- À l’heure où la transformation numérique impose de nouveaux modes d’apprentissage, la langue arabe se retrouve au cœur d’une révolution technologique qui redéfinit son usage, sa transmission et sa présence dans l’espace numérique
Pour le Dr Hamou Abdelkrim, chercheur au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc) d’Oran, les applications intelligentes ne sont plus un simple outil d’accompagnement : Elles deviennent un levier stratégique pour la promotion, l’enseignement et la valorisation de l’arabe, tant pour les locuteurs natifs que pour les apprenants étrangers.
Rappelant que la langue arabe «fonctionne comme un organisme vivant, qui se développe par l’usage et dépérit par le manque de pratique», le Dr Abdelkrim insiste sur sa capacité naturelle à générer du sens, à produire de nouveaux termes et à s’adapter aux domaines émergents, grâce à sa flexibilité morphologique, dérivationnelle et sémantique. Selon lui, cette vitalité intrinsèque explique pourquoi elle peut pleinement investir les champs technologiques modernes du numérique à l’intelligence artificielle, en passant par les sciences et les applications interactives.
Concernant le rôle l’IA et les médias intelligents dans le renforcement des compétences linguistiques, le chercheur note que plusieurs applications ont déjà permis de démocratiser l’apprentissage de l’arabe, qu’il s’agisse de plateformes destinées aux enfants («Lis en arabe»), d’applications internationales (Douolingo ABC, Busuu) ou de solutions spécialisées, comme Arabia Unlocked, centrées sur la prononciation. «Ces outils numériques facilitent l’écoute, l’expression orale, la compréhension et la construction progressive du sens», souligne-t-il, expliquant que les interfaces interactives, les conversations simulées et les retours instantanés offrent un environnement d’apprentissage dynamique, personnalisé et motivant.
L’apprentissage de la langue arabe, du papier au digital
Au-delà de l’usage courant, la question centrale demeure comment l’IA générative et les médias intelligents peuvent-ils réellement améliorer la maîtrise de l’arabe ? A cette réflexion, et pour illustrer ce basculement fondamental, le Dr Abdelkrim met en exergue l’application ArabiQl, qu’il considère comme l’un des modèles les plus avancés du moment. Selon lui, ArabiQl «incarne le passage décisif de l’enseignement traditionnel aux environnements numériques interactifs», grâce, entre autres, à l’apprentissage autonome, le suivi en temps réel, l’adaptation aux niveaux, les exercices interactifs, la narration pédagogique, la progression graduelle et la rétroaction instantanée.
L’application citée par le chercheur propose un parcours allant des lettres aux textes, en passant par les mots, les phrases et les histoires à visée éducative. «Avec de tels outils, l’apprentissage devient plus attractif, plus efficace et mieux aligné sur les attentes des apprenants d’aujourd’hui», insiste-t-il. Parmi les transformations structurelles, le chercheur évoque également la révolution en cours dans le domaine de la reconnaissance optique de caractères (OCR). Il rappelle que durant des années, la numérisation des ouvrages arabes s’est heurtée à des obstacles majeurs : formes multiples des lettres, ligatures, voyelles, variations typographiques.
«Les anciens systèmes produisaient des textes déformés, truffés d’erreurs, nécessitant une correction longue et fastidieuse», observe-t-il. Mais les nouveaux modèles fondés sur l’IA et l’apprentissage profond «ont permis de franchir un seuil inédit de précision», transformant les PDF numérisés en textes exploitables, analysables et indexables. Pour le Dr Abdelkrim, cette avancée ouvre la voie à des bibliothèques intelligentes, des moteurs de recherche sémantiques et une expansion significative du patrimoine linguistique arabe dans le numérique. Il met également en lumière les projets structurants menés par ce centre national. Il s'agit, selon lui, d'une batterie intelligente de diagnostic de la dyslexie et de la dysgraphie.
Le premier projet porte sur une application dédiée au diagnostic précoce des troubles de lecture et d’écriture chez les enfants du primaire. Basé sur des modèles linguistiques et cognitifs, cet outil offre, explique notre interlocuteur, une numérisation complète du processus d'évaluation et une réduction des erreurs humaines. Le chercheur est a également évoqué un autre projet d'une importance majeure selon lui ; à savoir le système de dépistage fondé sur l’IA, pensé pour les familles, notamment dans les zones éloignées. Il fait savoir que l'application propose un questionnaire international AQ-10, une analyse automatique des résultats, des recommandations initiales fiables et une protection des données conforme aux exigences de confidentialité.
Cette initiative, selon lui, fournit « une plateforme arabe inédite pour le diagnostic préliminaire, avec un potentiel d’élargissement vers d’autres troubles neuro-développementaux. «En conclusion, le Dr Hamou Abdelkrim rappelle que la promotion de la langue arabe ne peut être envisagée qu’à travers une synergie entre intelligence artificielle et créativité humaine. Pour lui, la coopération entre linguistes, développeurs, chercheurs, ingénieurs et institutions scientifiques doit mener à une vision intégrée, capable de projeter la langue arabe dans l’avenir numérique mondial.
A.S.