Sétif : les fontaines, une histoire qui coule de source

Que de fois elles ont été chantées par les adeptes du Sraoui sétifien, qui se faisaient un réel plaisir de s’y rendre et s’y désaltérer, se fondant par la même dans ce parcours mélodieux de tendresse et de beauté sublime, que de fois contées par les aînés à de multiples générations qui témoignent aujourd’hui des vertus de ces sources qui faisaient de Sétif une ville d’eau.

Ces sources et fontaines, émergeant d’une terre nourricière, qui produit encore grâce à ses sentiers généreux «gemh el beliouni», défient la pierre pour offrir de leur eau fraîche et limpide à tant de voyageurs qui transitaient par la cité de Ain El Fouara et permettre ainsi aux habitants de Sétif de s’y désaltérer et remplir leurs «guerba» (réservoir d'eau, fait d'une peau de chèvre tannée, cousue au niveau des pattes) et y laver des vêtements dans certaines d’entre elles. De ces nombreuses fontaines qui coulaient à travers la ville et portaient souvent le nom de l’endroit où elles étaient implantées, il n’en reste que deux; Ain El Fouara, que la renommée remonte à plus d’un siècle, et Ain Droudj, qui coule encore à quelques encablures de cette fontaine mythique. certaines ensevelies, d’autres taries, ne laissant pour témoins que des espaces dénudés ou quelques pierres, comme pour rappeler de leur présence et, peut-être un jour, faire l’objet d’un intérêt et pourquoi pas «rejaillir» de leurs cendres. le destin a été tragique pour la statue de Ain El Fouara, car en dépit des aléas du temps, ce monument emblématique, qui relève d’une œuvre d’art que les sétifiens ont adoptée depuis plus d’un siècle, subit l’incivilité destructrice de l’homme, jusque même à vouloir la faire disparaitre, par une matinée de la sombre décennie. 

Un monument emblématique, porté par une histoire passionnante et la main magique du sculpteur Francis de Saint-Vidal, avant de traverser la Méditerranée, de Marseille à Skikda, et venir prendre place là où elle se trouve depuis 127 ans au terme d’un voyage de 14 jours, accompagnée alors d’un garde-champêtre dont la récompense pour cette œuvre ne dépassa pas 20 francs.

Ain Droudj : une fontaine, un repère

Non loin de là, Ain Droudj (la fontaine aux escaliers) est une autre fontaine accessible en descendant neuf marches en pierre et boire de son eau fraîche qui émerge des Bains romains, somptueuse réalisation préservée encore par le cadre enchanteur du jardin «Rafaoui», entretenu par des jeunes amoureux de la nature, au pied du mur byzantin. Une fontaine à laquelle les Sétifiens continuent de s’identifier, en se targuant de connaitre le nombre d’escaliers qui y mènent, et prennent souvent du plaisir à vous poser cette question pour vous narguer ou pour savoir si vous êtes vraiment de cette ville qui a connu et vécu tant de civilisations.

«C’est une question qui a pris place au fil du temps dans nos us et coutumes. Alors, comme nos aînés, nous en faisons une référence de la ville et posons toujours cette question lors des grandes discussions dans le café où nous replongeons dans l’histoire profonde de la cité», me confiait, un jour, Lamri du haut de ses 84 ans, scrutant encore à travers ses épaisses lunettes les contours de ce que fut le lieu de son enfance. Une fontaine qui aurait pu connaitre un autre sort à cause de certains «éclairés», profanes du patrimoine de cette ville, qui n’avaient pas trouvé mieux que de l’ensevelir sous des tonnes de terre pour des raisons d’hygiène qui ne tenaient pas la route. Le président de cette APC, un des notables de cette ville, décide de redonner vie à cette fontaine qui coule toujours, à la grande joie des habitants de cette ville, dont les revendications aboutissaient enfin. A l’autre bout de la ville, non loin de l’ancienne cité des Cheminots, Ain Bouaroua, qui coulait au pied de ce monticule que l’on appelait dans le langage de tous les jours «Rass Idour», appellation sans doute tirée du «ruisseau d’or» qui partait de cette fontaine pour traverser de son eau limpide toute la partie sud de la ville, était un espace fréquenté par des familles qui s’y rendaient chaque matin pour y accomplir les grandes lessives de burnous d’antan, de hiyek (grandes couvertures traditionnelles de laine tissées par les vieilles à la maison et de toisons de laines lavées et étalées au soleil, alors que les enfants s’en donnaient à cœur joie dans le grand bassin avant le grand retour en fin d’après-midi.

«C’était un lieu de rencontres où des moments de joie étaient partagés par toutes ces femmes qui s’y rendaient pour joindre l’utile à l’agréable; accomplir ce rite et partager les dernières nouvelles de la cité. «c’était toute une expédition de bonheur», affirme Bornia qui n’a pas oublié.

Fontaines d’un autre temps

Ain Ghassoula, implantée au cœur du vieux quartier populaire de la cité Bel Air, n’échappait pas à cette belle ambiance et était elle aussi le lieu de prédilection de nombreuses lavandières en été. Une fontaine où les habitants de la cité faisaient aussi leurs provisions d’eau dans l’après-midi, le tout agrémenté par une belle ambiance qui devint avec le temps «un lieu de rencontres où se forgeaient aussi les valeurs de la révolution de Novembre», me disait Messaouda qui a passé toute sa vie à Bel Air.

D’autres fontaines, comme «Ain S’Bayss» (la fontaine des Spahis), «Ain Morau» (fontaine des maures) au faubourg des jardins du côté de Ledjnane, non loin des anciens remparts, «Ain Zouaiel», à proximité des anciens docks et de gare ferroviaire, «Ain Zmala» à proximité du passage à niveau de la cité Tlidjen, «Ain Lemzabi», dont le dernier repère a été emporté par le chantier du tramway, «Ain Ezaoualia», au cœur de l’ancien parc à fourrages, «Ain Mouss», ont fait de Sétif une ville d’eau et que bien des générations ignorent, ne gardant en mémoire que Ain El Fouara ou Ain Droudj qui continuent à offrir de leur eau fraîche et limpide en cet été caniculaire.

F. Z.

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