Journée Internationale de la liberté de la presse - Pr Zeghlami, enseignant des sciences de l’information et de la communication à l’Université alger 3 : «Une avancée appréciable»

Entretien réalisé par : Soraya Guemmouri

La liberté d’expression consiste à faire évoluer davantage la presse nationale, dans le respect de ses nobles missions, à savoir l’impartialité et le professionnalisme, en bénéficiant, certes, de la liberté d’expression, mais en faisant preuve également de responsabilité, la crédibilité étant un élément capital.

El Moudjahid : La nouvelle loi organique relative à l’information, votée récemment par le Parlement, prévoit, notamment, l’instauration d’un régime déclaratif pour la création des publications périodiques «journaux et revues», en remplacement de l'agrément. Quelle est votre appréciation sur cette question ? 
 
Pr Zeghlami : Cette nouvelle loi organique, adoptée par l’APN et le Conseil de la nation, est la loi-cadre régissant le secteur de l’information, et ce sachant qu’elle porte essentiellement sur la presse écrite et électronique, mais aussi sur la presse audiovisuelle, et qu’elle a pour objet de fixer les principes et les règles régissant l'activité d'information et son libre exercice. Il s’agit, en fait, d’un nouveau texte qui a des atouts très positifs. 
En ce qui concerne, par exemple, la question de création de publications périodiques, il est évident, comme vous l’avez bien souligné dans votre question, qu’on est passé à un régime déclaratif. Cela veut dire que toute personne physique ou morale disposant des exigences requises ayant un projet d’investissement dans le domaine de la presse écrite peut le faire, en commençant par rédiger une simple lettre déclarative, ce qui va ainsi matérialiser son projet. En d’autres termes, le régime déclaratif vient simplifier l’allègement des procédures, surtout en matière de projets de création de journaux et de revues. C’est, là, une avancée appréciable. Cela dit, on ne doit pas occulter que ce qui est déclaratif pour les journaux et les revues n’est pas élargi et extrapolé aux autres types et moyens de communication, tel que l’audiovisuel. En ce qui concerne l’audiovisuel, il est question d’une autorisation, et non pas d’un régime déclaratif. Cela veut dire qu’il y a deux approches différentes. Lorsqu’il s’agit de la presse écrite, on a besoin d’une déclaration, mais, pour ouvrir une chaîne de télévision et les autres projets relatifs à la presse électronique, cet investissement doit faire l’objet d’une autorisation qu’il faut soumettre à l’appréciation des autorités compétentes. Je dois dire qu’avec cette simplification des procédures, on prévoit la prolifération des journaux et revues. 
 
Tout un chapitre est dédié, dans le même texte de loi, à la protection du journaliste. Que pensez-vous des nouvelles dispositions en la matière ? 
 
À vrai dire, je suis tout à fait d’accord avec l’ensemble des mesures qui ont été prises dans ce cadre et visant, dans un premier temps, à professionnaliser la pratique journalistique. Dans ce cadre, obligation est faite pour ceux qui exercent le journalisme de disposer des compétences théoriques et académiques, pour espérer exercer ce métier. Par voie de conséquence, on ouvre droit, de cette manière, à davantage de professionnalisation de ce métier. En même temps, les responsables de projets, c’est-à-dire ceux qui ont des projets de journaux ou des médias, de manière générale, sont désormais dans l’obligation de respecter les règles élémentaires qui les lient aux journalistes, et ce à travers des contrats et à travers le respect des relations de travail entre le journal, revue ou chaîne de télévision, et le journaliste. Aussi, à la faveur du nouveau texte, cette relation doit être impérativement réglementée, par une convention ou un contrat signé en bonne et due forme par les deux parties. Le contrat doit mentionner les droits et obligations des uns et des autres. Sur ce plan là encore, ceci est une excellente chose, sachant qu’on vient ainsi mettre fin aux abus constatés par le passé, ici et là, par certains responsables de titres de presse qui usent et abusent du journaliste, en faisant fi de ses droits les plus élémentaires, à savoir un salaire décent, ainsi que toutes les autres mesures relatives à sa protection, soit en matière de couverture sociale, sanitaire, et surtout en matière de respect à sa dignité et de sa responsabilité. Il est à noter par ailleurs que cette loi va également renforcer le journaliste dans l’exercice de son travail, à travers son droit à ne pas divulguer le secret de ses sources, sauf dans des cas définis par des textes législatifs. En somme, le chapitre dédié à la protection du journaliste garantit au journaliste d’exercer son métier en toute liberté et surtout dans la dignité. Désormais, il ne sera plus jamais à la merci des gens qui n’ont aucun respect des règles qui instaurent la relation entre le titre de presse et le journaliste. Pas moins de onze articles, de 23 à 33, sont exclusivement dédiés à la protection du journaliste ; à telle enseigne que la nouvelle loi organique sur l’information est un grand acquis pour la presse nationale. 
 
Le même texte stipule la création d’un conseil supérieur de l'éthique et de la déontologie de la profession de journaliste. Votre commentaire à ce sujet ? 
 
Quoique beaucoup de choses ont été dites sur le fait que l’éthique et la déontologie relèvent des journalistes et des professionnels de la presse, et bien que ce soit une approche qui a fait ses preuves ailleurs, je dois souligner que dans le contexte algérien, je suis plutôt pour une approche équilibrée. Je m’explique : il faut qu’il y ait un dosage entre les représentants des pouvoirs publics et les représentants de la presse nationale. Aussi, les personnes désignées en représentation des pouvoirs publics doivent être connus pour leur intégrité, leur clairvoyance, et pour leur honnêteté et sincérité, et, bien entendu , pour leurs compétences. Il faudrait également qu’il n’y ait aucun élément pouvant éventuellement entacher leur impartialité. Au sein de l’autre partie, celle qui concerne les représentants des journalistes, là-aussi, il faut faire valoir les règles et le secret des urnes, donc à travers des élections. Ces représentants de la presse seront, pour tout dire, l’émanation de la volonté des journalistes. Ils devraient, par conséquent, être des représentants qui sont justement représentatifs de tous les journalistes, dans leur diversité. Sur ce point-là et comme on le sait, il y a, à présent, près de 8.600 journalistes toute presse confondue. En ce qui concerne la presse écrite et électronique, celle-ci doit, avec plus de 200 journaux de titres de presse écrite et quelque 180 journalistes de presse électronique, refléter justement les grandes tendances qui animent la presse nationale. Une fois que la composante du Conseil supérieur de l’éthique et de la déontologie comptera des représentants de la presse et des pouvoirs publics, avec un dosage entre les deux parties, de cette manière-là, nous irons vers un équilibre entre le pouvoir politique et le pouvoir des journalistes, à travers les discussions et les débats qui peuvent être contradictoires. Ces débats contradictoires doivent éclairer et faire émerger la vérité. En somme, la question de la création du Conseil de l'éthique et de la déontologie de la profession doit refléter les positions des deux parties, à savoir les pouvoirs publics, d’un côté, et les journalistes, d’un autre côté. Ce conseil doit être une autorité morale qui a cette obligation de faire respecter les règles de déontologie, d’éthique et de respect d’objectivité. Il s’agit surtout de faire valoir la liberté, le professionnalisme, et de ne pas sombrer dans l’insulte et l’injure. Ce conseil doit constituer, également, un cadre dans lequel les nouvelles idées de bonne entente et d’harmonie entre les différents groupes et tendance seront réunies et marquées par le respect des différents mouvements d’idées et de courants d’idées. Ce conseil d’éthique sera surtout un cadre de sages soucieux du respect des règles professionnels devant régner au sein de la presse nationale et de faire émerger une presse algérienne respectueuse des principes qui ont toujours animé notre société, tout en reflétant les différentes tendances de la société algérienne.
 
Le mot de la fin, à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse…
 
Mon vœu est de voir l’article 54 de la Constitution de 2020 se traduire pleinement dans la pratique, au quotidien. Mon souhait est de voir cet article, tant défendu par le président de la République dans ses 54 engagements, mis en œuvre, dès la promulgation de cette loi organique. Mon souhait est de voir la société algérienne, de manière générale, notamment la presse, se libérer des approches bureaucratiques et restrictives. Cet article permet l’éclosion et l’émergence d’une presse plurielle, pluraliste et respectueuse des principes qui ont toujours animé la société algérienne. Ainsi, la presse nationale doit refléter ces principes-là, à travers l’application de l’article 54 de la Constitution, qui constitue une pierre angulaire dans le respect et dans l’émergence d’une presse responsable, et mon souhait, aussi, c’est que cette liberté de la presse ne doit plus faire l’objet d’abus des uns et des autres. Personnellement, je suis très confiant sur le fait que la mise en place de l’article 54 de la Constitution puisse permettre à la société de se libérer de toutes les entraves, des obstructions et autres obstacles qui entachaient, à un moment donné, la liberté de la presse. Enfin, l’ultime souhait est celui de permettre à l’Algérien de s’identifier à travers la presse, à travers les médias nationaux qui reflètent ses préoccupations, au quotidien, sans aucune modification. D’une manière générale, il s’agit de faire évoluer davantage la presse nationale, dans le respect de ses nobles missions, à savoir l’impartialité et le professionnalisme, en bénéficiant, certes, de la liberté d’expression, mais en faisant preuve également de responsabilité, la crédibilité étant un élément capital.
 
S. G.

 

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