
- De nouveaux détails glaçants sur un crime pas comme les autres
Le procès en appel sur l’assassinat de Djamel Bensmail s’est ouvert, hier, au tribunal criminel de Dar El Beida au lieu de la chambre criminelle près la Cour d’Alger «pour des raisons sécuritaires», a expliqué la présidente de l’audience à l’ouverture du procès. Un dispositif de sécurité particulier a été mis en place à l’occasion. Des éléments des unités spéciales de la police, à savoir la Brigade de recherches et d’intervention (BRI) et la Brigade centrale de lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité, ont été déployés à l’intérieur de la salle d’audience et aux alentours du tribunal. De même pour les unités de maintien de l’ordre pour parer à tout incident. Le parquet général près la Cour d’Alger a facilité la tâche des représentants des médias chargés de la couverture de ce procès important à travers l’octroi de badges et la réservation d’une rangée pour eux. A 9h37 mn, 75 accusés en détention sont arrivés à la salle d’audience, escortés de policiers dont deux femmes. Le tribunal a décidé de désigner des avocats d’office pour certains accusés sans défense. Le père de la victime, Noureddine Bensmail, était présent lui aussi. Il a pris place dans la deuxième rangée mais a fini par quitter la salle. Impossible pour lui de suivre l’arrêt de renvoi lu pendant plus de 2 heures par le greffier. Des détails glaçants.
En effet, selon l’arrêt de renvoi, il s’agit bel et bien d’un plan de déstabilisation de l’Algérie à travers des incendies criminels et non de l’ assassinat d’un jeune bénévole venu porter secours à une population sinistrée.
La victime, Djamel Bensmail, âgé de 36 ans lors des faits, avait réalisé 10 vidéos retraçant son déplacement le jour du sinistre, de son village à Ain Defla jusqu’à Ain El Hammam à Tizi-Ouzou.
«L’égorgeur» avoue
Les enquêteurs de la police ont pu récupérer son téléphone portable et consulter le contenu, selon l’arrêt de renvoi.
Les auditions qui ont débuté à 12h35 mn ont concerné, lors de cette première journée, des accusés principaux qui se sont succédé à la barre. «Homicide volontaire avec préméditation, torture, mutilation et immolation d’un cadavre, attroupement armé, création et appartenance à une organisation terroriste dans le but de commettre des actes terroristes, mise à feu de biens d’autrui, incendie volontaire d’espaces agricoles ayant conduit à la mort de plusieurs personnes, complicité dans l’homicide volontaire.»
De nouveaux avocats qui se sont constitués dans le procès en appel à l’instar de Me Bouchachi et Me Mokrane Ait Larbi ont rejeté la présence des accusés menottés mais la présidente de l’audience a relevé «le nombre important des accusés qui dépasse le nombre des policiers déployés». Elle a fait également re marquer qu’il s’agit de 45 condamnés à la peine capitale. «Les droits des accusés sont protégés. Ils ne sont pas menottés à la barre», assure-t-elle. Aghiles Z. a été le premier à comparaître à la barre. Ce dernier, qui a été arrêté alors qu’il était déguisé en uniforme traditionnel d’imam, est résidant à Larbâa dans la wilaya de Blida. Il a été identifié dans les vidéos largement relayées sur les réseaux sociaux.
Il est revenu sur ses déclarations et a déclaré au tribunal qu’il s’est approché du véhicule de police par curiosité. «Un policier m’a invité à accéder à l’intérieur…». Il est interrompu par la juge : «Vous êtes rentré dans le véhicule où se trouvait la victime par la fenêtre du véto (fourgon de la police).» Il reconnaît qu’il s’est infiltré par la fenêtre et rejette les accusations en bloc. «Je ne l’ai pas frappé avec des coups de poings mais avec le bout de mes doigts et je me suis retiré par la suite.» La juge lance de nouveau : «Vous dites que vous ne connaissez aucun accusé alors que certains sont tes voisins du village.» «Ni vu, ni connu» et vous êtes parti à l’aise laissant le lieu en ébullition. Mieux vous niez même votre présence dans la vidéo.».
Djamel Bensmaïl égorgé et brûlé à plusieurs reprises
Ouardi Idir, identifié dans les vidéos comme «l’égorgeur» de la victime, a reconnu les faits lors de son audition. Ce dernier, qui avait tenté à plusieurs reprises de décapiter la victime, alors carbonisée et l’a piétinée, a reconnu. «J’étais inconscient et déséquilibré. Je suis arrivé à la place Abane- Ramdane où se trouvait le corps de la victime par terre. J’étais sous l’effet de l’alcool et des gens m’ont incité à l’égorger. C’est vrai que j’ai commis une erreur parce que j’étais soul», avoue-t-il. L’accusé a tenté, selon la vidéo, de l’égorger à plusieurs reprises mais le cutter s’est cassé. Qui vous a remis le couteau ? L’accusé a déclaré qu’il n’a pas reconnu l’homme en noir qui portait une bavette mais le procureur général lui a rappelé qu’il a déclaré, lors de l’enquête judiciaire, que c’est l’accusée Nabila Merouane qui lui a remis le bistouri. C’est au tour de l’accusé Ali Bouzar de répondre aux questions du tribunal.
L’accusé est confondu par une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux, où il menaçait la victime de la tuer et de la brûler «en le transformant en brochettes» suscitant une large indignation. «J’étais sous le choc. J’étais traumatisé par les images à la morgue de l’hôpital des corps des victimes des incendies. Le lendemain, une information circulait sur l’arrestation d’un pyromane, je me suis déplacé et j’ai agi sous le choc. J’étais dans les Forces spéciales à Meftah.» Il est tout de suite épinglé par la présidente de l’audience : «Tu n’es pas aussi jeune pour agir de la sorte. Tu as donné un coup de pied au corps calciné avec des propos indécents. Tout est visible dans la vidéo.»
Le procureur général intervient : «Tu as insulté la victime avec des injures graves sous prétexte que tu étais sous le choc. Pourquoi n’as-tu pas eu le même comportement à la morgue où il y avait aussi des morts ?».
L’accusé a répondu qu’il n’a pas assisté à la scène de l’assassinat de la victime. «Je n’étais pas présent quand on l’a brûlé...» Et la juge intervient de nouveau : «Alors pourquoi cet acharnement sur un cadavre en plus !». L’accusé avoue également, en réponse à une question de l’avocate de la famille de la victime, que «Djamel Bensmail a été brûlé à deux reprises».
Neila Benrahal
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L’empreinte du «MAK»
Un accusé a avoué son appartenance au groupe terroriste «MAK» dans les rangs desquels il activait depuis l'année 2012 jusqu'en 2016. Lors des étapes du procès, nombre d'accusés ont été auditionnés. Ainsi, l'accusé dénommé M. M. A. a fait l'aveu d'appartenir au groupe terroriste «MAK» après avoir été confronté par la présidente de la Cour avec les comptes-rendus qui prouvent qu'il avait bel et bien suivi l'activité de ce mouvement et ce qu'il diffusait à travers le net. Lors de son interrogatoire, l'accusé a répondu qu'il avait activait au sein du mouvement «MAK» pendant 4 années, avant de se retirer, «car non convaincu par les idées séparatistes du mouvement». La présidente du tribunal a confronté l'accusé avec des preuves confirmant sa relation avec le chef de ce mouvement terroriste, dit «Ferhat Mhenni», à savoir le numéro de ce dernier qui figurait dans la liste des appels du téléphone mobile de l'accusé (M. M. A). Ce dernier a fini par avouer qu'il avait obtenu le numéro de Ferhat Mhenni sans l'avoir appelé.
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Photo souvenir avec un… cadavre décapité et carbonisé
A la barre, l’accusée Merouane Ouardia infirmière qui incitait «l’égorgeur» à décapiter la tête de la victime la qualifiant de chien, tentait de justifier ses propos. Elle a déclaré avoir pris sa voiture en compagnie de sa copine pour aider la population sinistrée dans les incendies, en transportant du ravitaillement. «Nous sommes arrivées à Larbaa Nath Iraten, vers 21 heures. J’ai agi par peur. Les manifestants étaient très violents et nous ont menacées de brûler tout arabe», mais la présidente de l’audience lui a rappelé qu’elle est une jeune femme et qu’elle pouvait retourner dans sa voiture, fuir et ne pas s’exposer devant un cadavre. De même pour sa copine Ouardia, la coiffeuse qui accompagnait Nabila, la femme qui incitait à l’égorger. «Cet homme m’a menacée quand il a découvert que je parlais en arabe et m’a demandé de quitter les lieux sinon je subirais le même sort que Djamel Bensmaïl, parce que nous sommes des indicateurs de la police», dit-elle.
La juge fait remarquer qu’elles sont arrivées tard dans la soirée sur la scène du crime. «Vous justifiez votre présence par l’assistance de la population sinistrée. Cela se fait dans la journée pas durant la nuit !».
De même pour Tayeb Koriche dit Tiarti qui a déposé du carton pour brûler le corps. «On m’a forcé, j’avais peur parce que j’étais arabe.» La juge appelle Koriche Tayeb dit «Tiarti». L’accusé confirme avoir déposé des herbes sur le corps du défunt pour éteindre la braise.
«On m’a menacé. On m’a dit tu es arabe comme lui, tu subiras le même sort. J’ai pris un carton je l’ai mis sur le corps du défunt, mais c’était pour le couvrir. Ils m’ont reproché de vouloir éteindre le feu et ont rallumé de nouveau le feu pour brûler le corps», détaille l’accusé. La présidente de l’audience fait remarquer : «Vous avez découvert cette histoire d’arabe pour vous justifier ?». L’accusé Mohamed Ameziane. Ch. a été, lui, confondu dans une vidéo le montrant avec un bâton pour remuer le feu. Il est revenu sur ses déclarations et a nié les faits. Amar H. a été confronté lui aussi par sa photo avec le corps calciné de la victime. «Tu as pris une photo selfie avec un cadavre, une scène des plus horribles, tu te voyais en héros !», lance la présidente de l’audience. Le PG intervient : «Tu as déclaré lors de l’enquête judiciaire que tu as pris cette photo souvenir. Pour la montrer à tes enfants dans l’avenir ?». Les auditions se poursuivront aujourd’hui.
N. B.