Loin d’être une simple politique environnementale, la transition verte est aujourd’hui intégrée au cœur de la stratégie industrielle et géopolitique de Pékin.
La Chine veut remodeler les rapports de force du XXIᵉ siècle.
El Moudjahid : La Chine a pris l’engagement d’atteindre le pic de ses émissions avant 2030 et la neutralité carbone avant 2060. En tant que spécialiste des politiques publiques environnementales, pensez-vous que cette ambition est réalisable ?
Li Wenhao : En fait, je vous dirai que, pour nous, la trajectoire est globalement confirmée. Les chiffres ne sont pas linéaires : il peut y avoir des phases de remontée de la consommation de charbon. Mais les indicateurs structurels, soit les investissements dans les renouvelables, le développement du parc nucléaire de nouvelle génération et la montée en puissance de l’hydrogène sont cohérents avec un pic fin décennie. Nous sommes dans une phase de basculement du modèle énergétique. Aussi, l’enjeu n’est plus l’annonce, mais l’exécution accélérée, avec des outils de régulation plus précis.
Concrètement, qu’est-ce qui change dans la politique publique ?
Pour cette option, on voit trois évolutions majeures. Un pilotage différencié par province, à l’exemple des régions charbonnières comme le Shanxi et la Mongolie intérieure, et qui sont dans des calendriers de sortie spécifiques. Par contre, les provinces côtières, telles que Jiangsu, Zhejiang, Guangdong accélèrent davantage vers le 100% renouvelable plus le nucléaire. Pour leur part, les clusters industriels cleantech (batteries, électrolyseurs, photovoltaïque) deviennent des moteurs de développement. Enfin, une gouvernance plus ouverte a été instaurée. Les régulateurs sectoriels travaillent davantage avec des données privées, captées via les plateformes numériques d’énergie. On est dans une logique de pilotage «en continu», ce qui est déterminant pour la période actuelle
La Chine est accusée de produire encore énormément de charbon. Comment conciliez-vous cela avec les objectifs carbone ?
Il faut distinguer les stocks, du rythme de substitution. Oui, les capacités charbon sont importantes, car elles ont été construites dans un modèle où celui-ci garantissait la sécurité électrique d’un pays en croissance rapide.Mais le cœur de la stratégie, aujourd’hui, c’est la substitution à vitesse accélérée : photovoltaïque, éolien, hydraulique, nucléaire, et demain l’hydrogène propre. La Chine installe plus de capacités renouvelables que toute l’Europe et toute l’Amérique du Nord réunies, chaque année depuis 2022. C’est ce flux qui change la trajectoire réelle.
Quels sont, à votre avis, les secteurs les plus difficiles à décarboner ?
Les secteurs «hard-to-abate»n comme on le dit en anglais, concernent principalement l’acier, le ciment, la chimie lourde et la logistique maritime. Dans ces domaines, l’électrification directe ne suffit pas. Aussi, on teste plusieurs solutions depuis un certain temps. Il s’agit, entre autres, de l’intensification des fours électriques pilotés par des renouvelables, la capture et réutilisation du CO₂ direct usine et l’utilisation de l’hydrogène vert pour la réduction directe du minerai de fer. C’est technologiquement faisable, mais il faut une rentabilité économique.
Et l’opinion publique chinoise, que pense-t-elle de tout ça ?
Elle bouge. Les jeunes urbains sont très sensibles à la pollution de l’air. Les grandes villes ont développé des politiques de qualité de l’air qui sont visibles et évaluables par les citoyens (via des applications et des données en temps réel). Cela crée une demande sociale pour des politiques plus strictes.
Que nous réserve la Chine, à votre avis ?
La Chine a décidé que la neutralité carbone est un objectif stratégique de puissance. Donc elle n’est pas seulement dans une logique écologique, mais dans l’idée qu’être leader en technologies bas-carbone sera un pilier de sa compétitivité future. L’industrie verte chinoise est déjà la première mondiale. Le pays considère que la prochaine révolution industrielle est durable, et que celui qui la gagne dominera le siècle.
A. Z.