
Par Aomar Khennouf
Avant toute chose, il faut souligner que l’auteur de ce beau récit est un jeune qui n’avait que dix-sept ans quand il a écrit son premier roman. Comme quoi, l’écriture n’a pas d’âge et le talent peut s’exprimer de manière précoce. Il n’est pas le seul, et plus il y en aura et plus l’espoir sera grand. Il y a quelque temps, j’ai lu la préface et le premier chapitre d’Histoires d’amour dans l’histoire des arabes, de Jean-Jacques Schmidt, qui nous rappelle de très belles idylles qui ont inspiré la littérature occidentale. J’ai cru bon, avant d’aborder mes impressions de cette lecture, de reprendre quelques fragments de ce livre, notamment le hadith de notre prophète Mohamed (QSSSL), que l’auteur d’Histoires d’amour dans l’histoire des Arabes a lui-même repris : «Celui qui meurt d’un amour chaste et pur, celui-là est un martyr». Nous avons lu et relu plein d’histoires légendaires d’amour qui nous sont parvenues depuis l’antiquité, avant et après Jésus Christ, du moyen- âge et même au delà. Nous connaissons l’amour d’Orphée pour Eurydice, celui de Phèdre pour Hippolyte, celui de Titus pour Berenice, celui d’Antoine pour Cléopâtre et l’amour de Tristan pour Iseult. Plus près de nous, l’histoire d’Héloïse et d’Abelard, et encore plus près, celle de Roméo et Juliette. Tant d’histoires qui ont alimenté et inspiré l’imaginaire des romanciers, des poètes, des dramaturges et des artistes peintres qui ont immortalisé ces histoires. Schmidt nous rappelle que les Arabes, depuis la Péninsule jusqu’à l’Andalousie, n’étaient pas en reste dans ce domaine. Et dans ces histoires de cœur, la plus belle expression nous est donnée par la poésie de ces fous d’amour. Celle d’Antar pour Abla, celle de Qays, le madjnoun de Leyla, celle d’Urwa et Afra, celle de Qays et Loubna et de Jamil et Bouteyna. Et d’autres plus ou moins connues : l’histoire de Kuthayyir et Azza et Dhu-Rummi et Mayy. Et dans ce panthéon du plus noble des sentiments, il y a l’histoire de l’amour fou d’Ibn Zeydoun pour Wallada (ça me rappelle un beau livre que j’ai récemment dévoré). Il y a également l’amour d’El mu’tamid ibn Abbad pour I’timad (et j’ai comme l’impression que l’auteur de Wallada va nous régaler avec cette histoire). Si les musulmans ont quatre-vingt-dix-neuf noms pour nommer Allah, ils en ont cent pour parler d’amour. Et puis il y a, là, à notre époque, celle des RS, l’histoire d’Adam et d’Inès qu’Abdelmoiz Farhi nous a gratifié avec un très beau roman au titre si romanesque : À 19 heures mon amour. Une histoire qui nous interpelle, nous qui savions aimer et qui nous ne le savons plus. Du moins nous ne savons plus l’exprimer quand on le ressent, quand on le vit et dont on en souffre en silence pour ne pas paraitre ridicule ou anachronique dans des sociétés comme la nôtre qui ne croit qu’en la virilité. J’exagère me diront certains. Il reste que les fois où j’ai surpris dans la bouche de certains, en guise de déclaration de la flamme, cette phrase : «nhabek yadjedek», j’ai l’impression qu’ils s’arrachent une dent sans anesthésie. Est-ce que c’est devenu si dur au pays de Benguittoun, de Hiziya et Saed, de dire je t’aime ? Allez savoir. Adam et Inès seraient-ils des antithèses dans ce monde qui ne conjugue plus le verbe «aimer» qu’au temps de la possession ? Un monde qui n’aime et n’adore que la possession des biens matériels pour créer une illusion de bonheur ? Un monde où l’amour n’a plus droit de cité. Je pense bien que non. Les héros de M. Farhi en sont un exemple. Des héros qui sont allés au bout de leurs passions, de l’amour et les études, pour construire un avenir selon les règles qu’ils ont établies à deux. Ils ont cru en ce sentiment qui leur a donné la force de surmonter tous les obstacles et franchir toutes les lignes, y compris celles des tabous qui, tels des remparts, pouvaient les briser et anéantir leur bonheur. L’histoire d’Adam et d’Ines est d’une fraîcheur juvénile émouvante. Une histoire empreinte d’innocence et de sincérité. Le mot «Amour», un mot de cinq lettres, a trouvé en Abdelmoiz Farhi une personne qui lui a donné du sens. Ce mot est répété 124 fois dans le roman. 105 fois par l’auteur du récit et 19 fois par le préfacier qui, me semble-t-il, a été subjugué autant par le roman que par le romancier et ses héros. Hamid Grine ne tarit pas d’éloges avec sa belle préface qui a donné encore plus de chair au récit. Si l’auteur de À 19 heures mon amour a usé de ce mot, je n’ai jamais senti qu’il en a abusé. J’ai passé un excellent après-midi, le 25 décembre de l’année qui vient de s’achever, à Blida, en compagnie de ce jeune talent prometteur et en compagnie de Mme Malika Chitour Daoudi, autrice de la Kafrado. Une autre belle histoire d’amitié et d’empathie. J’espère qu’Abdelmoiz Farhi, qui vient de commettre son deuxième roman, ne s’arrêtera pas en si bon chemin. «Fayla», son second bébé, est une histoire de science fiction. Une occasion pour rappeler que notre littérature est extrêmement pauvre dans ce genre de littérature, autant qu’en polars, dont les amoureux n’ont d’autres choix pour assouvir leur passion que ce qui nous parvient d’ailleurs. J’espère que ce jeune écrivain fera réfléchir ceux qui sont en charge de la culture pour la création de prix destinés à encourager notre jeunesse qui a du talent. Un prix qui ne peut faire que du bien. C’est un excellent moyen d’émulation et de stimulation.