De notre envoyée spéciale en Chine : Amel Zemouri
On nous l’avait dit d’avance : la transition énergétique chinoise ne se comprend pas depuis un bureau. Il faut aller sur le terrain, regarder comment elle se construit, respirer ses enjeux. Alors nous voilà, une délégation de journalistes arabes, au cœur du Yunnan, dans la préfecture autonome Zhuang et Miao de Wenshan. C’est un Sud montagneux, brumeux, plein de verdure.
De loin, on croirait une simple carte postale. De près, c’est un véritable laboratoire géopolitique. Nos guides sont ceux qui nous ont accompagnés depuis notre arrivée en Chine, pour prendre part au Forum des médias, dans le cadre de l’initiative de la Ceinture et la route, qui s’est tenu, cette année, dans la ville de Kunming. Et c’est justement pour nous imprégner de la réalité des efforts de la Chine dans le domaine de la protection de l’environnement que nous nous sommes rendus dans l’un des plus grands sites d’énergies renouvelables du pays. Pour rejoindre Qiubei, nous avons quitté Wenshan en TGV. Gares ultramodernes, contrôles comparables à ceux d’un terminal international. On scanne nos sacs, on passe des sas de sécurité. Et puis la vitesse. Le compteur frôle les 300 km/h. À l’intérieur du wagon, tout le monde regarde l’écran d’affichage, la Chine va vite. Très vite. Une fois arrivés dans la fraîcheur matinale de septembre, un minibus nous récupère. Après une heure de route, on arrive sur une piste viabilisée spécialement, nous dit-on, pour l’accès au plateau. Là-haut, le paysage change d’un coup.
Des collines arrondies, saturées de vent. Et sur leurs flancs, des centaines de turbines blanches. Pas dispersées. Alignées comme une armée silencieuse. Le responsable local, ingénieur de Datang, explique : «Ici, le vent est une ressource. On travaille avec lui.»
C’est ici que le récit global arrive. Car, dans cette histoire, la Chine n’est pas seule. L’Europe le sait : elle a produit et exporté de l’industrie, puis importé de l’énergie fossile. Les États-Unis le savent : ils possèdent les géants du pétrole et du gaz, et, en même temps, les champions de l’éolien offshore.
La plus grande base de plateau montagneux au monde
Partout, la tension est la même : comment sortir du fossile sans casser le système ? Pour l’expert en développement durable, Li Wenhao, la Chine observe ce dilemme et tente une réponse très chinoise : on développe le renouvelable à une vitesse jamais vue, tout en gardant des filets de sécurité fossiles temporaires. «L’Europe, elle, resserre ses normes, relève ses taxes carbone, construit des marchés ETS et des CBAM. Selon lui, alors que Donald Trump veut réorienter les États-Unis vers le pétrole et les énergies fossiles, Pékin veut se muer en champion des énergies renouvelables. Xi Jinping a promis de «multiplier par six la capacité d'énergie éolienne et solaire par rapport aux niveaux de 2020, en s'efforçant de porter le total à 3.600 gigawatts» d'ici 2035, a-t-il tenu à rappeler, précisant que le Yunnan offre une autre formule : Tester grandeur nature, puis déployer. C’est ici que se trouve, nous affirme-t-on, la plus grande base éolienne jamais construite sur plateau montagneux au monde. Capacité totale : près d’un million de kilowatts. Une prouesse humaine posée dans un décor granitique.
Datang, géant énergétique d’État, opère ici son métier : produire de l’électricité, et prouver qu’une autre Chine existe déjà. Le groupe a sa filiale renouvelable cotée à Hong Kong. À Pékin, le siège pilote l’éolien, le solaire, et ces projets de haute altitude qui impressionnent jusqu’aux experts. Et là, entre les turbines, surgissent des objets inattendus : une petite Tour Eiffel, un moulin hollandais, une cabine téléphonique rouge comme à Londres. Comme si quelqu’un avait décidé de projeter le monde en miniatures. Message silencieux : la transition se pense globalement, pas provincialement.
Pékin, la fabrique de la prochaine décennie
Dans les câbles et dans le vent, il y a un message distinct. Pékin veut signer la rupture avec l’image d’un pays purement charbonnier. Oui, la Chine reste le premier émetteur mondial de CO₂. Mais c’est aussi ici qu’on installe, chaque année, les plus grandes capacités solaire et éolienne au monde. Loin d’être une contradiction, c’est un effort dans la continuité nous dit-on. Il faut dire que depuis 2020, l’horizon est fixé : pic des émissions avant 2030, neutralité carbone en 2060. Xi Jinping l’a annoncé, et le système exécutif avance. Entre-temps, Pékin jongle avec trois impératifs : accélérer l’électrification propre, protéger l’emploi dans les bassins charbonniers, garantir la sécurité énergétique en toutes circonstances.
La Chine peut installer l’équivalent d’un pays européen en panneaux solaires en quelques mois, mais maintient encore des centrales au charbon «flexibles» pour amortir les variations. Depuis la capitale, la trajectoire est claire. L’État veut limiter la dépendance au charbon, sans casser brutalement les chaînes industrielles. Résultat : un système hybride qui comprend un solaire et éolien qui explosent, et le charbon qui reste la béquille de stabilité en effet, quand l’hydro baisse, quand la croissance repart, quand l’hiver menace : le charbon reprend du service, ponctuellement. Un expert sur place nous glisse : «Le renouvelable, on sait le produire. Le vrai sujet, c’est le réseau.» Selon lui, la difficulté chinoise n’est plus la technologie. Elle est dans l’ingénierie du réseau : stabiliser l’injection de renouvelables, interconnecter les provinces, et accepter de fermer des mines de charbon sans porter atteinte à l’emploi.
Le gaz russe comme tampon
Dans ce contexte, l’accord russo-chinois de septembre 2025, Power of Siberia 2, a été présenté comme une option de stabilisation. Pas une faveur à Moscou, mais une ressource intermédiaire : réduire le recours au charbon très émissif, sécuriser le réseau national, préparer la montée en charge du renouvelable. L’ingénieur de Datang qu’on rencontre sur site résume d’une phrase qui reste : «Avant d’être propre, un système électrique doit être stable.» Ce qui frappe ici, c’est le contraste : puissance industrielle silencieuse et douceur du paysage. Pas de fumée. Pas de raffinerie. Pas de bruit. La transition chinoise se déroule dans un silence de vent. Cette ferme éolienne n’est pas qu’un site de production. C’est un récit. La Chine dit : notre avenir énergétique peut être exporté, partagé, vendu. Un discours adressé aux délégations étrangères. Aux partenaires de la BRI.
La Chine veut être le pays qui montre comment basculer. Dans les analyses internationales, on entend souvent : «Oui, mais la Chine brûle encore du charbon.» C’est vrai. Mais il faut regarder la courbe longue : les parcs solaires géants au Ningxia, l’éolien offshore qui entre en phase industrielle, l’hydraulique du Sud- Ouest qui tourne à plein régime, le nucléaire qui se déploie.
Le Yunnan, laboratoire du XXIe siècle et vitrine de la diplomatie verte chinoise
Au Yunnan, le futur ne se raconte pas : il se teste. Les nouveaux TGV, les ports secs, les plateformes logistiques, les vallées photovoltaïques — tout cela paraît déjà routine. Et, pourtant, nous sommes au début du basculement. Des ingénieurs nous confient que la province est devenue un «tampon positif» : elle absorbe les nouveautés, les éprouve, montre ce qui peut fonctionner ailleurs. Pour nos accompagnateurs, il y a une chose qu’on doit retenir, c’est que la transition doit être juste.
La Chine le sait. Elle sait aussi que le monde l’observe : elle tire les coûts mondiaux du solaire et de l’éolien vers le bas, mais elle est jugée sur ses financements à l’étranger. La vraie réponse se jouera dans les prochains plans quinquennaux et dans l’opérationnalisation du marché carbone. La question n’est plus théorique. Le défi est simple, et il concerne le monde entier : la Chine deviendra-t-elle l’architecte industriel de la sortie du charbon ou seulement son gestionnaire prudent ? Actuellement, sur le terrain, le résultat est hybride. Pékin déploie massivement les renouvelables, investit dans les réseaux, le stockage, l’industrie verte, et pilote le marché, pour fermer progressivement les unités les plus polluantes. Mais sécheresses, fluctuations économiques et enjeux sociaux peuvent forcer des retours temporaires au charbon. L’avenir se jouera, donc, dans la vitesse d’exécution, dans la capacité à faire des sites comme Qiubei non plus des exceptions, mais la norme. Reste à voir si les promesses tiendront mieux que le charbon. Mais ceci est une autre histoire !
A. Z.
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Le People’s Daily, Un média au cœur du soft power chinois
Comment le grand quotidien chinois s’est imposé comme l’un des principaux narrateurs du projet mondial lancé par Pékin.
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Culture assidue du Ginseng :
Racine sacrée et moteur économique
Au cœur du Yunnan, entre Wenshan et Jinning, pousse une racine qui incarne à la fois tradition et modernité.
Le notoginseng, trésor de la médecine chinoise, alimente, aujourd’hui, une industrie pharmaceutique locale en plein essor, mêlant culture ancestrale, apiculture et ambitions d’exportation.
Dans le sud du Yunnan, le notoginseng ou sanqi est bien plus qu’une plante : c’est un symbole de la médecine chinoise et une richesse locale. De Wenshan à Jinning, cette racine cousine du ginseng coréen est cultivée avec soin et vendue comme un véritable trésor, reflet d’un savoir-faire ancestral. Réputé pour «arrêter les saignements sans bloquer la circulation», le sanqi est utilisé contre les ecchymoses, les contusions et les troubles circulatoires. Sous forme de poudre, granules ou pommade, il mêle tradition et efficacité. Aujourd’hui, il entre même dans des traitements modernes, notamment en cardiologie, pour améliorer la circulation sanguine et soutenir la santé du cœur. À Jinning, où nous avons visité une grande unité de production, l’industrie locale a donné un nouveau visage à cette plante millénaire. Des ateliers de transformation et de petites sociétés pharmaceutiques transforment le sanqi en compléments alimentaires, souvent enrichis avec gelée royale, miel ou propolis. Ce mariage entre plante médicinale et apiculture a permis de créer une filière industrielle moderne, où les laboratoires de province respectent désormais des standards de qualité proches de l’industrie pharmaceutique. Au marché de Wenshan, la racine séchée se négocie à prix d’or. Son appellation géographique protégée a encouragé les paysans à se spécialiser, faisant du sanqi un pilier économique du Yunnan. Ici, tradition et industrie se croisent, et la mémoire botanique devient moteur de croissance.
Dans un pays qui revendique une montée en gamme de ses produits de santé «made in China», le Yunnan se positionne comme un territoire à la fois rural et stratégique, où l’héritage botanique se transforme en filière industrielle. Le sanqi n’est plus seulement une racine : il est un symbole de la jonction entre mémoire médicale et ambition économique. Résultat : le sanqi est un produit de choix en Chine, mais sa conquête internationale n’en est encore qu’à ses débuts. Sanqi, un trésor chinois encore discret à l’international.
Malgré sa renommée en Chine, le notoginseng du Yunnan reste marginal sur les marchés étrangers. Les entreprises chinoises misent sur le marketing nutraceutique et les plateformes cross-border, pour faire découvrir le sanqi au monde.
A. Z.