7 juin 1962, l’incendie de la Bibliothèque universitaire d’Alger : Un mémoricide au cœur de l’histoire

Le 7 juin 1962 à 12h27, à quelques jours seulement de l’indépendance de l’Algérie, un acte d’une violence inouïe vient frapper l’un des symboles les plus précieux du savoir algérien : la Bibliothèque universitaire d’Alger est ravagée par les flammes. Ce qui aurait pu être un simple sinistre accidentel est rapidement reconnu comme un geste délibéré, un crime méthodiquement orchestré par ceux-là mêmes qui, durant plus d’un siècle, s’étaient présentés comme les « porteurs de civilisation».

Le 7 juin 1962 à 12h27, à quelques jours seulement de l’indépendance de l’Algérie, un acte d’une violence inouïe vient frapper l’un des symboles les plus précieux du savoir algérien : la Bibliothèque universitaire d’Alger est ravagée par les flammes. Ce qui aurait pu être un simple sinistre accidentel est rapidement reconnu comme un geste délibéré, un crime méthodiquement orchestré par ceux-là mêmes qui, durant plus d’un siècle, s’étaient présentés comme les « porteurs de civilisation ».
L’incendie de cette Bibliothèque, joyau du savoir académique, n’a pas seulement consumé des livres, des manuscrits rares, des thèses et des revues scientifiques. Il a délibérément ciblé la matière première nécessaire à la construction de la nouvelle nation : le savoir, la recherche, la mémoire historique. C’était une attaque contre l’intelligence, contre l’avenir. Le cri d’alerte lancé par l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), dans un appel vibrant à la grève générale, résonne encore : « Et nous, les cadres de demain, on nous offre d’encadrer quoi ? Les ruines et les morceaux de cadavres sans doute… » Ce cri, prophétique, révèle toute la portée symbolique de l’acte. Il ne s’agissait pas d’un simple autodafé mais bien d’un sabotage de l’édification nationale. Aujourd’hui, avec l’évolution du droit international, ce drame n’est plus analysé uniquement comme un acte de vandalisme ou un épisode tragique de la guerre. Il s’inscrit dans une catégorie juridique nouvelle, celle du « mémoricide » — un terme fort pour désigner la destruction volontaire de la mémoire d’un peuple, considérée comme une forme de crime contre l’humanité, au même titre que le génocide ou la purification culturelle. Détruire une bibliothèque, c’est menacer l’universalité du savoir. C’est, pour reprendre les mots d’un historien, « attenter au visage de l’homme ». L’incendie de la Bibliothèque universitaire d’Alger s’inscrit dans une triste tradition humaine. De la Bibliothèque d’Alexandrie aux manuscrits de Tombouctou, de Bagdad à Beyrouth, en passant par Louvain et Sarajevo, les bûchers de livres ont souvent accompagné les guerres, les purges idéologiques. À chaque époque, des inquisiteurs modernes ont tenté d’effacer les traces de l’autre. Mais dans le cas algérien, l’intention allait plus loin : il s’agissait de freiner l’émancipation d’un peuple, de retarder sa capacité à se prendre en charge, à former ses propres élites. Après l’indépendance, les universités algériennes ont relevé le défi de la reconstruction intellectuelle. Mais le traumatisme de l’incendie du 7 juin 1962 demeure. Il rappelle, avec acuité, que la liberté ne peut être séparée du droit au savoir. Il rappelle également que la culture est une cible stratégique dans les guerres coloniales, et que sa protection devrait être sacrée. Aujourd’hui, la Bibliothèque universitaire d’Alger a été reconstruite, mais le souvenir de cette perte irréparable doit continuer de nourrir notre vigilance collective. Car brûler une bibliothèque, c’est assassiner silencieusement des générations. L’incendie de la Bibliothèque universitaire d’Alger ne fut pas un simple épisode de la fin coloniale, mais un acte profondément symbolique : celui de vouloir effacer l’âme d’un peuple à l’aube de son indépendance. À travers ce geste, c’est tout un avenir qu’on a tenté de condamner au silence. Pour que nul n’oublie ce mémoricide, l’Algérie a institué le 7 juin comme Journée nationale de la bibliothèque et du livre. Une manière solennelle d’ancrer ce drame dans la mémoire collective, de rendre hommage au savoir sacrifié, et de réaffirmer le droit fondamental de chaque peuple à préserver et transmettre sa culture. Ce crime, désormais reconnu dans le langage du droit international comme un « mémoricide », mérite de rester gravé dans nos mémoires comme un avertissement universel, une nation sans mémoire est une nation sans avenir.

M. K.

Multimedia