Barbacha (Béjaïa) : Aucune colère, mais une immense lassitude

«Nos vergers sont constitués de figuiers, d’oliviers, d’amandiers...
Nous travaillons dans l’apiculture, nous élevons le cheptel. C’est là toute notre richesse.»

10h. Amizour. Nous empruntons la route vers Barbacha par la RN75 sur une distance de 17 km. Une commune située au sud de la wilaya avec quelque 23.000 habitants. L’atmosphère est lourde, le soleil de plomb qui s’abat sur la localité répand un climat suffocant, un air chaud sentant le brûlé. Notre regard se fixe sur ces collines en cendre, ces belles forêts de la région qui faisaient jadis le bonheur des habitants pendant la période d’hiver avec un manteau de neige et qui, en une seule journée cauchemardesque, ont été transformées en un décor de désolation, noirci par les flammes qui ont ravagé sur leur passage toute la végétation. Au café du rond-point, quelques citoyens discutent. Le visage buriné. Est-ce le soleil ou les flammes ? Assoul Boualem lâche : «Il ne reste que désastre. Nous avons vécu l’enfer.»
Les incendies qui ont embrasé la wilaya ont comptabilisé 16 départs de feu, dont une grande majorité à quelques minutes d’intervalle. Une situation désastreuse qui a ravagé une superficie énorme du couvert végétal à travers 6 communes et 23 villages. Bien qu’hier, la situation se soit nettement stabilisée, les villages touchés présentent des séquelles qui ne pourront pas s’effacer de sitôt.
Pour voir de près ces villages calcinés, nous nous sommes rendus au village Taâzibt, Aït Sidi Ali, commune de Barbacha, qui a enregistré beaucoup de dégâts dans le massif forestier, la perte d’animaux, de ruches, mais également des grandes surfaces d’oliviers, d’amandiers et de figuiers. Des feux s’allumaient simultanément sur les collines des villages avoisinants et même au milieu des broussailles au sein du village. «Nos maisons sont construites sur nos terrains, ce sont des zones agricoles avec une forte végétation. Nos vergers sont constitués de figuiers, oliviers, amandiers. Nous travaillons dans l’apiculture avec des centaines de ruches, nous élevons le cheptel, donc nous vivons en véritables paysans, agriculteurs, tout cela sont nos richesses et nos trésors. Nous n’avons pas autre chose pour vivre que l’agriculture», dit notre interlocuteur. Aucune colère, mais une immense lassitude. Mokrane Abdellah, enseignant en retraire, renchérit : «Ce qui nous a intrigués, c’est la vitesse vertigineuse des flammes qui s’élèvent sur plusieurs mètres et qui dévorent radicalement tout ce qu’elles trouvent sur leurs avancées. J’étais à la maison, je voyais un départ de feu et je pensais que quelqu’un irait l’éteindre, car c’était à proximité des habitations, mais rapidement je le voyais s’étendre vers la colline et un autre feu se déclenche à quelques mètres. Nous avons accouru avec des pelles et des bidons d’eau, mais il était hors de question de s’approcher des flammes. L’ampleur est déjà installée. C’était horrible à voir et à vivre.»
L’interrogation sur la nature de l’incendie se dilue dans la description de ce feu. Il nous parle et ses yeux semblent revivre ces scènes apocalyptiques.
Tous les villages ont été la cible des feux. Tagma, Aït Sidi Ali, Tadarth Tamokrant et El- Kitoune...
Dès le déclenchement des incendies, les populations, comme mues par un ressort invisible, se sont mobilisées en attendant l’arrivée des secours. Hélas, les accès difficiles vers certains endroits ont laissé les flammes agir. Après coup, le réflexe cède la place au recul : «Nous nous sommes mobilisés avec le peu de moyens dont nous disposions pour empêcher les flammes d’aller vers les habitations en prenant soin d’évacuer des personnes en danger vers des endroits sécurisés.» Sur ces mots, nous quittons Barbacha. Assis sur un tas de pierres, au bord de la route, des jeunes nous suivent du regard. Direction Taâzibt, connue aussi sous le nom d’Aït Sidi Ali, à 3 kilomètres du chef-lieu de la commune. Un village qui a vécu l’horreur des flammes, mais surtout la perte de quatre citoyens d’une même famille. Taâzibt Baba Hammou, 60 ans, son fils Brahim, 23 ans, leur fille Hadjira, 47 ans, et leur petite fille Amina, 19 ans, étudiante en master 2 à l’université de Béjaïa, ont été encerclés par les flammes alors qu’ils voulaient sauver leurs ruches. Même les deux motos de Baba Hammou et Brahim ont été calcinées. C’est le témoignage horrible de Saddek Taâzibt, un parent des défunts, qui, marqué par l’émotion, dit, avec des mots empreints de tristesse, que toute cette scène effroyable n’a duré qu’une dizaine de minutes tellement les flammes rasaient toute la végétation, aidées par la canicule et les vents. Une indicible tristesse sur les visages. En plus de ce village martyr de Taâzibt, plusieurs autres villages ont été calcinés. Les populations des villages touchés appellent à les assister moralement. «Nous voulons être pris en charge, car du jour au lendemain, nous nous retrouvons dans une situation de précarité. Une prise en charge financière, mais également par des actions de reboisement pour retrouver une autre vie.» Nous l’ignorions à ce moment, tout comme nos interlocuteurs ; mais à 250 kilomètres de là, le Président les avait écoutés.
M. Laouer

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