
Par Farid Bouyahia
Pour se réchauffer les os, enroulé dans son vieux paletot comme un fauve au regard pétillant, aux mains rugueuses comme des pilons et aux poings massifs et accablants, mon père, ce beau laboureur, ce dieu des champs, au coin d’un feu de fagots, s’allongeait devant l’âtre. Il veillait sur la quiétude du fort, quand il n'était pas plongé dans sa méditation, en sirotant avec félicité son café noir, d’où montaient de petits nuages amers. Un café très fort, à réveiller les morts ! Ma mère, cette reine de bonté de noble et antique lignée, quant à elle, surveillait la basse-cour, peuplée de coqs et de poules à crêtes rouges et à plumes de toutes les couleurs. Elle écossait les petits pois. Elle retenait tant de peines et de sourires, en écoutant refluer le tumulte de son cœur. Cette maison était son sanctuaire. De l'extérieur, pour apparat d'accueil, il y avait une vieille porte à l’étrange sculpture ; massive, lourde et dure, avec au milieu un anneau de fer, en heurtoir. De ses portes massives et ses fenêtres, autrefois d'espérance, ouvertes sur un bel horizon, ne sont restés que des vieilles planches et des copeaux de poutres de bois noircis et pourris. Un grenier et une étable. En guise de remparts, des mûrs enduits de chaux et de plâtre. Ils étaient percés par des ouvertures. Des murs qui ont bien résisté aux affres du temps et aux agitations du monde âcre. Semblables à des étraves de navires, sur lesquelles l'écume des jours vient mourir. Tout le long du chemin, entouré de haies de ronces sèches et couvert à gauche et à droite de petites fleurs jaunes, au milieu d'herbes fraîches étendues comme des boulingrins, et où vrombissent des abeilles aux petites ailettes, qui font plaisir aux yeux butineurs, tant et tant de souvenirs me sont revenus. Autour le vent bruit, sous un ciel brodé de nuages. L'air est chargé de senteurs de fruits, mêlées à l'odeur du pain chaud et quelques effluves amers de peines. Un bon mélange de parfums, qui voltigent comme des oiseaux frêles qui sautillent de branche en branche. Au loin, j'entends des murmures et des cris joyeux qui donnent vie au village. Tout le passé est revenu d'une traite avec ses souvenirs qui pendent en stalactites irisées de tout ce qui autrefois était notre histoire avec ses joies et ses peines. Jadis, cette belle maison semblait indestructible, pourtant je me rends compte qu'elle est broyée entre les interstices du temps. Mais, c'est fini ! Tout a disparu. Tout est fini ! Le temps est passé par là, barbare comme Attila. La vieille maison des ancêtres n'est plus qu'un cercueil. Avalé par la terre. On ne la verra jamais plus. Çà et là, les dernières pierres. Et quelques autres vestiges. Des lambeaux de murs. Et des fragments de tuiles, ciselés comme des diamants de la profonde géologie.
F. B.
(Suite et fin)