en trois pages d’un quotidien. L’enquête proposée n’a rien d’une étude sociologique sur les tendances littéraires des Algériens mais un instantané basé essentiellement sur l’avis de professionnels du livre et de lecteurs. Les avis et propos récoltés révèlent une once d’optimisme, en trame, quant à la capacité des Algériens à écrire, éditer et lire, malgré les innombrables « galets » qui grippent l’engrenage. Le monde du livre survit, comme il l’a toujours fait, aux politiques et, encore plus, aux fanatismes. A en croire les uns et les autres, la lecture est loin d’être en déperdition.

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L’Algérien et la lecture : A chacun son… livre

Les citoyens ont un rapport différent avec la lecture notamment avec l’introduction des TIC et des réseaux sociaux.Pour l’étudiante en biologie, Nesrine Karasane, la lecture sur la version papier relève du passé. «Je ne m’attarde pas à la bibliothèque pour chercher des références car certains ouvrages sont dépassés, alors que ma spécialité est en évolution perpétuelle, je préfère surfer sur les bibliothèques numériques internationales pour pouvoir faire un exposé consistant. Je consulte souvent des livres d’histoire algériens car ils ne sont pas disponibles sur le net», dit-elle. Elle souligne avoir un penchant pour la littérature, notamment pour Assia Djebar, Mohamed Dib et d’autres écrivains algériens. L’enseignant Djahid Mokhbi cite parmi ses meilleures lectures Le musulman dans le monde de l’économie de Malek Bennabi et de La démocratie en Amérique d’Alexis Tocqueville avec une préférence pour l’histoire et les faits de société. Il indique les motifs qui n'incitent pas à lire car avec l'émergence des TIC "on préfère la facilité de l'information (images, schémas, résumés) plutôt que d'entreprendre des plongées dans la lecture". Les enseignants n'ayant pas une grande autorité sur les élèves, c'est donc aux parents d'apprendre à leurs enfants à aimer la lecture et c'est aux pouvoirs publics d'aménager des espaces de lecture, ajoute-t-il. La lecture permet de développer les connaissances, d’avoir une vision du monde et de côtoyer des écrivains, historiens, érudits. Ikram Nasri, enseignante d’anglais dira quant à elle : « Depuis mon intégration à l’université d’Alger en littérature anglaise, je ne lis qu’en anglais. Je m’intéresse aux livres scientifiques car j’ai l’intention d’étudier le management.» Elle dit que la langue de Shakespeare est utilisée par les adolescents et que certains élèves parlent en anglais mieux qu’en français. Le chercheur doctorant en espagnol, Billel Lounissi, déclare : «D'abord il faut avoir la curiosité de lire, les jeunes doivent acquérir cette bonne habitude et la pratiquer de manière quotidienne.» Il constate que les livres en langue espagnole sont disponibles dans les grandes villes, à Alger notamment en librairie, sur commande et dans certaines institutions comme l'institut Cervantès. «Je lis uniquement en espagnol avec un penchant pour l'histoire et la littérature hispano-américaines», dit-il. Ali Chaouche de l’institut de traduction d’Alger déclare : «Je n’ai pas abandonné l’habitude de lire, notamment en espagnol, j’aime cette langue, je télécharge des livre en PDF car en librairie et chez les bouquinistes ils sont chers.» Dalila, rencontrée à la librairie Chaib Dzair à Alger, achète des contes en français et en arabe pour les vacances. «Actuellement je ne lis pas de livres, je ne parcours que les journaux pour m’informer», dit-elle. Karim Lyadi qui fréquente souvent la librairie du Tiers-Monde dira : « Je viens chaque samedi pour acquérir les dernières nouveautés. Je lis uniquement en français, d’autant plus que j’ai pris l’habitude de suivre l’actualité nationale ou internationale dans la langue de Molière.» Hadj Ali rencontré à la place Khemisti à Alger-Centre indique que sa fille l’a chargé d’acheter Le fils du pauvre et La cité des roses de Mouloud Feraoun afin de faire une analyse du discours car son enseignant lui a demandé de lire les ouvrages de cet écrivain. «Ma fille s’intéresse à la lecture des livres écrits en français, car c’est la langue qu’elle maîtrise.» Djalal reconnait qu’il ne lit pas et qu’il n’a pas l’intention de le faire parce que cela "ne me passionne pas". Il préfère les publications sur les réseaux sociaux et surtout les commentaires. Feriel préfère regarder les films turcs doublés en arabe. «Quand je prends un livre, je me sens angoissée et peu désireuse de le lire.» Hadj Réda, 75 ans, avoue qu’il ne lit plus, se contentant de deux à trois journaux par jour juste pour les mots fléchés.

Hichem Hamza

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Librairies : Un bilan mitigé

Quelles sont les pratiques de lecture dans le contexte de la pandémie du coronavirus ? Les Algériens lisent-ils davantage ? Quels sont les ouvrages de référence demandés ? Pour Fouzia, gérante de la librairie des Beaux-Arts à la rue Didouche-Mourad à Alger, la pandémie du coronavirus a entrainé une baisse du nombre de clients même si les jeunes sont toujours friands de romans tandis que les plus de 50 ans ont tendance à demander des ouvrages sur l’histoire de l’Algérie. Elle constate que les adaptations de film et les livres promus par les réseaux sociaux connaissent une popularité sans commune mesure. Fouzia affirme que la majorité des ouvrages proposés par son établissement sont d’expression francophone, cependant, les livres en langue arabe et anglaise sont très prisées. Elle constate l’émergence d’une demande de références en langue allemande. Pour sa part, Smail M’hand gérant de la librairie centrale d’El-Biar constate que le goût de la lecture diminue. «Il y a un long processus d’érosion du lectorat qui est antérieur à la pandémie de coronavirus. Paradoxalement, au même moment l’édition nationale a connu un boom sans précédent. Plusieurs maisons d’édition ont été créées grâce à l’aide de l’Etat autorisant une montée en gamme sur le plan qualitatif, ajoutant que «l’Algérie a fait un pas de géant dans ce domaine avec 50 éditeurs de très bonne qualité ». Le parascolaire est la référence la plus demandée à côté des romans, des livres d’architecture et des essais. Sur le plan linguistique, Smail M’hand affirme que la langue arabe et française se taillent la part du lion et la langue anglaise connait une expansion notoire. Il ajoute que les réseaux sociaux font que des ouvrages publiés au Canada ou en Irak ont une popularité en Algérie. Engouement pour les ouvrages d’histoire, de bricolage, d’architecture et les romans Mahfoud, propriétaire de la librairie Groupe des lumières à Blida, remarque par contre que la pandémie a boosté les ventes, toutes thématiques confondues, avec une demande accrue pour les romans et les livres d’histoire. «Je reçois des visiteurs d'Oran, d'Alger, de Bouira. La pandémie a encouragé l’émergence de nouvelles pratiques avec l'acquisition des ouvrages de bricolage et d’architecture qui sont de plus en plus demandés. Le libraire constate que les livres en langue arabe sont les plus demandés suivis de la langue française. La littérature anglaise est également très prisée au moment où la pandémie du coronavirus a restreint l’importation de ce type d’ouvrage. Les livres sur la religion connait également un attrait particulier notamment les ouvrages d’Abu Hamed El Ghazali et Djalel Eddine Rumi. « Nous offrons un livre pour chaque achat, nous offrons aussi des livres parascolaire aux bibliothèques communales», dit-il. A la librairie Ibn Khaldoun, rue Didouche-Mourad, Hadj Ahmed, le gestionnaire, note que le coronavirus a suscité un engouement certain pour la lecture. « Certes, les premiers mois nous avons connu une baisse des ventes mais depuis avril 2020 il y a une explosion des achats surtout pour les livres en langue arabe et française avec une certaine préférence pour les ouvrages à l’image de L’Alchimiste de Paolo Coelho ou Samarcande d’Amine Maalouf.

Sami Kaidi

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Les étudiants et la lecture : Passer au format numérique

Les nouvelles technologies ont une place prédominante dans la vie des jeunes d'une manière générale et plus particulièrement des étudiants mais la passion de lire existe toujours chez eux. La lecture fait partie des activités quotidiennes des étudiants à côté de la musique, des sorties entre amis. Chakib Talbi, étudiant en licence de langue espagnole à la faculté des langues étrangères de Ben Aknoun, précise qu'il n'a jamais cessé de lire depuis son jeune âge. «Mes parents m'ont initié à la lecture via les petites histoires, les mangas que j'adore toujours, mais aussi les romans et bien sur les livres relevant de mon cadre d'étude», ajoute-t-il. Il télécharge aussi des livres sur son téléphone car «c'est plus pratique pour les nouvelles publications». Il visite les salons du livre et quand il trouve un livre qui l'intéresse, il le télécharge "ce qui me fait gagner du temps, de l’espace et même de l’argent». Sa camarade Lyna partage les titres de nouveaux livres sur sa page Facebook et Instagram pour informer et inviter ses amis à lire ces nouveautés. De nombreux jeunes ont investi les réseaux sociaux pour partager leur passion de la lecture. booktubeurs ou instagrameurs rivalisent d'inventivité pour donner le goût de lire comme le fait le groupe des amis de la Bibliothèque nationale, dont Sonia, étudiante à la fac centrale, fait partie. Chacun partage les titres des livres qu'il a lu ou projette de lire. Une émulation s'instaure entre les membres du groupe. Un autre groupe intitulé «Club de la lecture» propose divers titres, surtout des romans, qu'ils soient anciens ou nouveaux.

Des pratiques de lecture transmises dans le cercle familial
La place de la lecture au sein du cercle familial influence le comportement des jeunes. Les lecteurs qui ont eu la chance de lire assidûment les livres dès leur jeune âge perpétuent cette tendance. Ils disent que l'amour et la passion du livre leur viennent de l'enfance. Les parents influencent le comportement des jeunes qui débutent par la lecture en format papier avant de passer au format numérique.
Kafia Ait Allouache

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Lamia Hamache, directrice de l’édition par intérim à l’ANEP : «Nous avons également renforcé notre présence sur les réseaux sociaux»

La suspension des salons et autres évènements culturels est un handicap sérieux pour l’activité éditoriale, explique Lamia Hamache, directrice de
l’édition par intérim à l’ANEP.

Entretien réalisé par K. Bouslama

El Moudjahid : Face à la pandémie, quelles sont les mesures prise pour s’adapter aux contraintes imposées par les mesures préventives ?
Lamia Hammache : La crise sanitaire a ébranlé notre mode de vie tant sur le plan individuel que sur le plan collectif. A l’instar de toutes les entreprises, l’ANEP s’est organisée en conformité avec le dispositif sanitaire. Au début de la pandémie, le télétravail a été privilégié et progressivement, il y a eu retour à la normale avec le respect du protocole sanitaire. Le métier du livre est fortement impacté par la situation sanitaire ; tous les maillons de la chaîne éditoriale sont touchés par les mesures sanitaires pour endiguer la propagation du virus. La fermeture des librairies pendant trois mois et la suspension des salons du livre et autres manifestations culturelles ont été à l’origine de l’asphyxie que connait le livre. A l’ANEP, nous nous adaptons à cet environnement, tout en continuant à proposer des titres à nos lecteurs et accompagner nos auteurs dans cette conjoncture exceptionnelle. Ainsi, après la réouverture des librairies en juin 2020, nous avons inauguré la sortie littéraire 2020 avec quatre titres. Déterminés à maintenir le cap, nous avons entamé la nouvelle année avec quatre autres titres (deux essais et deux romans) et nous comptons poursuivre et honorer nos engagements envers nos auteurs et nos lecteurs.

Y a-t-il d’autres pistes que vous avez, au plan strictement éditorial, envisagées pour faire face à la pandémie ?
Les gestes barrières sont certes importants, et plus encore c’est une responsabilité civile, mais en l’absence d’activités culturelles (salons de livres, manifestations culturelles…), il demeure difficile de promouvoir le livre. Et pour tenter de donner de la visibilité à nos publications, nous avons opté pour le dépôt-vente auprès des libraires et des tiers susceptibles d’être intéressés par la diffusion des livres. Une mesure que nous ne privilégiions pas auparavant, mais qui s’impose, à notre avis, au regard de la crise financière que traversent les différents maillons de la chaine du livre. Nous avons également renforcé notre présence sur les réseaux sociaux et œuvrons à concrétiser un projet de plate-forme de e-payement pour la distribution de nos ouvrages par Algérie-Poste. Pour redynamiser l’activité commerciale, nous avons initié des promotions conséquentes au niveau de notre librairie, depuis le mois de novembre. «Le Mois de la mémoire» a vu une réduction sur les beaux livres et les livres d’histoire ; l’initiative s’est étendue sur l’ensemble des titres durant le mois de janvier à travers le thème «Le temps d’une lecture». Au niveau de notre librairie Chaïb-Dzaïr, des ventes dédicaces sont organisées autour des nouveautés. Des ateliers de lecture s’y tiennent également au profit des écoliers, leur offrant un espace culturel convivial et ce, dans le respect le plus strict des mesures préventives.

Concernant précisément les mesures barrières, pensez-vous qu’elles sont suffisantes de sorte à permettre de poursuivre vos activités professionnelles ?
Même si les mesures barrières sont maintenues pour aider à freiner la propagation de la maladie, la suspension des salons et autres événements culturels est un handicap sérieux pour l’activité éditoriale. Nous espérons que cette conjoncture prendra fin pour que les lecteurs renouent enfin avec le livre et l’auteur.
K.B.

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Roman, nouvelle, poésie, lexique et dictionnaires : Donner de la visibilité au livre amazigh

Le Haut-commissariat à l’amazighité œuvre à conférer de la visibilité au livre amazigh de différents genres comme le roman, la nouvelle, la poésie ou encore les ouvrages de lexique et les dictionnaires, a indiqué son secrétaire général, Si El Hachemi Assad, ajoutant que le HCA met l’accent sur les ouvrages de lexique en finançant les travaux de recherche et la publication de actes de colloques qui sont autant de contributions à caractère scientifique. Grâce aux éditions du HCA ou à la coédition, le livre amazigh a pu séduire un lectorat important dans les diverses variantes de la langue que ce soit en kabyle, en chaoui ou en tamachaght. La demande est effective et elle est appelée à augmenter. En Algérie, les auteurs d’ouvrages écrits en arabe ou en français constatent une évolution lente du lectorat et le même phénomène est relevé pour ce qui est du livre amazigh. Pour inverser la tendance, des efforts sont consentis par le HCA soit en éditant seul ou en collaboration avec d’autres maisons d’éditions. Néanmoins, la coédition avec des entreprises publiques comme l’ENAG, l’ANEP et l’Office des publications universitaires a connu quelques ratés ce qui réduit la portée de l’élan de diffusion : chose à laquelle il faut remédier. «On veut relancer la coédition avec l’ENAG», a indiqué le SG du HCA car il estime que les institutions de l’Etat doivent contribuer au soutien de l’édition.

Une nouvelle convention avec l’ANEP
Avec l’ANEP, la collaboration est aussi interrompue bien que l’agence avait participé à la diffusion de la littérature amazighe. Le nouveau PDG a pris conscience de l’importance de la collaboration avec le HCA, indique Si El Hachemi Assad qui ajoute qu’il y aura une nouvelle convention pour coéditer le livre amazigh dans tous les genres littéraires et dans toutes les variantes de la langue amazighe. Les livres sont disponibles dans les librairies. Mais lorsque le HCA édite sans la collaboration des maisons d’édition, les livres non destinés à la vente sont distribués au profit des associations partenaires ou des bibliothèques et dans les universités pour constituer un support pour les enseignants. Autant d’expériences ayant donné de la visibilité au livre de qualité qui passe entre les mains de comités de lecture. Le lectorat pourra aussi avoir accès prochainement aux ouvrages ayant décroché le prix du président de la République de la littérature et de la langue amazighe. «Il y a une demande pour les dictionnaires, les supports didactiques pour l’apprentissage de la langue, les ouvrages de lexique, la littérature et le livre amazigh en général», dit Assad, alors que la poésie n’occupe plis le haut du podium comme auparavant. Il évoque aussi le potentiel de la population scolarisée qui est un gisement de lecteurs potentiels à condition de commencer par éditer des livres accessibles avec des illustrations et des coloriages. Il ajoute que la quantité d’exemplaires mis en vente de chaque publication doit être revu à la hausse alors que le volume oscille actuellement entre 1.000 et 2.000 exemplaires. Reste encore à régler le problème de distribution qui entrave l’accès au livre afin d’être accessible à un large lectorat et permettre aux entreprises de fructifier l’investissement. D’autant qu’en plus des maisons d’édition publiques, des entreprises privées ont investi le créneau à l’image d’Anzr de Biskra, Thira et Thafath de Béjaïa, la Pensée de Tizi-Ouzou ou encore Voir par le Savoir à Alger. Assad met l’accent sur le rôle des institutions dans la diffusion du livre comme les APC et le ministère de la Culture qui doit disposer d’un programme éditorial. La participation aux Salons du livre dans le pays et à l’étranger est aussi recommandée. C’est aussi le cas en ce qui concerne la collaboration avec le Centre national du livre et le Conseil national des arts. En somme aucun acteur que ce soit les maisons d’éditions ou l’école et l’université ou encore les institutions ne doivent être à l’écart de l’effort de vulgarisation du livre amazigh pour qu’il soit accessible à un plus grand nombre de lecteurs et dont la production du HCA a atteint 400 titres.
Ahmed Mesbah

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Rachida Belharaoui, responsable de la communication à l’ANEP : "Nous organiserons des ateliers de lecture dans les zones d’ombre"

L’édition littéraire victime de la pandémie ? A priori tout porte à le croire tant les indices qui ne trompent pas sont nombreux, entre autres le ralentissement significatif de l’activité de librairie. Face au constat indéniable d’une crise de l’édition en raison du contexte sanitaire qui prévaut actuellement, quelles sont les parades envisagées par les éditeurs et libraires pour juguler ou, tout au moins, atténuer l’impact de la pandémie sur les multiples activités des entreprises éditrices et des librairies. Rachida Belharaoui, responsable de la communication à l’ANEP évoque cette question.

Entretien réalisé par Kamel Bouslama

El Moudjahid : La pandémie a un impact négatif sur l’activité des entreprises, notamment par le ralentissement, voire l’arrêt de l’activité de librairie pour ce qui est de l’ANEP. Outre les dispositions que vous avez déjà prises concernant ce volet, comment évaluez-vous l’impact de la pandémie et comment avez-vous procédé pour le contourner ?

Rachida Belheraoui : Nous avons, bien entendu, ressenti l’impact de la pandémie sur l’ensemble de nos activités et pas seulement au niveau de notre librairie. L’annulation ou le report de la plupart des événements culturels comme le Salon international du livre d’Alger a engendré une baisse d’activité significative au sein du groupe ANEP. Cependant, durant cette période, les éditions ANEP ont travaillé d’arrache-pied et ont publié sept ouvrages. Nous avons continué à travailler en présentiel et en distanciel.

Vous aviez lancé en novembre dernier l'initiative «Mois de la mémoire»…
En ce qui concerne le Mois de la mémoire, le 1er novembre est une date importante pour tous les Algériens et nous avons un devoir de mémoire à perpétuer. Habituellement, le mois de novembre est la période du Salon international du livre d’Alger. Etant donné qu’il n’a pas eu lieu cette année, nous avons voulu permettre à un large public d’acquérir nos ouvrages en organisant des promotions.

S’agissant des ventes-dédicaces et des ateliers de lecture pour enfants, envisagez-vous de les maintenir en dépit de la pandémie et comment comptez-vous procéder en respectant les mesures barrières ?
Oui, nous comptons faire perdurer les ateliers de lecture mais tout en les améliorant au fur et à mesure. Le concept va évoluer et le but essentiel de cette initiative est d’organiser des ateliers dans les zones d’ombre. Nous organisons des ateliers à Alger-Centre au sein de notre librairie mais dès que la situation sanitaire le permettra nous délocaliserons nos activités vers des zones reculées. En ce qui concerne les thèmes des ateliers de lecture, il y aura un nouveau thème pour chaque atelier. Nous allons inviter des personnalités publiques de différents secteurs -des auteurs, des historiens, des médecins, des astronomes, etc - afin de donner aux enfants le goût de la lecture et de créer chez eux l’ambition de ressembler à ces femmes et à ces hommes qui sont devenus des références dans leur domaine. Nous souhaiterions faire passer un message aux enfants : «En lisant et en s’instruisant, on peut être maître de sa vie, on peut faire le métier que l’on veut et être utile à la société.»

Concernant les mesures barrières, estimez-vous qu’elles sont suffisantes et permettent-elles de poursuivre sans encombres vos activités professionnelles ?
Le protocole sanitaire est scrupuleusement respecté lors des ateliers de lecture et des ventes dédicaces. Nous acceptons un nombre restreint d’enfants. Nous exigeons le port de la bavette, le respect de la distanciation et l’utilisation du gel. Nous avons la chance d’avoir une librairie spacieuse qui nous permet de respecter la distanciation physique et tous les employés restent vigilants quant au respect de ces mesures barrières. La tenue des manifestations dépendra, quant à elle, de l’évolution de la situation sanitaire et des instructions gouvernementales.
K. B.

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Omar Rochdi, directeur de l'édition chez Ablej : Il y a des contraintes de distribution

Omar Rochdi estime que le livre doit avoir une place dans la vie quotidienne d’autant plus qu’il existe des goûts et tendances divers. « Aujourd’hui les jeunes s’intéressent aux nouveaux livres sur les réseaux sociaux», dit-il. Le livre étant un produit commercial et un vecteur de créativité, Omar Rochdi dit rencontrer des contraintes dans la distribution, l’impression, le financement.
H. H.

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Kamel Kerour, directeur de la maison d'édition El watan El Yaoum : Les jeunes s’adaptent à la sphère virtuelle

Kamel Kerour, directeur de la maison d'édition El watan El Yaoum, souligne que la question du lectorat en Algérie demeure ambiguë, insistant sur la nécessité de faire des études sur le besoin du marché. «Les multimédias et les réseaux sociaux captent le lectorat et le marketing du livre. Les jeunes en particulier ont les capacités de s’adapter à la sphère virtuelle en arabe, français et anglais et tamazight", note-t-il.
H. H.

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Commentaire : Au-delà des discours 

Lire relève de la gageure dans un pays où les librairies se raréfient, où l’envie d’apprendre et d’enrichir ses connaissances, subit les coups de boutoir d’un consumérisme échevelé, la méprise d’un état d’esprit qui sous-estime les bienfaits de la lecture. Le constat incite parfois au pessimisme, à la résignation, tant les appels à la prise de conscience, à l’obligation de conférer au livre une place de choix et un intérêt accru, se perdent fréquemment dans le vaste champ de la frivolité quand ils ne restent pas sans écho. Comme un serpent de mer ou un « marronnier » pour les adeptes du métier de journaliste, le débat sur la place du livre, son rôle, et tutti quanti, la nécessité de retisser les liens avec les œuvres impérissables du génie humain ressurgit avec l’idée que ce débat ne soit pas un vœu pieux ou une oiseuse occupation. Les établissements scolaires, les communes semblent peu ou prou se résoudre au fait d’aménager des espaces au public afin de revivifier cette splendide connivence avec les classiques de la littérature universelle. Les belles créations de l’esprit n’ont plus la cote dans une société qui succombe aux chants des sirènes de l’éphémère, du « m’as-tu vu » et l’on ne perçoit que difficilement, les motifs de cette décevante désinvolture à vouloir traiter par-dessus la jambe un acte de lire qui, sous d’autres latitudes, frise le rituel. Bon nombre de bibliothèques, au sens large du terme, sont soumises aux insuffisances d’une gestion désordonnée, aux réticences de responsables qui demeurent très près de leurs sous quand il s’agit d’alimenter leurs infrastructures en nouveaux arrivages, de s’intéresser aux supports électroniques et numériques, de recruter du personnel formé. La liste des griefs est longue. Mais osons, encore une fois de plus, le risque de succomber aux sempiternelles redites. La bibliothèque a une vie culturelle. Un abri où se réfugient des lecteurs avides de savoir, d’affiner leurs aptitudes, friands d’exotisme et d’ouverture sur le monde. C’est un lieu commun de dire qu’il est grand temps de sortir des sentiers battus des diagnostics éculés, de se retrousser les manches. Et pour cause. Nos concitoyens ont l’insigne avantage de pratiquer trois langues. Il existe un lectorat en langue arabe classique, en langue amazighe et en langue française et ils sont de plus en plus nombreux à se mettre à l’anglais. Cette pluralité est la bienvenue, même si des âmes étroites et bornées se confinent (le mot est à la mode) et se complaisent dans un monolinguisme étriqué qui n’est pas payant et restreint l’horizon d’un lecteur avisé. Les contraintes d’une mondialisation menée au pas de charge imposent que l’on fortifie jusqu’à l’excès un besoin de lire et de bien s’informer. Ce n’est pas luxe, ni un divertissement d’ilotes, mais un passage obligé. Jamais la possibilité de faire des enquêtes dûment vérifiées, documentées sur les goûts, les penchants, les réelles attitudes du lecteur algérien ne s’est fait sentir avec cette urgence à l’effet d’enclencher une stratégie du livre mûrement réfléchie, (encore une antienne), qui soit tributaire des exigences d’un lecteur digne de ce nom. Il ne faut pas se voiler la face. Le livre est un créneau lucratif, un investissement porteur, mais aussi un enjeu politique et idéologique, l’objet d’une concurrence féroce où l’angélisme et la philanthropie n’ont pas droit de cité. Chez nous, il a encore besoin d’une volonté forte pour le promouvoir d’une manière résolue.
Mohamed B.

 

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