Quand les enfants d'immigrés s’installent en Algérie : Le temps de la migration inversée

L'immigration algérienne en France est un phénomène migratoire marquant, qui s'est étalé sur plus d'un siècle, laissant une empreinte indélébile dans l'histoire de la France. Cependant, une nouvelle étape de l'histoire de la France se dessine grâce à la dernière génération de certains descendants d'immigrés algériens, qui tracent la voie et s'investissent activement dans la construction du pays, malgré de nombreux obstacles. Aujourd'hui, il est fréquent de rencontrer des médecins, avocats, ingénieurs, enseignants et des chefs d’entreprise d'origine algérienne.

Lors de notre étude sur le terrain, nous avons rencontré Rahim, étudiant en ophtalmologie, Rabah, en médecine générale, et Amir, en sciences politiques. Ces jeunes d'origine algérienne nous ont partagé leur parcours jalonné d'obstacles et expliqué comment ils ont réussi à les surmonter pour mener à bien leurs études et concrétiser leurs ambitions professionnelles. Certains ont même envisagé de quitter le pays en raison de l'atmosphère parfois malsaine créée par la classe politique française. Leurs témoignages ont mis en évidence les défis auxquels ils font face, mais aussi les succès qu'ils ont remportés grâce à leur persévérance et leur détermination.
L'évolution du statut social des générations issues de l'immigration algérienne comparé à celui de leurs parents met en lumière une tendance actuelle au sein de la société française. Cette dernière éprouve des difficultés à admettre pleinement la manière dont ces descendants d'immigrés algériens s'insèrent dans la classe moyenne supérieure et déconstruisent ainsi les stéréotypes propagés par les médias français.

Affronter les défis : Les embûches à surmonter

Par ailleurs, certains descendants algériens n'ont pas réussi à relever ce défi et ont emprunté des chemins inappropriés, créant ainsi des problèmes majeurs au sein de la société française. Ce sont ces individus qui sont souvent médiatisés et pointés du doigt par des politiciens, dans le but de créer volontairement un amalgame et de mettre l’ensemble de ces jeunes issus de l'immigration sur le banc des accusés. En effet, parler des trains qui arrivent en retard plutôt que de ceux qui arrivent à l'heure est une spécialité politico-médiatique purement française.
Ainsi, la médiatisation persistante et largement négative, orientée ou non, a causé de nombreuses difficultés. Le lycée privé musulman Averroès, situé à Lille, fréquenté par des enfants d'immigrés, en est un exemple parmi d’autres qui subit les conséquences de cet acharnement politico-médiatique. Cette structure, qui fête ses vingt ans cette année, est classée parmi les meilleurs lycées privés de France par l'Éducation nationale depuis plusieurs années consécutives. Malgré ses succès, ce lycée fait l'objet depuis plusieurs années d’hostilité de la part de plusieurs élus locaux et du conseil régional. Xavier Bertrand, président de la Région Hauts-de-France, persiste à bloquer les subventions destinées à ce lycée, malgré les nombreux procès remportés par cette structure. Ce blocage financier met en grande difficulté ce lycée qui risque de fermer et appelle sur sa page Facebook aux dons.
Il est important de souligner que cette nouvelle génération est souvent mal représentée dans la sphère politique et les médias. Ils ont peu d'opportunités pour s'exprimer sur des sujets d'actualité ou spécifiquement communautaires qui les touchent directement. Cependant, ils sont souvent présentés de manière condescendante ou humiliante dans les médias. L'exemple de l'imam Chalghoumi ou de l'animatrice de radio Zora Betan, souvent sollicités par les médias pour dénigrer cette frange de la population, est une preuve parmi bien d'autres. Ces médias grand public renforcent ainsi les stéréotypes à leur égard. Les jeunes se retrouvent alors sans défense face à des polémiques créées de toutes pièces tout au long de l'année, comme la récente controverse sur la rupture du jeûne de Ramadan des joueurs de football.

La mobilité des binationaux franco-algériens

Le constat est clair : une nouvelle phase de l'histoire des deux pays commence à prendre forme, marquée, nous semble-t-il, par une dynamique de mobilité entre la France et l'Algérie. Cette migration inversée découle en partie des hostilités politico-médiatiques françaises que nous avons relevées, mais d'autres motivations s'ajoutent également. Ainsi, la nouvelle génération d'immigrés algériens souhaite découvrir son pays d'origine ainsi que celui de ses parents et progresser dans le métier. De nombreux enfants d'immigrés algériens, bénéficiant de la double nationalité, choisissent ainsi de s'expatrier vers l'Algérie et de s'y installer, créant ainsi une immigration inversée. Bien que des chiffres officiels ne soient pas disponibles, nos observations sur le terrain en 2022, lors d'une enquête que nous avons menée dans la banlieue d'Alger, confirment une tendance allant dans ce sens, en particulier depuis la stabilisation politique du pays.
Nous avons ainsi recueilli les propos d'un jeune immigré, Amine, âgé d'une trentaine d'années, qui a décidé de s'établir définitivement dans la commune de Tamentfoust, dans le département d'Alger, avec toute sa famille. Après avoir travaillé à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle, Amine se spécialise dans le commerce dans le domaine du textile à Alger et se sent heureux de pouvoir apporter une valeur ajoutée à son pays d'origine. Il témoigne également de son soulagement de ne pas être rejeté par les Algériens, une situation qui lui apporte un confort moral, loin du stress et de la pression quotidienne qu'il a rencontrés avec sa femme, qui portait le voile en France.
D'autres jeunes immigrés se sont installés et regroupés du côté de la ville de Boumerdes, en achetant des appartements dans une grande résidence privée. Nous avons rencontré un imam qui travaille actuellement dans une grande enseigne de certification de la viande halal en France et fait les allers-retours entre la France et l'Algérie. Actuellement, l'imam nous fait partager ses sentiments et son souhait de partager son expérience avec plusieurs enfants d'immigrés qui souhaitent s'installer et s'investir durablement en Algérie. Il rappelle que cette promotion immobilière a réussi à attirer de nombreux enfants d'immigrés au confort et à la prestation proposés.
Notre recherche réalisée sur le terrain pratique, montre également des quartiers investis par cette génération qui vient pour la plupart de France. C'est ce qu'explique un commerçant de la ville de Bordj el Bahri : «Depuis ces dernières années, j'ai observé que de plus en plus de clients sont issus de familles immigrées. Ces derniers s'installent de manière croissante dans notre ville ». Cette tendance est confirmée par plusieurs Algériens que nous avons pu interviewer sur place.
Nous avons observé également que de nombreux jeunes parents d'origine algérienne nés en France expriment le désir de retourner dans leur pays d'origine pour s'y installer, à condition que les opportunités soient favorables. L'idée de s'expatrier est profondément ancrée dans leur esprit, mais ils reconnaissent qu'un certain niveau de ressources est nécessaire pour assurer une installation réussie. Ils aspirent à réaliser ce rêve lorsque les circonstances le permettront.

Les défis de l'État algérien face à un monde en pleine mutation

L'Algérie a adopté une politique d'ouverture et d'accueil envers cette jeunesse, leur offrant la possibilité de s'installer sans contrainte administrative. L'équipe nationale de football algérienne en est un exemple flagrant, ayant intégré des joueurs issus de la diaspora, apportant ainsi une valeur ajoutée à l'équipe nationale algérienne. Bien que ces joueurs ne connaissent peut-être pas bien la terre de leurs parents et parfois même leur langue, ils témoignent de leur attachement à leur pays d'origine sur les réseaux sociaux et sont fiers de porter le maillot de l'équipe nationale algérienne.
L'Algérie a effectivement remporté la première manche dans le domaine sportif. Cependant, la seconde manche, concernant le secteur économique, est cruciale : a-t-elle la capacité d'intégrer cette jeunesse talentueuse d'origine algérienne, marginalisée par la droitisation de la politique en France, dans son économie ? Si l'Algérie pouvait puiser dans ce réservoir de talents formés en France, comme le font les pays européens lorsqu'ils ont besoin de médecins, informaticiens, sage-femmes, etc., dans le cadre de l'immigration choisie, en proposant des salaires confortables à cette élite, comme le font le Canada et les États-Unis, et en leur offrant de véritables opportunités, cela apporterait sans aucun doute une contribution majeure à l'économie algérienne.

Comme le dit le dicton, «là où certains voient des obstacles, d'autres voient des opportunités».
Finalement, si certains Algériens prennent des risques pour traverser la mer Méditerranée afin de rejoindre la France ou d'autres pays européens, ils pourraient prendre conscience que leur rêve d'un avenir meilleur pourrait être illusoire. Cela est illustré par certains enfants d'immigrés algériens et de leurs parents qui choisissent de s'installer et d'investir en Algérie pour préserver leur dignité, leur culture et leur identité.

 

* Nabil MATI, École des sciences sociales des hautes études de Paris, EHESS

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