
Ministre de l’Information dans le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), Mhamed Yazid, diplomate d’envergure, était resté fidèle à «son» journal El Moudjahid, jusqu’aux derniers instants de sa vie. Nous étions curieux de ses récits et anecdotes à l’ONU, ses échanges avec Nikita Khrouchtchev, Premier secrétaire du Parti communiste soviétique à New York, Bandoeng, Yasser Arafat, le Liban, le Ghana de N’kruma et combien de hauts faits historiques de la diplomatie algérienne. Au journal, Mhamed Yazid avait ses amis, notamment Blidi Maachou, notre spécialiste baroudeur du Moyen-Orient. Alors que la guerre de Libération nationale faisait rage en Algérie, cinq ans après son déclenchement de Novembre, le front diplomatique est en effervesence permanente au siège des Nations unies. La délégation algérienne, très active, compte dans ses rangs de prestigieuses figures qui, hélas, ne sont plus de ce monde : Chanderli, Cherif Guellal, Frantz Fanon… Des esprits dynamiques et fertiles entièrement dévoués. Un matin comme les autres, une idée fuse dans l’équipe. «Il faut sensibiliser les autorités américaines au plus haut sommet sur le dossier algérien» C’est audacieux, c’est très fort mais faisable. Yazid va s’approcher du jeune sénateur J.F. Kennedy du Massachussetts.
L’intuition va s'avérer juste. JFK est bien l’homme du futur aux États Unis. Le charismatique sénateur d’une quarantaine d’années avait bien la stature d’un futur président avec son passé dans la Guerre du Pacifique et sa verve. JFK s’apprêtait à affronter Nixon sur un plateau TV. C’était une révolution dans le monde médiatique. Le face-à-face s’avère décisif. Nous sommes en 1960 et les deux candidats vont inaugurer cette nouvelle force attractive de la télévision dans un affrontement historique. M’hamed Yazid avec son sens du contact, sa verve et son audace intervient auprès de Kennedy autour d’un sandwich au siège du Senat à Washington «J’avais préparé un dossier avec mon ami Chanderli sur la guerre de Libération que Nixon considérait comme un mouvement communiste soutenu par les Soviétiques», nous dit Yazid au cours d’une visite inopinée au journal «Nixon ignorait tout de notre doctrine et je me demandais bien s’il pouvait localiser géographiquement notre pays» Il fallait convaincre JFK que son rival maîtrisait très mal un dossier-clé de la politique étrangère sur la fin proche de l’empire colonial français et les grands bouleversements géostratégiques qui allaient en découler comme une onde de choc.
M’hamed Yazid n’aura pas de mal à déconstruire les idées préconçues de Richard Nixon auprès de JFK fortement intéressé par l’argumentaire du diplomate algérien. Cette maîtrise sur un sujet international permettra à JFK de gagner de précieux points face à son adversaire républicain. Au cours du face-à-face, les téléspectateurs américains découvrent la force de persuasion du jeune sénateur et les insuffisances de Nixon sur la justesse de la lutte des Algériens si proche de l’histoire de l’indépendance américaine. Les conséquences pour l’Algérie en guerre seront considérables. L’opinion américaine se range en faveur de Kennedy et de la cause indépendantiste algérienne. De son côté, la IVe République française subira les revers que l’on sait sur les champs politiques et diplomatiques.
Un froid glacial tombe sur l’establishment américain, quand J. F. Kennedy se range du côté de l’Algérie contre le statut colonial et la France, pourtant alliée de l’OTAN. Ce retournement se passe, néanmoins, dans un climat de guerre froide entre les deux blocs Est-Ouest. Juillet 1962, c’est l’indépendance. JFK vivra l’événement comme une victoire personnelle
Rachid Lourdjane