
Les idées du capitaine Thomas Sankara remontent en surface 37 ans après la tragique disparition du leader emblématique qui a enflammé l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, redonnant l’espoir de la liberté dans la dignité.
Le Niger, le Mali et le Burkina Faso annoncent la création d’une force armée spéciale conjointe pour «créer les conditions d’une sécurité partagée» et anéantir le terrorisme qui frappe encore dans les zones reculées, provoquant une ruée permanente des populations civiles vers les villes. Par centaines de milliers, les longues files de paysans abandonnent leur milieu de vie et leurs ressources pour rejoindre des villes déjà encombrées. «Cette force conjointe des pays de l’AES sera opérationnelle dans les plus brefs délais pour prendre en compte les défis sécuritaires dans notre espace» a souligné le général Moussa Salaou Barmou, chef d’état-major des armées nigériennes à l’issue de la réunion. Cette importante étape dans le rapprochement des trois pays intervient après la création d’une Alliance des Etats du Sahel (AES), suivie de leur sortie de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). A Ouagadougou, l’évènement est vécu comme une victoire post mortem du capitaine Thomas Sankara, assassiné le 15 octobre 1987 lors d’un coup d’Etat mené par Blaise Compaoré. La rupture et le train de sanctions ont été imposés en réaction à la prise du pouvoir, au Niger et au Mali, par des militaires qui entendent restaurer la paix dans leurs pays respectifs. Les sanctions ont aggravé la situation en particulier au niveau social et sanitaire. Mais l’adversité a donné lieu à une plus forte cohésion entre les nouveaux hommes forts et la population. C’est dire que les sanctions, mises en échec, n’ont pas eu les effets attendus pour faire fléchir les nouveaux pouvoirs portés par un consensus populaire, toutes classes confondues. Parfois, les foules étaient chauffées à blanc par le sentiment de trahison des alliances locales avec l’ancienne force coloniale fortement présente. Les trois anciennes colonies françaises ont rompu avec la France sur un registre de libération et se sont rapprochées économiquement et militairement de nouvelles puissances, quittant la CEDEAO sans tenir compte du délai d’un an, comme le prévoient les textes de l’organisation.
Vers l’enterrement du franc CFA
Les dirigeants des trois pays, le général Abdourahamane Tiani (Niger), le colonel Assimi Goïta (Mali) et le capitaine Ibrahim Traoré (Burkina), dans une rhétorique qui rappelle la force de persuasion du capitaine Thomas Sankara, ont accusé à plusieurs reprises cette organisation d’être inféodée à la France. Ils reprochent à l’Organisation de ne pas les avoir soutenus dans la lutte qu’ils mènent contre les groupes terroristes qui les attaquent avec des bilans qui s’élèvent à des milliers de morts et des millions de déplacés. Les trois pays, forts de leur bon droit, n’ont pas cédé, obligeant la CEDEAO à modifier sa feuille de route dans le sens de l’apaisement après avoir menacé d’intervenir militairement à la suite de la déposition, le 26 juillet 2023, du Président nigérien Mohamed Bazoum. En février, réunie en sommet extraordinaire au Nigeria, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest a, finalement, décidé d’un redéploiement stratégique en adoptant une politique de sagesse, plus réaliste, par la levée des sanctions imposées contre Bamako, Conakry et Niamey. Les restrictions politiques, économiques et commerciales devaient contraindre, en principe, les nouveaux pouvoirs à organiser des élections pour le rétablissement de la légalité constitutionnelle.
Aussi, tout le monde reconnaît aujourd’hui que ce discours est décalé de la réalité dans d’immenses territoires confrontés à des violences terroristes récurrentes depuis des années, induisant une insécurité structurelle qui impacte la vie politique, sociale et économique dans le Sahel. C’est accord historique est considéré comme «une étape décisive de la coopération», selon le capitaine Ibrahima Traoré du Burkina Faso. Le président de la transition du Niger, Abdourahmane Tiani, indique : «Ensemble, nous bâtirons un Sahel pacifié, prospère et uni.» Le ministre des Affaires étrangères du Mali, Abdoulaye Diop, considère que «toute atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale d’une ou plusieurs parties sera considérée comme une agression contre les autres parties et engagera un devoir d’assistance et de secours, y compris l’emploi de la force armée». Après cet accord, on évoque déjà l’enterrement du franc CFA par l’adoption d’une nouvelle monnaie.
Rachid Lourdjane