
Propos recueillis par : Amel Saher
Compositeur, violoniste, chef d’orchestre et figure discrète mais incontournable de la scène artistique algérienne, Kouider Berkane a accompagné les grandes heures de la chanson oranaise. Dans cet entretien, il évoque son parcours, la réalité de la chanson oranaise aujourd’hui, et livre sa vision du Festival de la musique et de la chanson oranaise, qu’il appelle à inscrire dans une perspective nationale et international
El Moudjahid : Comment avez-vous commencé votre carrière artistique et quels sont les moments forts et marquants ?
Kouider Berkane : J’ai intégré l’orchestre de la Radio et Télévision nationales à la station régionale d’Oran en 1976, alors dirigé par le regretté Blaoui El Houari. J’y suis entré comme violoniste. Après quatre ou cinq ans, au début des années 1980, j’ai commencé à m’essayer à la composition, en collaborant avec des artistes comme Malika Meddah, Baroudi Ben Khedda, Abdelkader El Khaldi, Djemila Sahli, et d’autres.
Comment avez-vous commencé à composer dans le genre oranais ensuite le raï classique ?
C’était le fruit d’un long parcours. Ma composition Taal Aadhabi a été la première chanson raï diffusée officiellement à la radio et à la télévision. Elle a marqué le début d’un style musical qui allait profondément marquer l’histoire algérienne.
Vous avez aussi dirigé l’orchestre à une période-clé...
En effet. En 1982, j’ai été nommé à la tête de l’orchestre. C’était une phase riche, durant laquelle nous avons donné de nombreux concerts en Algérie et à l’étranger, notamment une tournée importante en Libye avec des artistes comme Zakia Abou Hamd et Hassiba Amrouche.
Vous avez aussi contribué à la création du Festival de la chanson oranaise...
J’ai été l’un des premiers à militer pour la création de ce festival. Et j’ai toujours plaidé pour qu’il ne reste pas cantonné à une dimension locale. Il devrait avoir un rayonnement national, et pourquoi pas international. La chanson oranaise n’appartient pas uniquement aux Oranais. Elle peut être interprétée par un artiste de n’importe quelle région d’Algérie, voire de l’étranger. Un chanteur libanais qui interprète la chanson El Hamama de Blaoui El Houari montre que ce répertoire a un potentiel de diffusion au-delà de nos frontières. Et c’est pourquoi je n’ai jamais cessé de défendre l’idée d’un festival à double niveau : un pour les amateurs, un autre pour les professionnels, tout en lui donnant une portée internationale.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la chanson oranaise ?
La chanson oranaise souffre actuellement d’un manque, voire une absence presque totale de production. À l’époque, nous avions une cellule de production musicale qui regroupait une douzaine de compositeurs comme Nourredine Naji, Karim El Houari, Tayeb Taybi, Lahal Zoubir, et bien sûr Blaoui El Houari et Ahmed Wahbi. Aujourd’hui, ces structures ont disparu. Il n’y a plus de cadre, plus d’accompagnement et il n’y a presque plus de créations nouvelles. Il existe un public fidèle et passionné par ce genre musical. Mais le problème est peut-être d’ordre économique et structurel : il n’y a pas de marché. Il n’y a pas de filière pour produire, distribuer, consommer cette musique. C’est pour cela que dans les festivals, on se retrouve toujours à puiser dans les classiques, à réinterpréter les anciens tubes. Mais il faut que cela change.
Est-ce que le festival peut jouer un rôle moteur ?
Le FCMO peut devenir un outil central de relance, mais il faut le structurer. Il doit être ouvert aux jeunes talents, intégrer des ateliers de formation, des espaces de création, et surtout ne pas se limiter seulement à un événement ponctuel. Le festival accueille et intéresse chaque année des jeunes et des participants de toutes les wilayas et son budget ne peut pas répondre aux besoins de tout le monde.
A. S.