5 juillet 1962 – 5 juillet 2023 : Oran, théâtre d’un ethnocide

Alors que le peuple algérien fêtait son indépendance arrachée au prix fort d’un million et demi de martyrs, après une glorieuse révolution, une organisation terroriste appelée Organisation de l’armée secrète (OAS) s’est livrée à des actes d’une rare cruauté… 
Le summum de l’horreur… C’était le 5 juillet 1962 à Oran.

De notre bureau : Amel Saher

Selon Fouad Soufi, historien, ex sous-directeur à la Direction générale des Archives nationales et chercheurs au Crasc, ce qui s’est passé à Oran le 5 juillet 1962 est très peu connu en dehors des gens d’Oran, et, pourtant, explique-t-il, c’est la clé pour comprendre tous les évènements qui se produiront plus tard. «J’ai commencé à travailler sur le sujet en 1992 avec mon collègue et ami Sadek Benkada. Je peux vous dire que c’était une journée portée disparue», soulignait déjà l’historien, dans une interview accordée au journal El Moudjahid en 2020. Il confie cependant que lorsque, lui et son collègue Sadek Benkada ont commencé à phosphorer sur le sujet, le travail entamé alors était plutôt appuyé par des positions idéologiques et historiques. «Évidemment, j’ai dit que toute souffrance est légitime et mérite le respect. Bien sûr que le massacre des Européens le 5 juillet n’était pas un fait normal, mais cela ne peut pas être le petit arbuste qui va cacher tout ce qui s’est passé le 5 juillet 1962 et depuis le 5 juillet 1830. Il ne faut pas inverser les valeurs», a-t-il affirmé. Il précise, à ce propos, que l’OAS a commencé à assassiner les Européens qui ne les suivaient pas ou ceux qui étaient soupçonnés de travailler avec le FLN et apporter leur soutien matériel aux Algériens. Mais leur activité s’est intensifiée à partir de la grande grève organisée contre la partition de l’Algérie. «Ils ont commencé par les Européens. Ensuite, ils ont essayé de briser la grande grève organisée à l’appel du GPRA. Chose qui n’a pas marché, ce qui a provoqué des incidents violents, pas uniquement à Oran, mais dans toute l’Algérie. Cette grève a été une très grande victoire pour le GPRA qui avait appelé à la grève contre le plan de la partition qui visait à couper le pays en deux. Ils ont fini par faire marche arrière.»

«L’OAS, une bande d’assassins»

Après le 9 janvier 1962 et le scrutin d’auto-détermination, explique Soufi, beaucoup d’entre eux se sont réfugiés à Oran et, donc, il fallait faire de la place… «Je le dis maintenant, car je commence à en être convaincu. C’était tout simplement une forme d’ethnocide… Il fallait renvoyer les Algériens qui vivaient dans Oran», estime l’historien.
Poursuivant son récit basé sur un travail de longues années de recherches, Soufi revient sur ce qu’il qualifie d’une guerre qui a éclaté par un jour du 5 juillet. «Ce dont je suis certain, le 24 aout 1961 et par une série d’attentats, l’OAS a déclenché la guerre. Il s’agit d’une nouvelle guerre dans la guerre. Jusque-là, deux forces s’opposaient. Celle de l’État français colonial et en face l’ALN et le FLN. Et tout d’un coup, il y a eu une sorte de guerre de trois. Une partie des corps sécuritaires de la France coloniale a rejoint l’OAS et commençaient à tirer sur les soldats français et évidemment sur les Algériens et à chaque fois qu’ils le pouvaient, ils tiraient aussi sur les fidaï du FLN. De leur côté, les fidaï tiraient, à la fois, sur l’OAS et sur l’armée française. C’est ainsi que l ’OAS va s’organiser à Oran, à Alger et à Constantine, où il y a eu les plus gros crimes marquant les débuts de l’activité de l’OAS, à mon avis. Petit à petit, ça a pris l’allure d’une guerre à trois, ensuite il y a eu une volonté de faire du réduit d’Oran une sorte de mini-république française où il n’y a pas de place pour les Algériens, mais aussi pas de place pour l’armée française considérée comme une armée d’occupation.
C’est ainsi qu’ils ont commencé à tirer sur les jeunes appelés de l’armée française. D’ailleurs, le général Joseph Katz, qui commandait la place d’Oran à l’époque, disait que les soldats de l’armée française préféraient se faire soigner dans les infirmeries du FLN plutôt que dans les hôpitaux français où ils risquaient de se faire tuer par des médecins de l’OAS», indique Fouad Soufi. L’historien n’y va pas par quatre chemins pour qualifier l’OAS d’une bande d’assassins. «L’OAS occupait les clochers des églises et les derniers étages des immeubles. À partir du haut de la cité Lescure, elle dominait tout le M’dina Dj’dida et tirait sur des femmes en Hayek. c’était des snipers !» dit-il.

L’attentat à la voiture piégée à Tahtaha : l’horreur absolue !

Devant l’intensification des actes de violence à l’encontre de la population locale, l’OAS a poussé cette dernière à vouloir se défendre elle-même. Mais le FLN avait mis une note interdisant toute réaction à la population, rapporte notre interlocuteur. «Ils ont dit que c’est à eux (le FLN) de le faire, non à la population de se battre. Mais les violences commises par l’OAS étaient de trop et les populations ne pouvaient continuer à les subir, surtout que le FLN se battait.» Ainsi, poursuit F. Soufi, «le moindre fidaï qui avait des traits et le profil d’un européen se voyait attribuer des missions à l’intérieur des quartiers européens à Oran, et, donc, il y a eu cette guerre à trois jusqu’au 28 février 1962 où il y a eu le premier attentat à la voiture piégée. Il faut savoir qu’il n’y a pas eu un tel attentat depuis 1947 à El-Qods, celui qui fut perpétré par des terroristes israéliens, jusqu’à celui commis par l’OAS. Le mot sniper n’était plus utilisé depuis 1914 et c’est l’OAS qui l’a remis au goût du jour. Cet attentat était l’horreur absolue. Le plus meurtrier depuis le début de la guerre 1954 jusqu’à l’attentat du 1er mai à Alger. Il a été exécuté par un harki entré dans le quartier de Tahtaha pas très loin du café de l’USMO où il a fait exploser la voiture. Un massacre épouvantable au point que c’était impossible d’identifier les corps des victimes. Seuls deux d’entre eux ont pu été reconnus. Ils ont retrouvé une main qui tenait une autre d’une petite fille sur laquelle il y avait un bracelet où il était marqué son nom et prénom. Il s’agissait d’une petite fille qui était accompagnée de son père. Les cadavres étaient ramassés à la petite cuillère et les cervelles collées au mur. En réalité, personne n’a le chiffre exact des victimes, d’autant plus que l’attentat a été actionné au moment où des élèves sortaient de l’école mitoyenne. Des journalistes étrangers à l’époque ont dit que c’était l’attentat le plus meurtrier depuis 1954 et c’est bien l’œuvre de l’OAS», poursuit l’ex-sous directeur aux Archives nationales. Il a joute que l’OAS a commis des attentats qu’il a essayé d’attribuer au FLN, comme celui dont a été victime une femme et ses deux filles à Mers El-Kébir, retrouvées égorgées. Il s’est avéré que la femme assassinée travaillait pour le FLN, selon notre interlocuteur qui souligne le choix peu innocent de certains vocabulaires discriminatoires utilisés par la presse. «ça parlait des attentats terroristes du FLN et attentats activistes du l’OAS.»

Avorter l’objet principal de l’OAS d’empêcher la naissance de l’Algérie indépendante

Il ressort du travail de recherche accompli par les deux historiens, qu’après cet épisode sanglant (l’attentat du 28 février), les gens se sont armés de tout et de n’importe quoi, et sont descendus au centre d’Oran pour se défendre, raconte l’historien. Mais le FLN les a convaincus de ne pas le faire, explique notre interlocuteur «C’était un piège et une provocation à laquelle il ne fallait pas répondre. Et c’est cette attitude du FLN qui va montrer qu’il est l’unique et le seul représentant de la population algérienne, car il a réussi à la retenir.» Que retiens-t-on des évènements de l’OAS à Oran ? Une question que nous avons posée à Fouad Soufi. «D’abord, la confirmation du FLN comme représentant unique et seul de la population. On le savait, mais cela s’est confirmé par la suite. Si l’un parmi les responsables français avait besoin d’être convaincu que la FLN était le seul et unique représentant du peuple, et bien il l’a été grâce à cet épisode», répond l’historien.
Au plan politique, il explique que l’objet principal de l’OAS était d’empêcher la naissance de l’Algérie indépendante, entre autre,s en provoquant le FLN et surtout en amenant l’ALN à casser le cessez-le-feu. Hors ces deux derniers, ils ont tenu le mot, même si cela a coûté cher. Cette représentativité s’est construite depuis le congrès de la Soummam 1956 et s’est confirmée sur le terrain, par la suite. Ce n’était pas une simple vue de l’esprit. C’est bien le FLN qui décidait. Et partout en Algérie, il a construit un contre État par rapport à l’État colonial», affirme l’historien.
Amel Saher

Sur le même thème

Multimedia