Régulation des micro-importateurs : Pour un taux de change à deux niveaux

L’analyste économique et financier, Mahfoud Kaoubi, considère l’instruction présidentielle visant à encadrer l’activité des micro-importateurs, communément appelés «commerçants du cabas», comme une réponse à une revendication ancienne, longtemps ignorée.

Mais au-delà de sa dimension sociale, M. Kaoubi affirme que cette décision renvoie à une problématique bien plus profonde, celle de la régulation globale du commerce extérieur. Il souligne que l’enjeu dépasse largement la régularisation ponctuelle de ces acteurs économiques. Intervenant, hier, sur les ondes de la Chaîne III, Mahfoud Kaoubi rappelle qu’à partir de l’année dernière, des mesures particulièrement sévères ont été prises pour freiner les importations hors circuits officiels, notamment via les ports et les aéroports.
Ces restrictions, précise-t-il, ont engendré des réactions notables de la part des petits commerçants, révélant ainsi l’ampleur réelle de leur présence économique et leur rôle dans la dynamique de l’emploi.
M. Kaoubi affirme que la régularisation des micro-importateurs ne peut être envisagée isolément. Il insiste sur la nécessité d’inscrire cette démarche dans une réflexion globale sur le commerce extérieur, en particulier sur les conditions d’importation et les mécanismes qui structurent les échanges.
«C’est une question récurrente dans le débat économique, et elle impose aux pouvoirs publics d’explorer des voies nouvelles, fondées sur des révisions de fond», souligne-t-il. S’agissant de l’intégration de ces acteurs dans le cadre légal, il estime qu’à court terme, l’inclusion via le statut d’auto-entrepreneur pourrait produire un impact social immédiat
Il ajoute que si cette intégration pourrait, à court terme, répondre à des considérations sociales et permettre de formaliser un grand nombre d’acteurs, elle soulève la question cruciale de l’équité fiscale et de l’égalité devant l’impôt. «Il est essentiel de poser le débat de manière approfondie, en traitant la problématique globale de la régulation du marché et de l’importation», poursuit l’expert. M. Kaoubi a, dans le sillage, identifie le régime de change comme le facteur fondamental qui alimente la dualité des marchés. Il considère que la dualité des prix trouve son origine dans le régime de change, car «cette dualité engendre, mécaniquement, une dualité des marchés : le formel d’un côté, et l’informel, dans lequel évoluent les commerçants du cabas». Pour répondre concrètement à cette problématique, l’économiste propose l’instauration d’un taux de change différencié : un taux officiel-bis, pratiqué au niveau des guichets bancaires, pour les importations de produits non essentiels, tels que les biens dits secondaires et même les véhicules. «Pourquoi ne pas aller vers un taux de change à deux niveaux ? Un taux officiel-bis, affiché dans les banques, pour les produits non essentiels ou secondaires – y compris les véhicules, aligné sur le taux du marché parallèle, aujourd’hui estimé à 260 DA pour un euro», préconise-t-il.
Au-delà du régime de change, M. Kaoubi insiste sur la nécessité de repenser l’organisation des marchés. Il observe que la régularisation des micro-importateurs implique également la définition des produits concernés, ainsi que des quantités importables, tout en reconnaissant que ces paramètres restent soumis aux dynamiques de l’offre et de la demande.
«Jusqu’ici, on a privilégié une régulation de type administratif, lourde, coûteuse et rigide. Pour fluidifier les échanges, il faut aller vers une régulation économique : transparence, tarification, structuration des marchés de gros et des grandes surfaces», affirme-t-il. M. Kaoubi appelle à intégrer la régulation des micro-importateurs dans une stratégie économique globale, cohérente et durable.
«La réflexion sur ces opérateurs doit s’inscrire dans une approche d’ensemble qui prendra en compte l’ensemble des dynamiques d’importation», souligne-t-il.
Il souligne, à ce propos, que la création de l’agence nationale chargée de l’importation constituerait le cadre institutionnel approprié, pour piloter cette régulation de manière structurée et non conjoncturelle.
Il met également l’accent sur l’importance, pour la commission chargée de cette régulation, d’élargir sa réflexion, pour l’absorption du marché informel dans son ensemble. «Aujourd’hui, si l’on veut réellement absorber ce marché informel, il faut une stratégie d’ensemble. Il ne s’agit pas seulement de traiter la question des petits commerçants, mais de dresser les vrais problèmes : l’ajustement du taux de change, la révision des droits de douane et l’organisation globale de l’importation», a noté l’expert. Il appelle donc à rompre avec une logique administrative de court terme, pour adopter une approche économique de long terme, basée sur les mécanismes de marché.
«Si l’on ne va pas au fond des choses, on réglera peut-être le problème social. Mais le déséquilibre économique, lui, perdurera», conclut-il avec fermeté.

K. H.

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