Intempéries, Hassina Hammache, ingénieur experte en construction : «Éviter que le scénario de Bab El-Oued se reproduise»

Entretien réalisé par : Sarah Benali Cherif

Mme Hammache met l’accent sur l’indice de vulnérabilité de l’Algérie face aux risques récurrents d’inondations, et n’exclut pas la probabilité de voir se répéter le scénario des inondations de Bab El-Oued, formulant des recommandations pour éviter ce risque majeur.

El Moudjahid : Les inondations de mardi dernier ont causé d’énormes dégâts dans de nombreuses régions, quelles en sont les causes ?
Hassina Hammache : Des pluies torrentielles se sont abattues cette semaine sur plusieurs villes provoquant des inondations, des pertes en vies humaines : deux à Batna, une à Tébessa et une à Mila, ainsi que des dégâts matériels importants qui ont été enregistrés, notamment des voitures emportées par les flots, mais aussi des maisons endommagées. Nous observons, ces dernières années, le phénomène naturel des inondations, classé risque majeur très récurrent, alors que les risques majeurs sont des phénomènes aux taux d’occurrence faible. Par définition, les risques majeurs ont une faible probabilité d’occurrence et une gravité très élevée. De là, nous pouvons déduire que le phénomène des inondations en Algérie est dû aux dérèglements climatiques.
Pour l’université des Nations unies pour l’environnement et la sécurité humaine, l’Algérie se situe au top 50 des pays à risque majeur, avec un indice de vulnérabilité de 7,63%.  L’indice Word Risk Index est calculé en se basant sur les facteurs naturels, les séismes, les inondations et la sècheresse, sur les prédispositions du pays à être touché par une catastrophe, les capacités à faire face et enfin la stratégie d’adaptation. Depuis 1962, aucune ville n’a été érigée, et il y a eu des extensions des villes réalisées sur les espaces verts existant dans ces villes et sur les ceintures vertes se trouvant autour de ces villes, réduisant ainsi l’infiltration des sols et provocant aussi l’augmentation des déchets, source d’obturations des avaloirs et des conduits d’eau. Cette urbanisation anarchique a touché l’équilibre écologique.
 On le voit dans la disparition des papillons, des coccinelles et des chardonnerets. Alger était très connue par ces chardonnerets.
Ces extensions sont réalisées sans études prospectives ni incluses dans les plans d’aménagements urbains. Il y a aussi l’incompétence technique et scientifique des gestionnaires au niveau local qui ne savent pas intégrer les risques majeurs et optimiser les moyens existants dans la gestion locale pour coordonner les différents intervenants : DTP, DHW, DUCH. À quoi il faut ajouter la négligence dans la réparation et l’entretien du réseau d’assainissement.  

Est-ce qu’on ne risque pas de revivre le scénario de Bab El- Oued, surtout avec l’approche de l’hiver ?
Le risque est probable. L’an dernier, le problème des inondations s’est posé avec acuité au niveau de Bir Mourad-Raïs (il y a eu un mort). Cette année, le problème s’est posé au niveau du Ruisseau. Comme son nom l’indique, cette localité, le Ruisseau (Oued Kniss), qui dénote la présence d’un oued, l’eau reprend toujours son cours. Mon hypothèse est qu’il doit y avoir une conduite souterraine aussi importante de ce côté passant par la colonne Voirol vers Alger-Centre, que celle passant par Frais Vallon venant de Bouzaréah vers Bab El-Oued, qui était obstruée en novembre 2011.

La topographie d’Alger est-elle un facteur du risque d’inondation ?
Alger est bâtie sur les contreforts des collines du Sahel et sur les hauteurs respectant le sens de l’écoulement et aussi son exutoire naturel est la Méditerranée. Vu le relief et la topographie, le problème ne devait pas se poser, mais le manque d’infrastructures et la mauvaise gestion font que le problème est imminent. Qui peut me donner la valeur du débit de pointe des eaux usées d’Alger ? On enseigne traditionnellement que l’on peut admettre le ruissellement superficiel tant que dans une voie les débits pluviaux ne dépassent pas lors de l’orage décennal 80 l/s, auquel on ajoute cette valeur de débit de pointe qu’on intègre dans le dimensionnement des conduits d’assainissement.

Quelles sont vos recommandations pour éviter ce genre de catastrophes à l’avenir ?
Elles se résument à sept recommandations.
Il faut revoir le plan d’aménagement du territoire, élaborer le code de l’urbanisme, le code des forêts, en tenant compte des conventions, des rapports d’association ratifiées et signées par l’Algérie en matière de changement climatique, environnement, les énergies, tout en actualisant les données hydrauliques et hydrogéologiques avec l’Agence nationale des ressources hydrauliques pour le choix du niveau de protection.
À cela s’ajoutent le plan exposition aux risques des inondations et le plan de protection contre les risques des inondations. Ce plan va nous permettre le choix du niveau de protection. Il faut aussi intégrer la logique ORSEC dans toutes les phases de l’élaboration des plans d’aménagements. Enfin, les populations doivent apprendre à tenir compte des BMS d’alerte de fortes pluies.

Y a-t-il eu des défaillances en matière de gestion de la part des P/APC ?
Il y a défaillance en matière de gestion, d’incompétence, de négligence et de manque de moyens pour la gestion des déchets, dans l’entretien des divers réseaux d’assainissement et de voirie.
 S. B. C.

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