ESCALE : Algériens de Nouvelle-Calédonie dans l’Algérie Nouvelle

Par Rachid Lourdjane

Qu’est-ce que la Nouvelle Calédonie pour nous ? Une île du bout du monde dont la population compte entre douze à quinze mille Algériens descendants de survivants du choc armé de 1871. Douze à quinze mille Algériens nourris par la légende héroïque de leurs aïeuls qui ont défié l’ordre colonial 83 ans avant le 1er Novembre 1954. Leur héritage commun est marqué d’une mémoire sans faille et d’une force interne impossible à imaginer ; espérant une reconnaissance de leur statut d’Algériens. Avons-nous conscience que le lourd silence de toutes les gouvernances passées sur ce sujet si sensible est, sans doute, plus blessant que les gravités de la déportation ? Après l’insurrection de 1871, 2.106 résistants de toutes parts d’Algérie, révoltés contre l’empire colonial, sous la bannière de figures emblématiques comme El Mokrani, Cheikh Al Haddad, les fidèles de Rahmanyya et Ouled Sid Cheikh furent condamnés à l’exil, symboliquement enterrés vivants en Nouvelle Calédonie. Ils se sont battus sous les nuages de poussière, sabre au clair, fauchés par la mitraille et les canons quand la colère a grondé de toutes parts du territoire national, des Aurès chez les Hannechas jusqu’aux frontières sud-ouest aux confins du Sahara. Parce qu’ils réclamaient la justice et la liberté, ils ont été jetés au bout du monde à 30.928 km enchaînés dans des cages par groupes de vingt sur les voiliers pour un voyage sans retour qui durera 150 jours à travers les mers du globe jusqu’au Pacifique. Certains, n’ayant pas pu vaincre leur détresse psychologique se sont laissés mourir de faim et leurs corps jetés par-dessus bord. Bannis, arrachés à l’affection de leurs familles, ils moururent en terre étrangère avec le sort affligeant de forçats coupés de tout jusqu’à la fin de leurs jours. Quelle formidable énergie interne leur a-t-elle permis de survivre, de prendre pour épouses des Canaques ou des déportées françaises, de faire des enfants et de transmettre ce message d’espoir qu’un jour viendra où justice leur sera rendue ? Criminels pour les tribunaux de la France coloniale, ils sont des héros, âgés entre 16 et 51 ans, d’une guerre de Libération perdue mais fondatrice d’un élan contre l’oppression et la barbarie du colonialisme. Ils s’appelaient Brahim, Salah, Kaci ou Miloud. Ils deviendront des «Arabes» identifiés par des numéros de matricule sous régime de forçat. Leurs descendants, enracinés sur cette terre lointaine ont retenu le sens de ce que le mot résistance veut dire ; ne pas renier les origines, ne pas oublier la langue, ni la foi, ni l’espoir de retrouver leur pays et d’être reconnus comme Algériens en droits et en devoirs. Et en guise de déni forcé envers leurs origines, l’administration française leur interdit même l’usage de prénom algérien à leurs enfants. 150 ans après, nous les voyons à travers les rares reportages de télévision parlant arabe et kabyle. Nous retiendrons l’extraordinaire récit de cet homme se souvenant que Fréha c’est son village et que son ancêtre y a laissé une maison à côté d’un puits près de trois oliviers séculaires et deux figuiers plantés par un lointain aïeul dont il se souvient du nom. Il rêve de retourner au pays de ses racines pour sentir l’odeur de cette terre algérienne et s’enivrer de l’eau du puits dont on dit qu’elle est la plus savoureuse du monde. Juste quelques gorgées et que la mort vienne. Nourris de cet espoir, ils attendent que Mère Patrie, leur Algérie, leur ouvre les bras comme elle l’a fait pour les restes mortuaires de leurs aïeuls longtemps conservés dans les caves d’un musée de France. La chronique légendaire des Algériens du Pacifique est ainsi ; une suite de charges émotionnelles et un peu de nous mêmes, de notre histoire et nos blessures. Nous retiendrons l’épopée de Aziz Ben cheikh el Haddad dont l’évasion à peine croyable à bord de petites embarcations le mènera, en 1881, de l’île des Pins vers la Nouvelle Zélande et l’Australie pour finir au Hedjaz. Et Mohamed Ou El Hadj, et Ali Oussaid, et Ouenoughi qui réussissent leur miraculeuse évasion mais capturés en Algérie et reconduits au bagne. Durant les dernières années, certains ont pu accomplir le pèlerinage dans le pays de leurs ancêtres après qu’El Moudjahid, sous la plume de Tayeb Belghiche leur consacra un reportage qui ouvrit la voie d’un possible lien. Dans le groupe des premiers éclaireurs algériens de Nouvelle Calédonie en 1982, il y eut Mme Hammiche qui donnait l’impression d’avoir vécu toute sa vie à la Casbah d’Alger. Elle rencontra des cousins germains dont l’un d’eux était propriétaire d’un restaurant sur le carrefour de l’avenue Addis-Abeba à Alger. Moment émouvant en présence de Halim Mokdad, chef de rubrique. Comme si le temps s’était arrêté depuis la déportation, Mme Hammiche parlait parfaitement le dialecte algérois. Quant à Tayeb Aifa, maire de la commune calédonienne de Bourail, il fut reçu avec les honneurs à Bordj Bou Arréridj, région natale de ses ancêtres. Devant les officiels de la mairie et de la wilaya, il avait offert tout son héritage foncier de 74 ha aux fellahs. «J’ai passé la journée à signer devant le notaire et le maire de BBA» me dit-il, «le cœur léger et heureux d’avoir fait ce don à mes concitoyens». Aujourd’hui, 15.000 Algériens du bout du monde privés de leur nationalité, attendent un geste d’intégration symbolique de l’Algérie Nouvelle. Un consulat. Et qu’ils puissent librement rentrer à la maison.

R. L.

Lire :
- Les déportés maghrébins en Nouvelle Calédonie de 1864 à nos jours, Insaniyat 32-33 ; 2006.
- Charles-André Julien Histoire de l’Afrique du Nord Payot 9e édition 1986.
- Seddik Touati, Les déportés algériens en Nouvelle Calédonie, Alger Dar el Oumma 1997.

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