
Bâb El-Oued, La Casbah, Ain Benian, Bologhine… autant de quartiers, qui sont le théâtre de scènes funestes et déchirantes, montrant des familles ensevelies sous les décombres d’une habitation effondrée.
Les vieilles cités et médinas ont atteint aujourd’hui un seuil de dégradation létal. Une pluie battante, une secousse tellurique ou de simples travaux d’aménagement suffisent pour voir s’écrouler les toits sur la tête des propriétaires. Les experts, au fait de l’état du vieux bâti à Alger, ont mené des études, établi des constats et suggéré des solutions à cette épineuse problématique. Leurs recommandations son restées lettre morte. Il convient de savoir que la majorité des immeubles d’Alger-Centre et des communes limitrophes datent de plus de 100 ans. Pas moins de 1.800 immeubles, dont 30% relevant du secteur privé, «sont dans un état de vétusté avancé en raison de l’absence d’entreprises qualifiées dans la réhabilitation du vieux bâti», a affirmé le président de l’Assemblée populaire communale d’Alger-Centre, Abdelhakim Bettache. Les vieilles constructions, dont certaines ont une valeur historique, se dégradent doucement mais sûrement. La menace est d’autant plus soutenue que des répliques telluriques surviennent à longueur d’année. Il faut savoir également qu’après les inondations de 2001, à Alger, et le séisme de Boumerdès en 2003, le recensement du vieux bâti a révélé que plus de 80% des immeubles avaient plus de 50 ans d’âge. Sur les 57 communes que compte Alger, 8 présentent un grand danger pour les habitants. Il s’agit de La Casbah, dont la vétusté des bâtisses est plus perceptible, de Bâb El-Oued, El-Madania, Sidi M’hamed, Belouizdad, Hussein-Dey et El-Harrach. Selon un diagnostic de l’Organisme de Contrôle technique de la construction (CTC), les bâtisses sont classées par niveaux : la catégorie 1 représente 15% des bâtisses menacées. La catégorie 2, celles qui sont en dégradation critique, soit 52% des bâtisses menacées. La catégorie 3 représente 30%, et enfin la catégorie 4, 1% seulement. Pour ce qui est de Bab El-Oued, quelque 38 immeubles classés IMR (Immeuble menaçant ruines) ont été recensés à travers les différents quartiers. Le phénomène des habitations vétustes ne concerne pas un seul quartier. Le CTC a expertisé plus de 380.000 bâtisses dans le cadre des opérations de rénovation du vieux bâti lancées par les autorités les 20 dernières années.
Doter chaque bâtiment d’un carnet de «santé»
«Il est important de comprendre qu’il ne suffit pas de construire du neuf, mais d’en assurer régulièrement l’entretien et la maintenance», affirme Abdelhamid Boudaoud, expert architecte, président du collège des architectes. Pour lui, tout logement ou équipement a une durée de vie et il est sujet périodiquement à une usure qu’il y a lieu d’entretenir dans le cadre d’un programme concret de suivi et de réhabilitation, d’où la nécessité, propose-t-il, de doter chaque bâtiment d’un carnet de «santé». «Plusieurs bâtisses réalisées dans les années 1970 et 1980 ont vieilli par manque d’entretien». Le CNEA, qui a établi un constat peu reluisant du vieux bâti dans notre pays, pense que ce carnet de santé sera un outil qui permettra un suivi approprié des immeubles. Pour Boudaoud, il est possible de prolonger la durée de vie d’un bâtiment, qui est de 50 années en moyenne. «Le degré d’occupation et d’habitabilité d’un bâtiment dépend de son entretien», précisera l’expert. Pour faire face à cette problématique du vieux bâti, le CNEA suggère, au préalable, un recensement par les communes de tout leur patrimoine, ensuite, il est utile, affirme-t-il, d’analyser les défaillances techniques du bâti et d’évaluer les coûts. Les urbanistes estiment pour leur part qu’il est nécessaire «de disposer d’une réglementation sur le vieux bâti», même si, sur le plan technique, ils considèrent que le problème ne se pose pas car il y a beaucoup de compétences. Ces mêmes experts estiment qu’il y a plutôt un problème juridique pour l’intervention en milieu urbain où des statuts juridiques divers cohabitent, qu’il s’agisse de l’étatique, du privé ou de la copropriété. À cet effet justement, on croit savoir qu’un groupe de juristes travaille sur ce dossier au ministère de l’Habitat. À côté de cela, les pouvoirs publics appellent les propriétaires à prendre conscience que le vieux bâti est leur bien et qu’il faut qu’ils prennent en charge financièrement sa réhabilitation. Citoyens comme simples observateurs reconnaissent que beaucoup d’efforts ont été déployés, ces dernières années, pour améliorer le cadre de vie, et des enveloppes budgétaires colossales ont été allouées. Toutefois, et à ce jour, les travaux s’éternisent et les opérations de réaménagement sont ponctuées par des arrêts cycliques et des dépassements de délais impartis sans que les mises en demeure soient adressées aux entreprises qui font plus dans le «rafistolage» de façade qu’un réel travail de fond.
Farida Larbi